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Interview de Claire Garand

En février, sortait aux éditions de La Volte le nouveau roman de Claire Garand, Paideai, un roman spatial qui nous a fait découvrir un futur où l’humanité est en grand danger. Dans ce récit, nous suivons une petite fille, parmi les 10 qui sont dans des stations dans l’espace, qui s’oppose au destin qu’on lui a promis.

Un roman intéressant à bien des niveaux et la double rencontre avec son autrice – à Rennes et à Angers – m’a incité à lui poser quelques questions autour de son métier d’écrivaine et autour de ce titre.

L’interview a été réalisée par mail en mai 2023.

Bonjour Claire, avant de parler de Paideia, publié à La Volte, pourrais-tu nous parler un peu de toi et de ce qui t’a mené vers l’écriture ? 

J’ai commencé à écrire vers l’âge de huit ans, des histoires d’espions. La première était une réécriture de la vie de ma grand-mère en espionne internationale, je l’ai toujours dans ma valise d’écriture qui m’a accompagnée dans mes 13 déménagements. Je n’ai jamais su pourquoi j’écrivais, je le fais, c’est tout. Si j’essaie de lui donner un sens, je la perçois comme une tentative de rééquilibrage entre ma conscience d’être au monde et mon existence de duplicateur. L’important étant que le papier se désagrège et qu’il ne reste aucune trace.

Tu as été récompensé pour un de tes précédents ouvrages Les Maîtres de la lumière : qu’est-ce que cela a signifié pour toi ?

Ayant toujours le sentiment que ce que j’écris ne correspond pas aux enjeux qui intéressent les lecteurs, la réception de ce prix m’a profondément surprise. C’est un livre Young Adult, initialement écrit pour ma fille.

Grâce à ce prix, j’ai rencontré des gens qui s’intéressaient à ces thématiques imaginaires et surtout, qui ne les méprisaient pas.

Si on revient à Paideia, quel a été le cheminement qui t’a incité à pousser la porte de Mathias ? 

Une amie autrice à qui j’avais fait lire le roman pour avoir son avis a pensé qu’il pourrait l’intéresser et le lui a envoyé.

Nous suivons une des dix petites filles qui sont dans l’espace… Mais que font-elles là-haut ? 

Ce que font les enfants de leur âge : jouer en détournant des objets (fusibles =fusées), aller à l’école (virtuelle), apprendre la vie en société (harcèlement, domination, amitié…), en famille (jeux avec leurs parents, avec leur animal de compagnie, règles de vie..), explorer leur monde et celui d’avant (par la base de données, les furetages dans la station), rêver de l’avenir et se croire immortel.

Notre narratrice est donc dans l’espace, dans une station, comme ses 9 camarades, avec en proximité uniquement ses parents et une IA… Niveau moral, ça doit être particulier, non ?

La morale n’existe que dans une société donnée, avec des références précises et spécifiques. En ce sens, toute société est particulière. Je ne sais pas si celle-là l’est plus que d’autres. Des sociétés très isolées ont toujours existé. Celle-ci est à la fois restreinte au présent et ouverte sur toutes celles qui l’ont précédées.

Si on creuse un peu le sujet, notre jeune héroïne se voit dans un rôle d’exploratrice mais on lui propose un autre destin… 

Elle ne voit que ce qu’elle veut voir. L’aveuglement fait partie de sa manière d’accepter sa réalité. Comme souvent, en fait. Le destin n’existe que si on veut en voir un, c’est auto-réalisateur mais pas performatif (à mon sens).

Pourtant, elle devrait pouvoir le choisir puisqu’il n’y a plus grand monde pour lui imposer une trajectoire : peut-on parler d’un conditionnement de la société, même si celle-ci n’existe plus vraiment ?

Le meilleur conditionnement est celui qu’on ne perçoit pas comme tel. Même si les règles disent qu’il n’y a pas de règles  – c’est est déjà une. La société dans laquelle elle vit est un résidu, une scorie de plusieurs concrétions de certaines sociétés précédentes.

Par ailleurs, choisir c’est avoir différents chemins à disposition, ou s’en tailler un à la machette.

Plusieurs questions sont posées dans ton roman dont une importante autour de la maternité et le désir d’enfants : trouves-tu que dans notre société actuelle, nous restons dans ce modèle où une femme se doit d’être une mère à un moment ou un autre, au détriment de ses propres aspirations ? 

Le roman ne questionne pas tant le désir d’enfants que sa nécessité. Aucune des petites filles du roman ne désire d’enfant, mais neuf sur dix en perçoivent la nécessité pour perpétuer l’espèce. C’est un non-choix de raison et non de désir.

