A l’occasion de la sortie de Spin aux Editions Denoël, nous avons pu joindre l’auteur pour lui poser quelques questions… A savourer naturellement !
Allan : Avant de parler de Spin, pouvons nous parler de votre oeuvre ? Dans les romans comme Darwinia, The Chronoliths, The harvest ou Spin, il y a toujours l’Evènement qui chamboule le monde, et le laisse en attente : la chose est là, mais son but est mystérieux : ce choix de l’objet-mystère est-il pour vous un pivot de l’histoire ou un obstacle devant être dépassé ?
Robert Charles Wilson : Pour moi, cela représente tout ce qui est intrinsèquement imprévisible dans le futur.
Allan : Au sujet des entités qui dirige vos univers, fichiers de l’univers, hypothétiques ou autre, vous révélez leur identité, mais finallement, nous ne savons rien d’eux à la fin du roman, un nom, rien de plus : n’avez-vous pas l’impression de laisser un goût d’inachevé à vos lecteurs ?
Robert Charles Wilson : Ecrire sur des évènements (ou objets) qui depassent notre entendement risque de créer cette impression. Parfois, c’est le but cependant : dans « The Chronoliths », par exemple, la création de boucles temporelles signifie que le passé récupère de l’imprévisibilité du futur. La question « Qui est Kuin » dans ce roman reste non seulement sans réponse, mais il n’est pas possible d’y répondre. (Et une part de la condition humaine, il me semble, est d’apprendre à vivre avec de grandes questions sans réponses : Dieu existe-t-il ? Y-a-t-il un sens à l’univers ? La réponse mature serait « Je ne sais pas » – mais cela demande du courage de se confronter à sa propre ignorance).
Allan : Générallement, la science essaie de répoudre les problèmes, mais, que ce soit dans Spin, Darwinia ou autre, la situation se résoud d’elle-même. L’intervention de la science semble être un échec et, dans ce cas, la foi semble être – comme on le voit à travers celle de Diane dans Spin – la meilleure solution… Doit-on y voir une désillusion vis-à-vis de la science ?
Robert Charles Wilson : La science, pour moi, ne créé pas de solution – ce qu’elle essaie d’obtenir est une meilleure compréhension du problème. Notez, cependant, que la fois de Diane n’améliore pas non plus le problème.
Allan : Passons maintenant à Spin. Comment le présenteriez vous aux lecteurs de cette interview ?
Robert Charles Wilson : C’est un livre sur le temps et notre courte place en son sein.
Allan : Faire disparaitre les étoiles, c’est déranger totalement notre univers… Comment avez-vous pu imaginer cet évènement ?
Robert Charles Wilson : Il y a quelque chose d’idylique dans le déroulement de l’évènement. Mais comme acte imaginatif, il n’est pas si différent de la Machine à Remonter le Temps de H.G. Wells – vraiment, la barrière Spin est une machine à voyager dans le temps suffisamment grande pour contenir une planète.
Allan : Cet évènement est subit – violent même – et, malgré tout, pour de nombreuses personnes, la vie continue comme avant… Est-ce un déni de la part des populations ?
Robert Charles Wilson : C’est un déni compréhensible. Les personnes vont continuer à vivre leur vie aussi longtemps qu’ils le peuvent physiquement, en dépit des évenements externes. C’est peut-être même une attitude admirable, dans certaines circonstances.
Allan : Les réactions de vos personnages sont assez représentatives de ce que pourrait être la réalité lié à un tel évènement : recherche de l’origine de l’Evènement par la science (Jason) ; refuge dans la religion (Diane) ; poursuite comme auparavant (Tyler)… Vouliez vous montrer quelque chose au travers de ces trois attitudes ?
Robert Charles Wilson : Je pense que Tyler, finalement, est celui qui a la force de vivre avec son ignorance d’humain plutot que de lutter contre elle. Jason et Diane veulent tout comprendre et ce à très grande échelle, afin de donner du sens à leur propre vie. Tyler est disposé à prendre la signification là ou elle se trouve.
