Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Rencontre avec Patrick K. Dewdney

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Si vous n’avez pas encore lu L’Enfant de Poussière, premier opus du Cycle de Syffe, il va être temps de vous mettre à la page. Car l’auteur, publié Au Diable Vauvert, a déjà deux titres à son palmarès avec le prix imaginaire de la 25ème heure du livre (premier auteur primé) et le Prix Julia Verlanger qu’il a reçu le lendemain de cette interview. Ce qui surprend en rencontrant Patrick, c’est son âge  bien jeune au regard de la profondeur de son texte… Un auteur à découvrir de toute urgence !

Bonjour Patrick, pour ceux qui ne te connaîtrais pas, pourrais-tu te présenter à nos visiteurs ?
Salut. Je suis Patrick, un être humain de la planète terre qui écrit des livres . J’ai transité par le polar, la poésie et puis le roman noir avant de débarquer en imaginaire cette année avec le cycle de Syffe et les deux premiers tomes, l’enfant de poussière et la peste et la vigne.

Tu parles très bien français, tu es si je ne me trompes pas britannique ?
Je suis britannique, je suis bilingue mais je suis arrivé suffisamment tôt pour ne pas m’être birkinisé plus qu’il n’en faut.

Est-ce volontaire d’écrire en français plutôt que la langue de Shakespeare
C’est plus une conséquence de mon cursus. Je suis un pur produit de la faculté des lettres et des sciences humaines. Je pense que mon apprentissage de la langue s’est essentiellement déroulé autour de la langue francophone. C’est donc celle-là, comme je la maîtrise mieux, dont j’en maîtrise mieux les tenants et les aboutissants : je pense que c’est pour ça que je me suis naturellement toujours orienté vers le français en terme d’écriture et je pense qu’aujourd’hui la question ne se pose plus puisque j’ai treize ans de métier cette année. Je pense que le travail de la langue occupe une place quand même importante qui dans mon travail d’une manière générale et ce depuis le tout début. Je ne vais pas tout bazarder maintenant pour recommencer à zéro dans une langue que je maîtrise moins bien.

Tu nous as indiqué être passé par le roman noir, la poésie. Pourquoi l’imaginaire maintenant : est-ce une volonté de toucher à tout ou c’est la suite logique des essais d’avant ?
Je pense que c’est plusieurs choses. En fait, on va dire que, d’une part, je n’ai jamais réellement pensé que le genre était quelque chose de particulièrement important en littérature. Du coup, on m’a toujours dit que j’ai écrit telle ou telle chose ou comme je te le disais tout à l’heure, j’ai fait du roman noir, du polar. Je te pose les choses pour les abréger, je me suis toujours trouvé sur la frontière entre différents genres et c’est un choix plutôt assumé. J’ai écrit a priori quelque chose que l’on pourrait appeler de la fantasy, on pourrait être super-select et dire, comme certains me l’ont dit, de la hard fantasy. Je dis que c’est de l’imaginaire, et en vrai que ce sont des romans, des histoires. J’aime bien l’idée que ce soit un livre qui soit lisible par a peu près n’importe qui en dehors des prédispositions de chacun à lire tel ou tel genre littéraire. Après, si je dois être tout à fait honnête, c’est plutôt ce genre de livres qui m’a, moi, toujours attiré ;en tout cas c’est le genre de livre que j’ai toujours voulu, probablement d’avantage que tous les autres. Cette littérature, pour pas mal de raisons, m’a toujours intéressée davantage que les autres et en gros, cela a toujours été une ambition d’écrire un cycle, mon cycle, une sorte d’œuvres imposante dans ce genre là ou en en tout cas dans mon interprétation de ce genre là. Et je pense que j’ai toujours su qu’il fallait peut être que j’attende avant de me lancer pour ne pas me casser la gueule. En gros , d’avoir les épaules littéraires pour le porter, de pratiques et de compréhension de ce que je faisais pour pouvoir me lancer dedans. Quand je l’ai senti je l’ai fait.

Puisque nous parlons de la volumétrie de l’œuvre, j’ai cru comprendre que tu anticipais sur 7 volumes ?
Oui. C’est conçu comme une heptalogie. Après, qu’on soit clair, je sais exactement où je vais, je connais mes axes narratifs principaux, j’ai la plupart de mes axes narratifs secondaires mais je conçois aussi l’écriture comme un processus un peu organique. La par exemple, je me retrouve dans un début de troisième tome que je n’avais pas prévu d’écrire. Je vais essayer de rassurer tout de suite, car pas mal de personnes en off ont l’air un peu inquiètes à l’idée que je puisse R.R. Martinisé, ce n’est pas le cas, tout va bien. Le cycle suit son cours tranquillement. J’écris pas beaucoup actuellement car en promo mais j’attaque l’écriture d’une partie que je n’avais pas prévu d’écrire mais ça ne change rien radicalement. Tout Va Bien.

