Durant les Utopiales, j’ai eu la chance de croiser la route et d’avoir pu échanger avec Chen Qiufan, qui a une double actualité en France. La première est la parution de son roman L’île de Silicium, chez Rivages, premier titre de la collection Imaginaire. La seconde est la parution chez les Arènes, du recueil de nouvelles I.A. 2042 (I.A. 2041 en anglais et chinois).
L’occasion de parler du traitement des déchets électroniques mais pas que.
Vous pouvez retrouver l’entretien en anglais : ICI.
L’île de Silicium et I.A. 2042 sont vos deux premières œuvres traduites en français : qu’est ce que cela signifie pour vous d’être traduits ?
Cela signifie beaucoup pour moi, car je commence à penser à comment mes histoires pourraient être traduits dans d’autres langues, comme dix ou douze ans auparavant. L’anglais, nous le savons tous, est la langue dominante dans le monde, que ce soit en littératures, dans le ciné ou n’importe où. Du coup, ce n’est pas très juste. Notamment parce que la plupart des personnes ne lisent pas les traductions aux Etats-Unis ou en Angleterre. Il est vraiment difficile pour les étrangers, en particulier pour les auteurs de science-fiction chinoise, si vous n’avez pas gagné le prix Nobel. Il m’a fallu plusieurs années pour le faire correctement. Bien sûr, j’ai rencontré le fantastique traducteur Ken Liu. C’est aussi un de mes meilleurs amis, un très bon écrivain lui-même, et aussi le traducteur de Le Problème à trois corps. Nous nous connaissons depuis douze ans et je lui ai envoyé quelque chose qu’il a commencé à traduire comme une faveur. Cela a déclenché le processus complet, mais aussi la façon dans la Science-Fiction chinoise est devenue accessible. Après un temps, je pense que l’anglais doit être la première langue, et ensuite les autres langues. Ainsi, les éditeurs peuvent le lire et comprendre de quoi parle le livre et gérer le suivi autour des traductions et du copyright.
Je pense donc que c’est une bonne décision. Aller à l’international est probablement la meilleure décision que j’ai prise. Je suis tellement content que mon livre soit traduit en français car je pense que le marché français est tellement différent. Vous avez la meilleure qualité en terme de littérature, film et art. Vous avez un très bon sens de l’esthétique et du style entre autres. Cela signifie beaucoup pour moi. Et bien sûr, j’ai rencontré beaucoup de monde ici, et ils ont lu avec attention mon livre. Ils m’ont posé des questions très profondes. Je me sens respecté en tant qu’écrivain. C’est quelque chose qui change totalement ma vie. Je peux voyager tout autour du monde pour rencontrer des personnes parlant différentes langues, partageant des cultures différents, mais parlant toutes du même monde le science-fiction. C’est comme si un rêve devenait réalité.
Un des sujets principaux concerne le traitement des déchets et notamment les déchets électroniques. La Chine a reçu de nombreux déchets en provenance du monde entier et doit gérer cette dimension qui pose problème. Quelle la solution de votre point de vue à cette situation ?
Je pense que cela a commencé dans les années 90, peut-être au milieu ou à la fin des années 90, car cela marquait le début de tout, comme le nombre d’appareils électroniques a explosé en Chine et autour du monde. Mais quand ils sont retirés, vous avez toute la gestion de ces déchets électroniques, que vous avez à désassembler et à recycler car contenant des métaux rares dans les circuits, les puces et autres. Il y a aussi du cuivre, de l’argent, de l’or voire même du platine. Tout cela correspond à des métaux précieux, ils peuvent générer beaucoup d’argent. Mais cela créé aussi de nombreux problèmes environnementaux du fait de l’acide, la chimie qu’ils utilisent, mais aussi des gaz qui génèrent de la polution de l’air, du sol, et avec un impact sur la santé physique des travailleurs. Les pays développés comme les USA et le Royaume Uni ne veulent pas le faire dans leurs propres pays. Ils expédient toutes ces choses dans les pays en voie de développement comme la China, l’Asie du sud-est, de l’Inde, de l’Afrique et la Chine est définitivement un des plus grands centres de recyclage à l’époque. Je pense que la situation a énormément changé en Chine puisqu’en 2018, le gouvernement chinois a lancé une loi pour bannir 24 types de déchets venant de l’étranger. Cela inclut les déchets électroniques et la modernisation de lieu comme Guiyu que j’ai mentionné dans le livre avec une technologie beaucoup plus durable et avec plus de protection pour arrêter de polluer la rivière, le sol et les travailleurs.
