Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview de Yann Quero

Durant le festival Imajn’ère, je suis passé devant le stand de Yann Quero et devant les titres des éditions Arkuiris… Je ne connaissais pas la maison d’édition mais ses anthologies m’ont attiré l’oeil, autant par les thématiques abordées que par les noms qui y figurent, que ce soit en auteurs / autrices ou en illustrateurs…

Les échanges m’ont permis aussi de découvrir que des textes sont mis à disposition aussi pour des publics en difficulté face à la lecture.

Je remercie Yann d’avoir accepté de répondre à quelques questions sur le sujet !

Bonjour Yann, nous nous sommes croisés durant le festival Imajn’ere d’Angers. Pourrais-tu te présenter à nos visiteurs et visiteuses ?

Je suis universitaire, avec un parcours sinueux, allant des beaux-arts, aux sciences humaines et aux langues et civilisations orientales. Cela fait de moi une sorte d’hybride très attaché à l’altérité culturelle, notamment asiatique. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion d’exercer de nombreuses professions : du journalisme à l’édition, en passant par la gestion de projets de coopération internationale et la diplomatie. Bref, j’ai eu de nombreuses expériences, qui m’aident à alimenter mes fictions.

En tant qu’auteur, quels sont les sujets qui t’intéressent de partager ?

Ces multiples vécus m’ont amené à beaucoup m’interroger sur l’humanité et sur l’environnement. Par rapport à l’humanité, je m’attache beaucoup aux notions de destins, de talents et de spiritualités, notamment à travers des personnages de créateurs comme des peintres ou des musiciens. Au sujet de l’environnement, je m’efforce de faire passer, sur des modes plus littéraires ou décalés, mes connaissances et inquiétudes concernant les dérives des sociétés techno-industrielles et les menaces que cela induit sur la nature et la santé.

Lorsque nous nous sommes croisés à Angers, tu étais présent en temps qu’éditeur, sur le stand Arkuiris… Que sont les éditions Akuiris ?

En fait, j’y étais plutôt en tant que directeur d’une collection des éditions Arkuiris, car il y a d’autres collections dans des registres assez différents. Il y a par exemple une composante plus recherche scientifique, avec des essais en sciences humaines ou des travaux sur la poésie. Personnellement, je suis surtout responsable des publications relevant des littératures de l’imaginaire, et plus particulièrement de la collection d’anthologies de science-fiction.

La maison d’édition propose différents terrains de jeux aux lecteurs et lectrices, parmi lesquels des romans, des nouvelles, des anthologies, des essais, … Que faut-il pour entrer au catalogue ?

La meilleure manière d’entrer au catalogue est sans doute de répondre à nos appels à textes pour des anthologies de nouvelles de SFFF. Nous en avons déjà publié vingt-cinq et on en vise de deux à quatre par an. Les appels sont présentés sur le site Web et la page Facebook des éditions Arkuiris, mais aussi sur plusieurs sites qui les relaient sympathiquement, comme ActuSF, Épopées fictives, Présence d’Esprits, ou les Vagabonds du Rêve.

Nous laissons de trois à six mois aux auteur.e.s pour nous envoyer des nouvelles allant de très courtes à maximum 50 000 signes. Selon les appels, nous recevons entre soixante-dix et deux cents textes, et nous sélectionnons les quinze ou vingt qui nous paraissent illustrer le mieux les différentes facettes du thème. J’ai dirigé plusieurs anthologies, mais je laisse de plus en plus volontiers la main pour la direction, même si je reste là pour la validation des présélections. Parmi les coordonnateurs/trices nous avons eu notamment : Anthony Boulanger, Andréa Deslacs, Stéphane Dovert, Jean-Pierre Fontana, Pierre Gévart, Éric Lysøe, Hélène Marchetto, Cécile Péguin, Arnauld Pontier, Patrice Quélard…

Adossée à ces anthologies, les éditions Arkuiris ont aussi lancé une autre collection, qui s’appelle « Futurs Simples ». Elle est dirigée par Cécile Péguin, qui est orthophoniste de formation. Elle a proposé de retravailler certaines nouvelles déjà publiées dans les anthologies, en concertation avec les auteur.e.s, pour les mettre en FALC : français « facile à lire et à comprendre ». Deux volumes sont déjà parus, et le troisième est en préparation. Ces petits livres réunissent cinq nouvelles chacun et visent plusieurs publics : d’un côté les jeunes ou moins jeunes qui ont des difficultés de lecture, mais aiment la SF ; d’un autre côté les adultes étrangers qui apprennent le français et peinent à trouver des ouvrages simples avec de vraies histoires, qui ne soient pas destinés aux enfants.

