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Eux de Kay Dick

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Le nom de l’autrice ne vous dit peut-être rien. Elle fut pourtant une journaliste et écrivaine connue du XXème siècle devenant à 26 ans la première femme à diriger une maison d’édition en Angleterre, chez P.S. King & Son, et a pu édité des auteurs comme Georges Orwell.

En 2022, son court roman They, traduit en français par “Eux”, a été (re)découvert en Angleterre et a été célébré par un événement à la British Library dans le cadre du mois de l’histoire LGBT.

Les éditions du Livre de Poche proposent pour une première fois une traduction française, portée par Patrick Imbert, de cette étrange dystopie.

Qui sont ces ombres ?

Plutôt qu’un roman uniforme, nous avons ici un ensemble de petite saynètes, 9 pour être précis, qui s’enchaînent et nous font découvrir un monde où il ne fait définitivement pas bon vivre.

Nous plongeons dans ce futur à la date inconnue, en compagnie de notre narratrice qui va se rendre chez Karr qui a un couple en hébergement chez lui. La visite de l’atelier de Karr montre déjà que quelque chose ne tourne définitivement pas rond. La narratrice donne l’impression que cet atelier est un mode de résistance, ou en tout cas une réalité qui pourrait amener des problèmes pour le propriétaire… Comme la présence des invité·e·s, qu’on a l’impression en fuite…

Et puis, à son retour chez elle, la narratrice découvre qu’encore une fois des livres ont disparu de sa bibliothèque… Ces disparitions sont fréquentes et par touches délicates : pas de grand autodafé ou de vol massif… Tout est feutré, un livre ici, une partition ailleurs, jusqu’à ce que la culture soit petit à petit retirée de chaque maison.

Ils nous ont tous offert des postes. Adrian en a accepté un, pour les garçons, et pour les informations. Pour ce qu’elles valent

Les coupables sont “Eux”, des formes floues, qui naviguent dans les campagnes, s’assurant d’une homogénéisation de la population. Il semble que leur volonté est de lisser l’humanité, limiter la capacité à se différentier, à porter un regard différent sur le monde. La situation est pourtant plus dure qu’il n’y parait dans les premiers textes, avec des lieux de culture qui ferme, des camps pour “soigner” ces artistes et ces personnalités hors cadre… Ce ne sont plus seulement les livres qui se font enlever, ce sont aussi les hommes qui les écrivent, les femmes qui peignent…

Un texte majeur et méconnu

Ce court roman (à peine plus de 150 pages) est très étrange à lire et se trouve être dans la même veine pour moi que 1984, Le Meilleur des mondes ou ces dystopies qui nous alertent sur notre devenir.

Ce roman date de 1977 et pourtant, il fait tellement écho à notre monde d’aujourd’hui et aux discussions qu’il y a en cours sur les œuvres écrites et sur la norme qui doit les régir. Dans le roman de Kay Dick, la Culture doit être plus que contrôlée, elle doit être annihilée, et cela est fait de façon subtile, progressive, en commençant par enlever les écrits et la musique chez les individus, avant de les “reprogrammer” en les mettant face au poste de télévision.

On y voit une façon, comme le dira un des personnages, d’avoir de l’information, avec cette mention “pour ce qu’elles valent”… A croire que l’autrice avait déjà vu l’arrivée des chaînes d’information en continu !

Nous sentons bien que comme dans Fahrenheit 451 ou là encore 1984, l’appauvrissement de la culture est le meilleur moyen de contrôler la population. Et cela fait mal de se dire que, actuellement, et dans plus en plus de pays, nous voyons ces éléments prendre forme : en Afghanistan, où les femmes perdent l’accès à l’éducation et aux lieux de culture, dans les pays occidentaux où de plus en plus de titres sont “interdits” dans le domaine de l’éducation… Même si je risque de fâcher quelques personnes, la réécriture de certains titres devraient nous questionner par rapport à ces auteurs et autrices qui ont alertés sur l’uniformisation de la culture.

Le titre de Kay Dick nous permet de nous poser ces questions, de nous parler une nouvelle fois du danger pour les états totalitaires que représentent la culture.

Dans l’écrit, tout est dépouillé, tout est flou… Je ne sais pas si l’autrice a voulu refléter dans son texte ce que donnerait une société sans culture mais le texte en lui-même rend compte du côté un peu fade de cette société future, alors que le côté flou montre le côté insidieux des attaques contre la culture. Eux ne sont pas connus, Eux ne sont pas forcément des agents de l’état mais Eux sont partout, prêt à faire reculer la culture. Eux sont rentrés tranquillement chez vous pour vous retirer le droit d’être “différent”.

Un roman que je vous recommande très fortement, même s’il pourra – de mon point de vue – être plutôt clivant.

Le Livre de Poche (Mars 2023) – 157 pages – 8,40 € – 9782253107026
Traduction : Patrick Imbert (Grande-Bretagne)
Titre Original : They (1977)
Couverture : Studio LGF

Ce sont la mort d’un chien, des bruits de pas étouffés, la confiscation de livres, pour commencer.
Ensuite le sac de la National Gallery, vidée de ses œuvres. Puis viennent les miradors, érigés pour surveiller les côtes, et des hommes armés, qui parcourent les campagnes en détruisant chaque œuvre d’art qu’ils dénichent… et ceux qui cherchent à les protéger. Ils capturent les dissidents – les écrivains, les peintres, les musiciens, les célibataires et les couples sans enfants – lors de vastes rafles. Ils veulent purger la société des personnalités subversives.


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