Après avoir lu Immortalis, je me suis dit qu’il pourrait être intéressant d’avoir une petite discussion avec son auteur Elias Jabre… Contact pris avec l’éditeur, j’ai eu la joie d’apprendre qu’Elias acceptait notre invitation….
Allan : On sait en fait très peu de choses sur vous si ce n’est votre origine libanaise ; pouvez-vous nous parler un peu plus de vous ?
Elias : Mes origines sont déconnectées de mon récit. Je suis avant tout français. Je suis arrivé à Paris dès mon plus jeune âge au début de la guerre du Liban (1978).
Pour mon parcours, j’ai commencé par des études juridiques que j’ai poursuivies par un 3 èm cycle en droit et informatique, passionné par ce secteur qui révolutionne notre environnement le plus quotidien. Je me suis aussi intéressé à l’édition électronique et j’ai intégré un groupe d’édition (concurrent à celui où je suis publié !) pour travailler sur le ebook.
Sinon, je suis passionné de littérature, sans limitation de genre. En SF et fantastique, parmi mes premières lectures, j’ai dévoré tous les Stephen King. Je retiens plus particulièrement Barjavel, Huxley, VanVogt, K. Dick, Silverberg et bien sûr, le plus grand, Borgès.
Allan : Votre premier roman traite, entre autres, de la recherche d’immortalité – sujet éternel, si je peux m’exprimer ainsi – et de l’eugénisme qui est lui plus d’actualité ; les informations scientifiques que vous distillez tout au long de votre récit sont-elles avérées – et auquel cas, comment c’est passez votre recherche documentaire – ou bien est-ce sorti tout droit de votre imagination ?
Elias : j’ai procédé de deux manières pour écrire ce récit.
Je me suis documenté par moi-même sur les questions d’eugénisme et d’immortalité, notamment sur les moyens de rendre les cellules immortelles à l’instar des cellules cancéreuses. J’ai ainsi appris que des expériences en cours depuis plusieurs années en Italie ont permis par exemple, de prolonger la vie des souris d’une durée de 30% supplémentaire.
Ensuite, j’ai en effet fait appel à un ami, expert généticien, le docteur Jade Ghosn que je remercie. Il m’a permis de valider un certain nombre de points et de débats déjà très actuels qui sont posés dans la première partie d’Immortalis (thérapie somatique/ germinale ; eugénisme d’évitement/ de performance…).
Allan : Au sujet de l’eugénisme, on voit que des enfants sont créés génétiquement et se considèrent comme supérieurs aux autres… Les mutants –issus de la recherche – sont quant à eux parqués avec les tueurs et les opposants au régime dans un ancien hôpital… On a un peu l’impression d’assister à un remake futuriste de l’histoire. Enfants plus fort physiquement et intellectuellement, l’avenir de la France que vous brossez n’en est que plus inquiétant. Pourtant certains de vos eugéniques vont se ranger du côté des hommes plus classiques… Comment justifiez un tel revirement ?
Elias : C’est un des points fondamentaux de cette fiction. Les créatures qui se retournent contre elles-mêmes. Les eugéniques en cause, ont eu une trentaine d’année pour analyser leur statut exceptionnel. La question essentielle posée tout au long d’Immortalis est celle du sens, et à travers elle, celle de l’éthique. L’immortalité a-t-elle un sens ? Mais avant tout l’eugénisme a-t-il un sens pour les eugéniques ? Le fait de diposer de capacités exceptionnelles offre évidemment des atouts considérables par rapport aux autres humains. Cependant, l’objectif d’une vie n’est-il pas de réussir à construire quelque soit son potentiel ? Par rapport à ses propres hypothèses de départ. Et la gratification n’est-elle pas d’autant plus grande qu’au départ, en tant qu’être limité, il pèse un certain nombre d’incertitudes sur cette réussite ? L’idée de dépassement de soi est importante.
Etre eugénique, d’une part, ne dispense pas de construire. Les eugéniques restent des êtres humains. Cependant, le fait de savoir qu’on a été optimisé, fait perdre une certaine saveur à l’existence. A partir du moment où l’on est artificiellement exceptionnel, quel mérite y a-t-il à réussir ? Il y a là peut-être un déficit au niveau du sens et de la valeur de la vie. L’important n’est pas le résultat. Le sens se crée à travers le chemin qui permet d’arriver au résultat. L’eugénisme est utilitariste. Il passe à côté de la question du sens.
Allan : Concernant l’immortalité, pensez vous réellement qu’elle est plus une condamnation qu’une consécration ?
