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La Zone du Dehors de Alain Damasio

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Il est difficile de commencer à écrire une chronique sur un ouvrage que l’on a aimé, d’un auteur dont on a déjà beaucoup apprécié un roman… quand on sait qu’au milieu de la chronique, on va sortir le « oui, mais » fatidique.

Pourquoi ce roman mérite d’être lu :

La Zone du Dehors mérite d’être lue parce que c’est quelque part de la bonne SF des familles : drame futuriste, dans la banlieue de Saturne, où une société humaine se reconstruit en marchant bien au pas, en acceptant le « toujours propre et frais ». Fort heureusement, ce n’est de la hard SF, avec des lasers, des vaisseaux-trucs, et autres super-technologies ennuyeuses. C’est juste une question de point de vue, mais ce qu’il y a de bon dans ce roman est que l’univers de science-fiction est un prétexte pour parler de l’homme, pour reconstruire une société « idéale », une utopie anarchiste.

Alain Damasio présente un « Meilleur des mondes » évolutif. Chaque personne est à la place, dans une société conditionnée par le Clastre, ou comment transformer l’humain en statistiques, en données quantifiables qui vous indiquent tous les deux ans votre nouvelle place dans la société. On change de fonction, on change de salaire, on change de nom. Parce que les hommes n’ont même plus de noms. Ils ont un rang. Moins votre « nom » à de lettres, plus haut vous vous situez dans l’échelle sociale. Evidemment, c’est déroutant (arriver à coller Captp, Bdcht, Obffs à une identité, c’est loin d’être évident), puis écoeurant.

L’auteur joue toujours avec le langage, son inventivité est une chose que j’apprécie énormément. Il réussi à faire résonner dans son « clastrer » à la fois « classer », « caster » et « castrer ». Même jeu sur les mots avec la Volte, qui ne se veut plus révolte, une définition contre quelque chose, mais un mouvement, une construction, un pas en avant vers autre chose, d’autres modes de fonctionnement sociaux.

Ce roman est aussi une réintroduction de la philosophie et de la politique dans une littérature lisible et intelligente. C’en est parfois un peu pédant (on le verra tout à l’heure…), mais c’est avant tout un retour à la réflexion, à une présentation d’idée, et justement d’un idéal.

La Zone du Dehors marque aussi par son absence de complaisance. Les premières interventions « coup de poing » de la Volte et leurs conséquences font sourire par la naïveté pathétique des pesronnages (évidemment que ça se passe mal ! comment pourrait-il en être autrement ? ). Il n’y a pas non plus d’idéalisme forcené envers une société de voltés. Le monde n’est pas rose, les hommes ne sont pas bons. Ils ont besoin de guides, d’idoles, de maîtres. Sans doute par lâcheté, mais là n’est pas le débat.

Pour ceux qui ont lu La Horde du Contrevent, ils retrouveront la multinarration qui semble chère à Damasio, mais dans une variation plus délicate à saisir. En l’absence de signe identifiant le narrateur, il faut bien avouer que l’on est parfois totalement perdu, mais cela ne gâche rien.

Pourquoi on peut éventuellement s’abstenir de lire ce livre :

Il serait bon tout de même qu’Alain Damasio soit un peu plus souple sur les citations de Nietzsche. Une référence à l’auteur ou citation toutes les vingt pages, c’est vraiment agaçant. Il est évident que ses oeuvres philosophiques sont un des fondements du mouvement de La Volte. Un retour de la philosophie en science-fiction est une excellente chose. Attention cependant à ne pas rendre la soupe indigeste.
C’est presque une faute de goût, et je trouve très étonnant que l’éditeur ai laissé passé ça.
Il est possible de partager totalement les idées libertaires développées dans ce roman, d’adhérer d’un point de vue philosophique et humain. Mais de refuser ce ton de donneur de leçon, ce ton de prof qui pense savoir ce qu’est la vie et qui a l’indulgence de nous la montrer. D’accord, Captp est professeur d’université, mais jouer à ce point l’immersion totale, c’est vraiment trop. En tant que lectrice, je n’adhère pas aux diverses leçons d’idéologie. Ce n’est pas exaltant, mais plutôt pathétique : ce sont des petits cons qui refont le monde dans des caves en citant Nietzsche.

La caricature me gêne un peu. Nous aurions d’un côté les gentils métalos, les supers ouvriers, et les intellectuels sympas présents pour les guider dans la quête d’un idéal. Les autres ne sont que des bourgeois aliénés sans idéaux, à la vie misérable d’ennui.
C’est de la SF de Germinal ? On n’a pas le droit d’avoir une pensée construite, quand on est dans la « classe moyenne » ? Il me semble que parler de classe ouvrière comme socle social est un peu dépassé… depuis 15 à 20 ans…

Et soudain, je re-fais ma militante MLF :

Bdcht, la seule femme qui compte un peu dans le roman, a une simple fonction de « repos du guerrier » ou de lien affectueux entre les personnages. Pas question d’en faire une philosophe, ouhlàlà ! pas question d’en faire un personnage capable de construction, de création. Bdcht est une suiveuse, une suivante.

Je pense donc qu’avant de donner des leçons de vie, il est bon de se débarrasser de son formatage « made in Code Civil » (le napoléonien, on est d’accord…). Oui, cette fiction respire l’idéal, mais elle laisse toujours dans l’ombre la moitié de l’humanité. Ca fleure toujours bon ce qu’il y a de plus poussiéreux dans le XIX° siècle. Pour un roman volutionnaire, c’est presque scandaleux.


La Volte 490 pages 26.00 € ISBN : 2-9522217-9-0 (CyLi)
2007

2084.

Owell est loin désormais. Le totalitarisme a pris les traits bonhommes de la social-démocratie. Souriez, vous êtes gérés ! Le citoyen ne s’opprime plus : il se fabrique. A la pâte à norme, au confort, au consensus. Copie qu’on forme, tout simplement.

Au cœur de cette glu, un mouvement, une force de frappe, des fous : la Volte. Le Dehors est leur pays, subvertir leur seule arme. Emmenés par Capt, philosophe et stratège, le peintre Kamio et le fulgurant Slift que rien ne bloque ni ne borne, ils iront au bout de leur volution — et même au-delà, jusqu’à construire cette vie de partage, rouge, que personne ne pourra plus leur délaver.
Premier roman, aujourd’hui réécrit, de l’auteur de la Horde du Contrevent (Grand Prix de l’Imaginaire 2006), la Zone du dehors est un livre de combat contre nos sociétés de contrôle. Vous pouvez toujours baisser la tête et les paupières. Et reposer ce pavé. Ce n’est que de la science-fiction. La demande sécuritaire, les manipulations soft, la gestion de nos corps, le temps de cerveau disponible, les citoyens traçables, géolocalisés par leur portable, ce ne sont pas nos enjeux, ici, chaque jour. Ce n’est pas ce que nous vivons. Aucun intérêt. D’ailleurs, il n’y a pas de caméras dans nos villes.
Prolongeant le livre, Ludovic Duprez et Erwan Castex ont ajouté un DVD qui met en images le chaos des zones où leur cerveau bivouaque depuis plus d’un an. Nourris au kebab et au manga, accélérés dans une cave cubique, les électrons libres de Sycomore Films frôlent ici les parois d’un tokamak graphique qui fusionne 3D déjetée, comédiens réels et images de synthèse. Avec une certitude :
si Dieu n’a pas d’yeux, eux ont un regard…


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