Philippe a un talent d’écriture qui égale ses qualités d’illustrateur ! La meilleure preuve est que les éditions Arkuiris ont organisé un concours en partenariat avec le Prix universitaire Écrire la Ville, pour publier des fictions sur les arts dans les villes du futur. L’anthologiste, Émilie Chevallier Moreux, a présélectionné la nouvelle de Caza en même temps qu’une trentaine d’autres, qui ont toutes été soumises de manière anonymisée à un jury comprenant notamment des architectes et des professeurs de littérature. Et Caza a remporté le 1er Prix !

Enfin, nous avons quelques romans ou recueils de nouvelles à auteur.e unique, mais cela reste assez limité, car c’est difficile de leur donner une bonne visibilité. Nous réservons pour l’instant cette possibilité à des auteur.e.s avec qui nous avons déjà pas mal travaillé et avec qui nous avons des projets originaux, comme Jean-Pierre Andrevon ou Philippe Caza.

J’ai découvert que de nombreux noms connus jalonnent les anthologies, comment as-tu réussi à faire connaître et à assurer cette présence importante de noms de renom de l’imaginaire dans chacune des anthologies ?

C’est sans doute le résultat d’une grande exigence de qualité qui inspire confiance, à la fois pour les textes et les illustrations. Ainsi, pour les textes, nous avons convaincus des « piliers » de la SF comme Jean-Pierre Andrevon, Jean-Pierre Fontana, Pierre Gévart, Danielle Martinigol ou Joëlle Wintrebert, et pour l’illustration des artistes comme Michel Borderie, Philippe Caza, Sebastião Salgado et Wojtek Siudmak.

Cela étant, nous sommes sans doute aussi appréciés pour avoir ouvert nos pages et nos couvertures à des auteur.e.s qui ont publié leur première nouvelle dans nos anthologies, ou à des peintres moins connu.e.s comme Vincent Biwer, Lara Bloy, Adrian Borda ou Thierry Clet.

Nous avons également des préfaces de livres sur des sujets graves, qui nous ont permis d’avoir des signatures de Prix Nobel, de personnalités des médias, ou d’une ancienne Ministre.

D’ailleurs, les sujets adressent souvent des thématiques d’actualité, autour des OGM, du nucléaire, du réchauffement climatique, des migrations… La SF est-elle nécessairement engagée et politique ?

L’engagement est un de mes ressorts. Avec les anthologistes à qui je confie la direction de livres, j’aime bien pousser la SF vers l’environnement et des grands sujets de sociétés. C’est ainsi que nous avons publié par exemple une anthologie sur le transhumanisme, dirigée par Andréa Deslacs ; sur le handicap, par Cécile Péguin ; sur la justice, par Hélène Marchetto ; ou sur la religion, par Éric Lysøe. Mais, même avec des thèmes plus légers, comme l’anthologie sur l’art de séduire (dirigée par Arnauld Pontier) ; sur les rapports hommes-animaux (par Stéphane Dovert) ; ou sur la gastronomie (par Pierre Gévart), nous nous efforçons de montrer que ces sujets amènent aussi à interroger le fonctionnement de nos sociétés et les relations de l’humain au monde.

Philippe Caza, invité à Imajn’ere et Prix Ayerdhal 2023, est notamment présent en tant qu’illustrateur mais aussi novelliste au sein de la maison d’édition : c’est quand même classe de l’avoir pour illustrer les anthologies, non ?

Oui ! Philippe Caza est vraiment quelqu’un d’extraordinaire. Je l’admirai déjà étant ado, pour ses BD comme Les scènes de la vie de banlieue ou Arkhê. J’ai été très touché qu’il accepte de me laisser utiliser une de ses illustrations pour la couverture d’une des premières anthologies que je dirigeais sur le nucléaire. Puis nous avons travaillé de plus en plus souvent ensemble et il a proposé de réaliser des couvertures originales.