Elias : J’ai voulu aller au bout de la révolution génétique. L’eugénisme était traité avec le film Gattaca. L’immortalité est à mon avis l’étape ultime. Pourquoi serait-ce une condamnation ? Je disais que les eugéniques restent des humains avec l’obligation de construire leur vie. Des homo sapiens puissance 3, si vous voulez. En revanche, avec l’homo immortalis, on passe un cap, on arrive à un nouveau stade d’humanité. Le temps aboli, il n’est plus même question de construire sa vie. Même le concept d’identité n’a plus de raison d’être. Engendrer devient une aberration. Or, avons-nous été créé pour supporter une vie sans fin ? C’est l’idée que la vie n’a de l’importance que parce qu’elle est bornée. Sans la mort, vivre devient un voyage ennuyeux et interminable. Mais, si c’est la conclusion d’Immortalis, ce n’est peut-être pas la seule. Peut-être est-ce supportable, finalement, d’être immortel…
Allan : Trois personnages forts sont au centre du récit : le professeur Léonard, découvreur du secret de l’immortalité, le professeur Stanislas, découvreur du traitement génique et le ministre Lorentz représente-t-il les trois facettes de la recherche scientifiques à vos yeux ?
Elias : Il y a surtout deux facettes. Léonard, membre d’un comité d’éthique, pour lequel la science doit aider à soulager l’homme de ces maladies. Et Stanislas et Lorentz, pour lesquels, la science permet aussi de transformer l’homme et de le rendre plus fort. C’est le phantasme de puissance absolue.
Allan : Ce roman tient-il plutôt à votre avis de l’anticipation que de la SF ? Et pourquoi une échéance si brève (2014) ?
Elias : C’est de l’anticipation. Il prend ses racines dans une période proche de la nôtre (2010) et dans un environnment que l’on connaît. L’échéance est brève car ces découvertes peuvent arriver plus vite qu’on ne croit.
Allan : Vous semblez assez pessimiste puisque l’avenir que vous décrivez est finalement inéluctable…
Elias : La forme employée est celle de la tragédie avec l’idée de fatalité à travers le progrès qu’on ne peut arrêter. La tragédie d’une famille qui se répercute sur la société. Une tragédie finit mal…
Allan : Immortalis a reçu le prix du roman fantastique du festival de Gerardmer Fantastic’Art 2003. Une consécration pour un premier roman ?
Elias : Je dois dire que je suis plutôt heureux.
Allan : Vous n’êtes pas le seul auteur à vous inquiéter des dérives possibles de la médecine moderne, Mickael Crichton mettait en garde récemment contre les dérapages possibles des nano technologies (dans La Proie chez Robert Laffont). Pensez vous que la recherche médicale actuelle risque réellement d’avoir des conséquences facheuses ? Ou est-ce une inquiétude illégitime de l’opinion publique ?
Elias : J’ai lu la Proie que j’ai beaucoup aimé (ça m’a un peu fait penser un peu au film « Planète hurlante » je crois, avec des machines reproductibles qui utilisent des formes humaines comme leurre). Pour la recherche, c’est toujours le même débat : soit on améliore les conditions de vie, soit on risque de dériver sur des pratiques dangereuses. D’où l’importance des comités d’éthique qui orientent les décideurs. Par exemple, actuellement, si on utilise le clonage à bon escient à des fins thérapeutiques, ça permettrait de remplacer des organes et de sauver des malades. En revanche, le clonage reproducteur est source d’inquiétude.
Allan : Vous concluez votre livre par la citation de Woody Allen : L’éternité c’est long, surtout vers la fin : ne pourrait on pas rajouter aussi la célèbre de Rabelais : Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ?
Elias : En effet. D’ailleurs, je crois que je la cite avant.
Juste un point de plus sur les citations.
J’ai fait en sorte qu’une citation ouvre chaque chapitre d’Immortalis. J’ai voulu montrer que ce récit est constitué de scènes qui forment la combinaison d’une histoire, et que ces scènes correspondent à d’autres scènes dans d’autres histoires faites d’autres combinaisons. Cela vient en résonnance avec les propos du personnage Loanne à la fin du récit, quand elle range sa bibliothèque et ses livres. Pour elle l’immortalité, ce n’est pas perpétrer un individu, c’est l’histoire des hommes qui ss répète sans fin, de mille façons différentes. C’est l’idée d’éternel retour.
Allan : Quels sont vos projets dans l’immédiat ?
Elias : Ecrire encore et toujours.
Allan : Si vous avez eu le temps de visiter Fantastinet, qu’en avez vous pensé ?
Elias : Oui. J’ai beaucoup aimé votre site. Le contenu est riche, que ce soit pour les informations (pro./ dernières parutions…) eou les nombreux articles sur les livres. L’accès à l’info est simple. Pour la forme, j’agrandirai peut-être le rectangle où on peut lire le contenu ou je passerai à une technologie de type SPIP.
Allan : Le mot de conclusion sera ?
Elias : Merci pour votre lecture attentive et vos judicieuses questions.
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