Allan : Finalement, nous sentons un important détachement de Tyler qui semble vivre à travers les vies de Diane et Jason : il semble être le personnage le moins convaincu, le plus fragile. Vous ne l’épargnez pas alors qu’il voulait juste vivre sa vie tranquillement… Pourquoi ?
Robert Charles Wilson : Il est une victime comme les autres. Et, d’une certaine façon, il représente la génération créée par le Spin, tout comme Diane et Jason le sont. Ils sont comme toutes les victimes d’un naufrage, s’accrochant aux morceaux de l’épave.
Allan : L’agressivité dont est victime le Martien du fait du refus de l’autre, différent, trouve un étrange écho… Quand on écrit de la SF, doit-on montrer dans l’écriture les dérives actuelles ou possibles ou s’agit-il seulement d’une anecdote ?
Robert Charles Wilson : Le personnage du martien Wun Ngo Wen m’a intéressé de par son refus de se conformer aux espérances pleines d’espoir – Tout le monde sur Terre voulait qu’il soit un sauveur ou un démon, mais il est seulement un homme. La civilisation martienne est humaine. Nous n’échapperons pas à cette crise, en d’autres termes, en dépassant notre humanité. Jason a fait la tentative la plus sérieuse, et il échoue.
Allan : Nous avons discuté des étoiles, mais un autre élément a considérablement changé : le rapport au temps. La Terre est condamnée à disparaître à court terme du fait de son rapprochement du soleil : est-ce que ce seul élément explique à vos yeux le refus de la population ?
Robert Charles Wilson : La mortalité de la Terre et du système solaire que nous habitons est une réalité – C’est seulement une réalité que nous ne sommes pas forcés à affronter dans notre vie de façon significative. Et d’un autre point de vue, c’est notre propre mortalité, et la mortalité de nos espèces.
Allan : A la fin, nous avons le sentiment que vous avez envisagé une suite, suite que vous avez par ailleurs confirmée sur un autre site français (ActuSF) : quand pourrons nous la lire et que se passera-t-il ?
Robert Charles Wilson : Je prévois trois livres, bien que cela ne soit pas nécessairement une trilogie conventionnelle. Le second livre, Axis, se situera sur le monde colonisable de l’autre côté de l’Arche, qui sera exploité pour ses ressources naturelles. Une jeune femme retourne sur ce monde pour rechercher son père, qui a disparu dix ans plus tôt. C’est une sorte de nouvelle de mystère, avec des indices qui dépasse les réalités humaines. Ce sera un pont vers Vortex, le troisième volet, qui couvrira, tout comme Spin, une vaste période. Axis paraitra en amérique du nord en septembre 2007. (mais avant de commencer à écrire Vortex, je vais travailler sur un roman à titre d’essai appelé Julian Comstock, qui se déroulera dans un 22ème siècle post-effondrement-écologique dans une théocratie américaine).
Allan : Vous avez recu pour « Spin » l’Hugo Award en 2006… L’Hugo, un rêve d’enfant qui se réalise ou la récompense est finalement secondaire ?
Robert Charles Wilson : Les récompenses sont importantes, et l’Hugo était une étape importante pour moi. Mais, finalement, les récompenses et les prix n’écrivent pas de livres ; ils sont uniquement un reflet du travail passé, et tout auteur se concentre naturellement sur le travail en cours.
Allan : Quel a été votre sentiment quand vous avez entendu que vous aviez le prix ?
Robert Charles Wilson : En toute honnêteté, je ne m’y attendais pas. Ce n’était pas évident – en tout cas pour moi – que Spin gagnerait le prix : il y avait des finalistes de grande qualité.
Je m’étais déjà rendu aux remises des Hugo avant, et j’ai déjà été nominé auparavant, et j’avais écarté l’idée que je pouvais gagner. Je n’avais pas préparé de discours pour cette remise – j’ai juste rejoint la scène et remercié toutes les personnes qui me venaient à l’esprit. Tout le reste demeure flou…
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