Maintenant, la situation en Chine a beaucoup changé, mais tous ces déchets ont été expédiés vers d’autres lieux comme les Philippines, l’Inde, l’Afrique du Sud parce qu’ilsont toujours de lieux pour gérer ces déchets électroniques. Le problème ne sera jamais résolu parce que nous vivons sur la même planète. Je pense que le seul moyen est de tracer à la source. Vous devez l’intégrer dans la conception du produit. Vous devez penser à une durabilité dans le cycle de vie incluant tous ces types de matériaux que nous utilisons et de quelle façon ces pièces pourront être facilement recyclées, tracées est desasemblée, je ne sais pas, un biomatériau dégradable. Je pense que cela nécessite beaucoup de technologie mais aussi l’application des lois et une volonté des personnes de provoquer le changement.
Un des points que j’ai perçu est une critique vis-à-vis de l’occident, notamment des USA, qui ont envoyé pendant desa années en Chine et aux Philippines ou Afrique du Sud et viennent aujourd’hui expliquer comment traiter ces problèmes ? Est une volonté de votre part de partager cette critique ? ?
Oui, bien sûr, c’est une partie de la critique. Mais aussi, je montre différentes perspectives avec différents personnages. Chacun a son point de vue justifié. Par exemple, les locaux veulent faire de l’argent, ils veulent améliorer leur statut financier. Bien sûr, le gouvernement essaie de faire progresser. Et les USA ne veulent pas faire exploser leur propre arrière-cour. Alors, ils ont expédié toutes leurs merders vers les autres pays. Chacun a sa propre perspective, ils sont tous également légitimes. Mais les conséquences sont que nous endommageons notre environnement, notre Terre. En fin de compte, nous devons admettre qu’il n’y a qu’une seule Terre, il n’y a qu’une planète où nous pouvons vivre actuellement. Si vous essayez de vous décharger de ce type de déchets dans l’arrière-cour d’un autre, elles vous reviendront finalement dessus. Personne ne peut y échapper. Exactement comme dans le film Don’t look up. Je pense que le problème n’est pas de savoir comment je peux transférer toutes ces choses mauvaises, la partie négative du cycle de vie, mais de penser comment nous pouvons tous mettre nos forces ensemble pour arriver avec des nouvelles solutions qu’elles soient technologique ou avec une conception systématique. Je pense que c’est le plus important. Mais aujourd’hui, je ne peux que constater que toutes les différences et frontières géopolitiques et idéologiques nous empêche de le faire. Je pense que c’est la partie la plus dépressive, peut-être désespérée de l’humanité.
Nous ne sommes pas très au fait en France de la réalité de la CHine. Lorsque j’ai lu votre roman, j’ai été très surpris de cette opposition entre la Chine, leader dans le domaine des hautes technologies et, en même temps, la Chine toujours avec cette forte tradition familiale et croyances. Cela correspond-il toujours à la réalité chinoise ?
Oui, je pense qu’il s’agit d’une façon de penser très traditionnelle, y compris lorsque nous utilisons ce type de technologies. Peut-être pensons nous que c’est quelque chose de si important que cela fait progresser la société en termes de productivité et d’efficience. Mais quand même, nous préservons toujours toutes sortes de systèmes de croyance à l’ancienne. Par exemple, lorsque nous adorons nos ancêtres : chaque moi, lorsque je reviens dans ma ville natale, nous avons des rituels dans le temple ancestral. Nous avons tous les noms, toutes les petites assiettes pour chacun de nos ancêtres et adorons les dieux, prions pour Buddha et quelques soient les divinités. Je pense que c’est quelque chose proche de la physique quantique, comme une superposition : cela coexiste simultanément. Il s’agit de quelque chose de vraiment unique. Les chinois sont très pragmatiques. Ils font tout ce qui peut être pratique dans la vie quotidienne. Par exemple, la technologie peut bien sûr rendre notre vie plus facile et meilleure pendant que les croyances peuvent rendre notre âme ou mentalité confortable et cohérente. Tous font le meilleur usage d’eux-même. Nous devons maintenir tout cela même si cela est totalement en opposition avec les points de vue occidentaux, mais c’est dans le même temps légitimes pour les chinois.
Et tout cela est présent dans votre roman. Cela rend l’histoire importante et d’une certaine façon, complexe. Ce que je peux constater aussi est cette opposition entre les populations riches et pauvres. C’est la même chose partout ?
Parfaitement. C’est comme une métaphore. Cela peut-être en Chine, mais aussi en France. En fait, n’importe où sur la planète. Je pense que c’est la raison pour laquelle la Science-Fiction est un genre si important, parce que c’est métaphorique, c’est universelle, abordant les problématiques auxquelles nous nous confrontons tous.
