Jack Barron est l’animateur vedette de Bug Jack Barron ( littéralement faites suer Jack Barron), une émission où il propose à des téléspectateurs de l’appeler pour lui exposer leur problème, qu’il cherchera ensuite à résoudre, en bottant le cul de personnalités si possible. Rien ne lui est impossible, avec 50% de part de marché, il est la star de la télévision américaine, et les personnalités le craignent à tel point, que nul n’ose sortir le mercredi soir, jour de l’émission, au cas où il voudrait les appeler pour résoudre le problème de son téléspectateur. Car se défiler signifierait une mise à mort télévisuelle en règle…
Et en ce moment, ce qui fait suer Jack Barron, c’est la Fondation pour l’immortalité humaine, une fondation qui , contre 50 000 $, se charge de cryogéniser son patient après sa mort, et de le ranimer une fois que le secret de l’immortalité aura été découvert. Dirigée par Benedict Howards, la Fondation est sur le point d’être reconnue d’utilité publique par le Parlement et d’avoir le monopole d’état de ce type de service. Mais en face, il y a les Républicains, qui veulent un marché de la cryogénisation concurrentiel, et la CJS ( coalition pour la justice sociale), un parti communiste qui veut un service universel. Et entre les deux opposants, il y a aussi Jack Barron, qui adore casser du sucre sur le dos de Howards.
Mais tout se complique quand on sait que Barron est le fondateur de la CJS, qu’il a quittée pour animer son émission, et qu’il n’a désormais plus aucune opinion politique, à part celle du public. Ce qui est bon pour le show business est sa seule référence, il ne vise qu’à maintenir sa popularité. De plus, Howards soutient un des candidats démocrates à la maison blanche, Ted Hennering, quasiment un homme de paille. Et si Hennering est élu président, la Fondation obtient son monopole. Mais pour gagner, Howards a besoin à la fois du parlement et de l’opinion publique, c’est pourquoi il lui propose l’immortalité s’il accepte de coopérer. Mais l’immortalité vaut elle plus que la proverbiale liberté d’opinion de Barron ?
Jack Barron, c’est tout simplement un chef d’oeuvre, le chef d’oeuvre de Spinrad, et le chef d’oeuvre de la nouvelle vague ( nouvelle dans les années 60 s’entend). Il est à la fois proche des anticipations sociales de Brunner tout en restant proche de son époque, avec un style révolutionnaire, plein d’une verve exaltée, d’une liberté de ton rarement vue jusque là et avec des scènes très fortes et qui marquent le lecteur. Jack Barron est unique.
L’histoire est avant tout celle d’une lutte de pouvoir, un combat à mort pour déterminer qui de Jack Barron ou de Benedict Howards « gouvernera » l’Amérique. Mais elle va bien au-delà de eux individus, il s’agit en même temps du pouvoir médiatique contre le pouvoir du Big Business, le Dieu Télévision contre le dieu Dollar. ( formidable intuition reprise plus tard par Gaiman) Barron est l’homme médiatique, populaire, influent et charismatique: Howards est l’homme riche, puissant, corrupteur, qui officie dans les alcôves du pouvoir. Et à travers leur duel, Spinrad dresse le tableau d’un monde politique décadent, où les politiciens n’ont plus aucun pouvoir, et se vendent au plus offrant, s’entretuent pour plus de pouvoir, laissant le champ libre aux deux protagonistes. Le Pouvoir est une drogue insatiable, le manque est si terrible que les junkies sont prêts à tout pour prendre leur dose, prêts à se vendre, à tuer, à renoncer à leurs idées, à mentir, à voler, à se salir les mains. Le pouvoir est ici une chose horrible, un fardeau pour l’homme qui le désire, car jamais il ne pourra s’en débarrasser. En fait, Spinrad anticipe déjà la situation actuelle de la politique américaine dans tout ce qu’elle a d’illusoire et d’horrible, puisqu’il n’y a plus guère de différence entre les démocrates et les républicains, ce qui se dessine déjà ici avec les alliances contre nature.
Mais le choc vient aussi du style de Spinrad. Un style choc, brutal, un coup de massue qui détruit tout sur son passage. Il n’hésite pas, renverse les institutions vénérables sur son passage. Howards est présenté comme fou avec des phrases sans ponctuations, sans grammaire, des suites incohérentes de mots. Barron a un discours clair, étayé, construit et précis, la parole est son principal allié, le style reflète là encore les idées de l’auteur. Et que dire des scènes de sexe, très voire trop nombreuses, presque inutiles, qui parsèment l’histoire sans toujours lui apporter quelque chose en plus. Elle ont en tout cas le mérite de nous montrer le brio de Spinrad qui sait les multiplier sans les répéter, et surtout en les accordant à la psychologie des héros.
Jack Barron offre une lecture haletante, pleine de rebondissements. Barron n’en finit pas de tergiverser, de dire oui puis non, de s’interroger, de reculer et d’attaquer. La situation évolue à chaque chapitre et donne une histoire complexe, peu ennuyeuse et qui tiendra en haleine le lecteur. Fortement politisée, elle dénonce efficacement les travers de la politique qui s’annonçaient déjà à la fin des années 60, avec notamment la montée des médias aussi bien en contre-pouvoir qu’en complice des méfaits des politiciens. Un livre choc au service d’une histoire frappante, on ne s’en remet pas si facilement que ça, il viendra encore vous hanter bien après que vous l’ayez achevé. Il nous fera bien suer ce Jack Barron.
Robert Laffont – Ailleurs et Demain – (1971)– 380 pages 23.00 € ISBN : 2-290321-13-3
Traduction : guy abadia
Titre Original : Bug Jack Barron (1969)
Robert Laffont – 1971
Jack Barron est une icône de la télévision, un redresseur de torts moderne, le donneur de coups de pied au cul pour cent millions de gogos accrochés à leur écran tous les mercredis soir. Pour l’irrésistible présentateur, malgré la corruption, la pauvreté et la ségrégation, c’est le » bizness » qui compte avant tout… jusqu’à ce qu’il heurte de front les intérêts du tout-puissant Benedict Howards. Commence alors le feuilleton en direct d’un combat sans merci entre le pouvoir de l’argent et de la politique et celui des médias. Mais la lutte peut-elle être équitable lorsque l’immortalité elle-même fait pencher la balance ?
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