Toute société cherche à perdurer et à faire perdurer ses valeurs et ses coutumes. Si ses membres meurent, elle meurt. Partant de cette lapalissade, oui, les femmes sont incitées à être mères, pour perpétuer ce qui peut être senti comme un style de vie, des idéaux, une culture, en somme. Elles n’ont pas le choix car l’utérus artificiel n’existe pas. Cette notion de transmission est au coeur de l’incitation/obligation à la reproduction. Comme s’il n’y avait rien de plus important que de laisser quelque chose après soi. Une sorte de fantasme d’immortalité par contumace.

Le meilleur conditionnement est celui qu’on ne perçoit pas comme tel.

Il concerne aussi bien les hommes que les femmes, tous boîtes à ADN selon l’expression de Richard Dawkins dans le gène égoïste.

Le temps presse, et son destin doit s’écrire… Pourtant, elle n’a que 7 ans : cet âge était pour toi aussi un moyen de choquer par la précocité et nous questionner sur les codes que nous communiquons à notre jeunesse ? 

Je voulais une héroïne à la fois consciente (sept ans = âge de raison symboliquement) et vulnérable (une enfant). Ce que j’écris est moins choquant que la réalité. Le fait divers de cette petite fille  violée, tombée enceinte et empêchée d’avorter au nom de la religion m’avait  – comment dire ? – outrée (elle n’est pas la seule et ne le sera pas, nous le savons). Il cohobait toutes les implications du gène égoïste. En plaçant la scène dans l’espace et dans d’autres circonstances, on dépayse (au sens juridique) l’affaire pour qu’elle soit jugée avec plus de recul. Choquer est contre-productif, car cela bloque la réflexion.

Nous oublions toujours de nous interroger sur nos modes de vie et de fonctionnement. L’uniformisation contrainte des sociétés ne nous aide pas à le faire. C’est pourquoi il est si essentiel de revenir aux sociétés anciennes, ou contemporaines mais qui ont eu le malheur d’êtres soumises, conquises, réduites en esclavages, dénaturées et donc considérées comme inférieures et dépourvues d’intérêt alors qu’elles sont autant de coups de boutoirs dans nos certitudes ridicules.

Tu as fait le choix de la SF pour questionner notre société : le genre s’y prête plus facilement de ton point de vue ? 

J’ai simplement cherché les conditions les plus extrêmes pour placer mon personnage vulnérable. Le vide était parfait.

Donc de la SF puisque je voulais que ce soit aussi réaliste que possible.

Et maintenant, as-tu un autre thème dans les tuyaux à nous proposer dans les prochains mois ?

J’écris lentement. En cours : une plaquette de poésies sur la joie, une nouvelle animaliste, une pièce de théâtre sur l’amour conjugal et le droit à mourir dans la dignité (oui, les deux en même temps), je viens de finir un roman jeunesse (9-11 ans) d’aventures SF (j’adore l’aventure, je regrette que ce ne soit plus au goût du jour), que mon agente va proposer à des éditeurs. Je prépare une nouvelle jeunesse sur les « transmissions » pour une anthologie à paraître dans quelques mois et je travaille depuis un an sur un roman de littérature générale portant sur l’amour filial (une vraie gageure, j’en ai encore pour deux ans à vue de nez tellement il ne se laisse pas faire).

Enfin, je prépare une lecture musicale de Paideia avec des musiques de Pierre Vinay et du groupe Utéki. C’est une expérience passionnante.

Je te laisse le mot de la fin

Alors ce sera un mot sur le style. J’y attache toujours une grande importance, en tant que lectrice et autrice. Même si c’est une source infinie d’insatisfactions.

Lecture et écriture sont liés. Je lis certains auteurs uniquement pour leur style alors que ce qu’ils racontent ne me passionne pas, ils m’emportent quand même. C’est admirable. Je les lis, les relis et les analyse.

Accorder le style au propos est fondamental. À chaque fois, il faut tout recommencer, c’est difficile mais sinon, il n’y aurait pas autant de plaisir à s’approcher de ce qu’on a à l’esprit. J’ai  encore du travail.

Je te remercie pour tes questions qui m’ont fait réfléchir, même si je me sens plus à l’aise quand j’écris des romans que quand j’en parle (écrire un roman me prend des années, j’y mets le meilleur de moi-même. Parler, c’est très rapide et ce n’est jamais aussi fouillé). C’était un plaisir.


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