Il s’agit du premier roman dans la nouvelle collection Imaginaires de Rivages… Mais ce n’est pas votre seule publication ce mois-ci puisque I.A. 2042 est aussi traduite. Est-ce un moyen de répondre aux peurs que génèrent les I.A., les réduisant à un des outils dont on fait ce qu’on veut ?
Oui. Je pense que l’intelligence artificielle sera l’infrastructure dans le futur tout autant que l’est l’électricité. Cela change tout à ce que nous expérimentons aujourd’hui. Cela résoud un grand nombre de problème tout en créant toujours plus de problèmes éthiques. Aujourd’hui, l’I.A. n’est pas suffisamment intelligente pour gérer tous ces types de biais que sont la discrimination, la construction sociale dans les données car nous l’alimentons avec des données telles que le text et le language, le language naturel. Du coup, tous ces biais, discrimination, construction sociale sont embarqués dans notre langue, et la machine l’apprend et l’améliore de façon récurcive, et cela devient quelque chose de pire. Par exemple, les problématiques de racisme et de genre vont devenir encore plus extrême que ce qu’elles sont aujourd’hui. Le recueil I.A. 2042 combine le science fiction et la non fiction avec des explications du Dr. Kai-Fu Lee, investiseur et scientifique dans le domaine depuis de nombreuses années. Il fait le point sur ce qui doit être amélioré dans la technologie, comme les algorithmes. Nous avons besoins d’avoir plus d’entrants différents depuis différentes disciplines. Nous avons besoins de plus d’ingénieurs : nous avons besoin d’humanité, d’anthropologistes, de philosophes et bien sûr d’artistes, que ce soit des écrivains, des peintres, des musiciens et de tout ceux qui pourront nous aider à créer une I.A. plus empathique. Cela peut nous aider comme lorsque nous nous regardons dans le miroir, quelquefois, vous voyez une personne vraiment moche. Cela aidera les humains à s’améliorer, à faire progresser notre humanité, et comment nous pouvons utiliser cet outil, cette machine, pour nous aider à surmonter toutes ces inégalités, injustices et manque de durabilité. Je pense que ce que nous voulons exprimer dans ce livre, I.A. 2042, c’est de tenter d’aider les personnes à imaginer un meilleur futur avec la technologie.
Comme vous l‘indiquiez, vous avez écrit ce livre avec le Dr. Kai-Fu Lee. Considérez vous que, comme actuellement, l’I.A. ne fait que répliquer ce que nous avons fait ou imaginez vous dans ces nouvelles comment nous pouvons rendre le système plus empathique ?
Oui. Je pense que le plus important aujourd’hui est que ce que nous utilisons est juste de l’apprentissage automatique. C’est très limité et le cerveau humain pense d’une façon différente. Nous n’avons besoin que de peu d’énergie, nous utilisons peu de données et non de grands jeux de données. Nous pouvons être entraînés comme les bébés à apprendre d’une chose à l’autre et de constuire un ensemble de connaissances et de compétences transférables. Mais ce n’est actuellement pas une chose qu’une I.A. sait faire. Nous avons besoin d’en apprendre plus sur ce qu’est réellement l’intelligence humaine et l’I.A. peut nous aider à le comprendre et réutiliser pour aider l’I.A. à évoluer d’une manière plus inclusive, diverse et compatible. Aussi, nous avons besoin de l’intelligence de la nature car, par exemple, les virus ont évolués depuis 3 milliards d’années sur la planète. Peut-être pensez vous que ce n’est pas une forme de vie, ce n’est pas quelque chose possédant une conscience ou une intelligence, mais aujourd’hui, c’est à un certain niveau une intelligence distribué massive. Elle continue juste à évoluer chaque seconde et countourne les vaccinations et s’adapte quelque que soit les personnes qui tentent de l’éviter ou la tuer. C’est incroyablement intélligent si vous y pensez sous cet angle. Nous devosn penser à toutes ces différentes formes d’intelligence et peut-être dans le futur pourrons nous fusionner l’intelligence humaine, l’liintelligence de la machine et celle de la nature comme une Trinité, tous ensemble devenant une unité. Cela correspond à la civilisation entière de la planète Terre. Peut-être que nous pouvons l’appeler Gaia. Il s’agit du sujet de mon prochain roman, en cours d’écriture.
Vous abordez les sujets des Intelligences Artificielles, du transhumanisme, et plus… Cela signifie-t-il que ce futur technologique est très important pour vous ?