J’ai juste eu peur le jour où il a décidé de répondre à un de nos appels à textes. J’aurais été très ennuyé si sa nouvelle n’avait pas été bonne et s’il avait fallu la refuser. Heureusement, Philippe a un talent d’écriture qui égale ses qualités d’illustrateur ! La meilleure preuve est que les éditions Arkuiris ont organisé un concours en partenariat avec le Prix universitaire Écrire la Ville, pour publier des fictions sur les arts dans les villes du futur. L’anthologiste, Émilie Chevallier Moreux, a présélectionné la nouvelle de Caza en même temps qu’une trentaine d’autres, qui ont toutes été soumises de manière anonymisée à un jury comprenant notamment des architectes et des professeurs de littérature. Et Caza a remporté le 1er Prix !

Depuis nous avons également travaillé ensemble sur un fix-up ou recueil de plusieurs de ses nouvelles, qu’il a illustrées, et qui est intitulé : Ginkoo-Bilooba, chronique d’une utopie modeste. C’est vraiment un des projets d’Arkuiris dont je suis le plus fier et qui a reçu beaucoup d’éloges.

Quelles sont les prochaines parutions prévues ?

Le Covid a laissé des traces et nous avons pris du retard sur plusieurs anthologies. Nous venons « enfin » de faire paraître Réseaux sociaux et numériques dans le futur (dirigée par Bruno Pochesci), et nous en avons au moins quatre dans les tuyaux à des stades plus ou moins avancés : Les arts dans les villes du futur (dirigée par Émilie Chevalier Moreux) ; Livres et bibliothèques, demain, ailleurs et au-delà (par Pierre Gévart) ; École et éducation du futur (par Jean-Guillaume Lanuque) ; L’Humour de demain et d’ailleurs (par Jean Paris)… Elles devraient s’échelonner de 2023 à 2024.

Nous avons aussi un projet de recueils de nouvelles de Julie Conseil, une auteure belge qui a un humour très original, et le volume 3 de « Futurs Simples » dirigé par Cécile Péguin, en principe tous les deux pour avant la fin de l’année 2023.

Et puis nous avons également deux projets un peu « secrets », un que je dirige d’une anthologie de nouvelles sur un thème assez spécial, avec plusieurs des « poids lourds » de la SF française, qui devrait paraître en octobre 2023 ; et un nouveau recueil de nouvelles et de dessins de Caza sur les aventures très déjantées de deux de ses personnages fétiches : Lola Lokidor et Rufus Tucru.

Et en temps qu’auteur, tu as des histoires dans les tuyaux ?

J’ai plusieurs nouvelles en cours, et surtout mon douzième roman à paraître le mois prochain, aux éditions Caban : L’évangile selon Suzanne.

Ce n’est pas vraiment de la SFFF, quoiqu’avec Jésus, il faut s’attendre à tout… En fait, c’est la vie d’une amie de Jésus Christ, qui s’efforce d’exister en tant que jeune femme juive dans une société très masculine et oppressante, tout en s’interrogeant sur le comportement et les intentions de son compagnon d’enfance.

Et puis, j’ai trois livres en chantiers parallèles. Je continue d’explorer sur un mode plus historique des biographies de peintres très importants dans l’histoire de l’art, mais relativement mal connus. Mon premier dans cette série concernait Hugo van der Goes, un grand primitif flamand du XVe siècle, sorti aux éditions Jourdan, en Belgique, en 2020. Puis j’ai publié une biographie du Maître de Moulins, pour lequel je viens d’ailleurs de recevoir mon premier Prix littéraire : le Prix Bourbonnais 2023.

Les deux suivants, qui sont en cours d’élaboration, traiteront d’un immense artiste vénitien trop peu connu, et d’une femme peintre en Angleterre à l’époque des Tudor, dont presque touts les œuvres sont perdues, un vrai défi de reconstitution romanesco-bibliographico-pictural.

Dans un registre concernant plus les genres SFFF, mais seulement à l’état d’esquisse détaillée, j’ai un projet de roman fantastique d’enquête sur une secte assez mystérieuse.

Il va me falloir quelques années pour écrire tout ça.

La tradition est de te laisser le mot de la fin :

Concilier tous ces projets, collectifs et personnels, est un défi. Parfois, je me sens écartelé entre ces engagements (et quelques autres, dont la participation à des salons ou festivals comme ImaJn’ère !). Cela étant, l’écriture est souvent un exercice bien solitaire, et j’ai le sentiment que, même s’il y a quelques frictions de temps en temps, partager et échanger au sein de notre communauté d’auteur.e.s et d’artistes est essentiel pour trouver un équilibre, et mutualiser nos espoirs et nos rêves.


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