Oui, je peux le voir maintenant car personne ne veut retourner à la période médiévale avec des conditions de santé très limitées, sans nourriture et eau propre et tout. Je pense que nous nous retrouvons tous maintenant autour de la technologie, mais nous devons être attentif avec la technologie parce que penser et voir du seul point de vue de la technologie est très dangereux. Cela peut toujours être mis entre de mauvaises mains et créer les pires scénarios. Je pense que le problème est aussi la croyance et la conscience des êtres humains sur la façon dont nous pouvons nous améliorer par réaction en tant qu’espèce, en tant que civilisation. Il s’agit d’un sujet pour lequel nous n’avons pas fait beaucoup de progrès depuis l’homme des cavernes, non ? Nous avons peut-être énormément de technologie pour nous aider à avoir une meilleure vie. Mais notre cerveau, notre conscience n’a pas évolué des masses. Nous continuons à penser comme nos ancêtres à l’époque. Nous continuons à vouloir accumuler richesses et ressources, nous sommes tellement en compétition entre nous et tellement hostile et effrayé par les autres. Je pense qu’il s’agit de quelque chose profondément ancré dans notre nature humaine. Mais nous devons réfléchir sur la façon de dépasser cela, comment nous pouvons mettre tout le monde comme une civilisation intégrée… Car les changements climatiques ne concernent pas uniquement un pays ou une classe, mais tout le monde : nous devons trouver une solution qui travaille de façon universelle.
Sortons un peu de vos romans. Vous avez expliqué plus tôt que la langue est un élément qui bloque l’ “exportation” de la science-fiction chinoise. Mais quelle est la place de la SF dans la culture chinoise ?
La Science-Fiction a été introduite en China il y a seulement 100 ans, du coup, c’est elles est très nouvelle, relativement jeune et venant de l’ouest. Ainsi, les gens à l’époque, comme les révolutionnaires, Lu Xiang, Liang Qichao, à la fin de la dynastie Qing, ont tenté d’introduire la science-fiction pur transformer les mentalités des chinois mais aussi pour transformer la société vers un pays moderne. Mais ils ont échoué. Et je pense que ces tentatives ont eu lieu à différentes périodes dans l’histoire de la Chine. Chaque tentative reflétait un changement très dramatique dans la société. Par exemple, après les 10 ans de la Révolution Culturelle, le best-seller était une Utopie de Science-Fiction concernant une China futuriste transformé par la technologie, pleine de robots, les fermes biologiques et toutes les inventions utopistes. En 1978, cela est devenu un best-seller. Et maintenant, je peux voir une nouvelle vague de Science-Fiction faisant évoluer la société, parce que cela vient aussi avec la société. Quand la Chine est entrée dans le 21ème siècle et est devenu une partie de la mondialisation, le gouvernement chinois a considéré que les innovations technologiques deviendraient cruciales dans les futures compétitions entre les différents pays. Je pense qu’ils ont vu la Science-Fiction comme un très puissant outil d’éducation, pour inspirer à la jeune génération de la curiosité et de la passion envers les sciences et la technologie.
De mon point de vue, ils considèrent aussi que le science-fiction est une sorte de pouvoir doux. Par exemple, le problème à trois corps est publié partout dans le monde. Tout comme the Wandering Earth, le film chinois qui a fait un carton au box office. C’est une chose avec laquelle la jeune génération est familère. Ils vivent dans une ère de science-fiction, pleine d’animation, de manga et de jeux vidéos et ce type d’environnement médiatique leur est totalement accessible pour absorber toute forme de messages. La science-fiction devient de nos jours et à mon avis un genre mainstream alors qu’il était auparavant considéré comme de la littérature jeunesse, et mise de côté comme un genre totalement marginalisé. Mais maintenant qu’elle est sur la scène, sous les projecteurs et que de nombreux journaux parlent de science-fiction, les savants font des recherches sur la science-fiction et, bien sûr, sur toutes les parties qu’ils essaient de mettre en relaiton avec la science-fictoin parce qu’ils pensent qu’il s’agit d’une interprétation juste du futur. C’est la raison pour laquelle la science-fiction devient quelque chose de très important en Chine.
Il s’agit de votre première visite aux Utopiales : quel est votre sentiment ?
C’est incroyable. Je pense qu’il s’agit de mon festival préféré parmi les nombreux auxquels j’ai été. J’ai participé à des festivals et des conventions au Japon, Hong Kong, Helsinki, Dublin, de nombreux dans les villes américaines bien sûr. Je pense que Nantes sera mon favori car les personnes sont très agréables, le lieu est incroyablement créatif et j’adore les expositions, les films et les tables rondes. C’est très ouvert, divers et inclusif… Et très “avant-garde” d’une certaine façon. Cela représente à mes yeux le plus haut niveau d’imagination de par le monde. J’adorerai vraiment revenir dans le futur.