Ca n’a pas fait peur au Diable Vauvert chez qui tu es édité que tu arrives en disant que mon cycle, ça sera une heptalogie ?
Franchement, il faudrait poser la question à Marion Mazauric. Je suis toujours époustouflé par ce qui s’est passé. Le fait qu’aujourd’hui, que ce soit en fantasy ou dans un autre genre, un éditeur s’engage ainsi avec un auteur, parce que nous parlons d’un processus d’écriture avec une collaboration qui va s’étaler sur vraisemblablement une quinzaine d’année. C’est énorme. Je ne peux pas vraiment te dire qu’est ce qui a fait qu’ils ont décidé de se lancer la-dedans, parce que j’attendais pas à ce qu’on me suive dans ce truc. J’ai pas du tout démarché pour que le cycle soit publié. Le manuscrit a transité par une personne qui l’a fait lire à Marion et Marion a décidé qu’elle allait le publier. De mon côté, je n’avais pas fait de démarche par rapport à la publication déjà parce que j’avais aucun contact dans le milieu de l’imaginaire, donc je n’avais pas la moindre idée à qui m’adresser et qui ce genre de projet pourrait intéresser. Et, parce que je n’étais pas vraiment certain de ce que j’avais fait en vérité : j’avais besoin d’un recul de professionnels du milieu avant de commencer à envisager que ce soit publié. Finalement, la décision s’est prise avant que je n’ai vraiment eu mon mot à dire. Non seulement le Diable me publie sur cette durée et ça s’est posé, c’est comme ça. Mais en plus, je travaille avec Marion notamment qui a une compréhension à la fois littéraire de mon travail et à la fois de la globalité de ce que j’essaie de faire dans ce cycle qui est juste un confort absolu au niveau des conditions de travail.

je travaille avec Marion notamment qui a une compréhension à la fois littéraire de mon travail et à la fois de la globalité de ce que j’essaie de faire dans ce cycle qui est juste un confort absolu au niveau des conditions de travail.

Ca te met dans le même catalogue que Neil Gaiman, Ayerdhal, Pierre Bordage…
Evidemment, il y a ca. D’une part, c’est prestigieux, d’autre part, le fait de travailler avec quelqu’un qui comprend ce que tu fais, et qui est pas juste là pour vendre des bouquins, qui est dans une compréhension du processus artistique lui-même, c’est super précieux.

Parlons de Syffe. Qui est-il ?
Syffe est un jeune orphelin aux origines mystérieuses qui est le héros de la saga que je suis en train d’écrire. C’est un enfant qui grandit, un enfant des limites, des lisières, un enfant des friches. Il grandit à la lisière de la ville frontière où il habite. Il grandit entre deux peuples, même plusieurs peuples. Entre les habitants dit cornebrumois et les sauvages comme les appellent les cornebrumois perçus eux-mêmes comme ceux de la ville. Il est un peu à cheval entre deux mondes à la base. Un mode de vie sédentaire, un mode de vie semi-nomade.

Avec cette particularité que son nom est aussi le nom d’un peuple. Il est en plus victime d’une forme de racisme, on peut employer le terme ?
Oui. Je pense qu’on peut employer le terme. Il s’agit d’un racisme ordinaire. En gros, on l’appelle comme on l’aurait appelé l’indien. Les cornebrumois, qui sont installés à proximité des terres sauvages savent que l’un des peuples qui habitent le plus proche de Cornebrune, sont les syffes. Même s’il y a beaucoup d’autres peuples, les gahishs, les gaïcs, les payenotes, des montagnards qui viennent trinquer à la cuvette, l’endroit où les rencontres entre les différents mondes se font. Ils préfèrent appeler tout ça les Syffes car c’est plus simples pour eux. Certains ne disent pas les Syffes, mais disent les teintés. On est plus dans ce cas dans un racisme assumé. Mais sur les Syffes, oui, une forme de racisme institutionnel gratuit.

J’ai trouvé que pour lui, ça va pour vite comme dans le roman. Dès les premières pages on le voit confronter à ce racisme ordinaire, après ca va être beaucoup plus violent, mais aussi l’amour, un amour un peu rejeté : tu ne lui as vraiment pas rendu la vie facile dès le départ.
Non. Après, je pense que dans la mesure où c’est plus ou moins clair pour les lecteurs qui attaquent le premier tome que c’est conçu comme un roman initiatique. Je pense que pour le coup, rien de nouveau sous le soleil : on grandit dans le conflit . On sort grandit des épreuves entre guillemets. En tout cas, je sais pas si c’est très intelligent que je dise ça, car finalement Syffe n’en sort pas forcément grandi et puis d’ailleurs, ce n’est pas forcément ce que je pense en fait. Mais disons que ce que m’intéresse dans le roman que j’ai écrit par rapport à ce processus initiatique, c’est que c’est la première fois que j’ai la matière narrative pour montrer de bout en bout la trajectoire d’un personnage. C’est quelque chose qui m’a toujours importé dans mon écriture, c’est de montrer, d’apporter quelque chose d’un peu rationnel par rapport à la construction de chacun. C’est-à-dire que je ne suis pas dans un regard d’interprétation moraliste du monde, quelque soit le monde que j’ai mis en scène et cela m’a toujours importé qu’on n’est pas des bons et des méchants qui sont des concepts à mon sens inintéressants. Par contre, on a des gens issus de leur trajectoire et de leurs expériences.

D’habitude, dans les livres de fantasy, déjà pour une trilogie, et d’autant plus pour une heptalogie, on a tendance à penser que cela va aller lentement, que le rythme va être posé avec une construction d’univers riche, on voit très bien la construction de ton univers mais par contre, ça va très très vite, beaucoup d’actions, de guerres, de personnages aussi même si on concentre sur quelques uns… Il va te rester de la matière, j’imagine que oui.
Non. Là, tu as mis le doigt dessus, je suis déjà à bout… Non ce n’est pas vrai. Il me reste clairement beaucoup de matière d’autant qu’on est à la première personne ce qui a des avantages et des inconvénients. La narration s’effectue à la première personne. Mais ça permet justement d’avoir une vision sous œillère d’un univers. J’ai encore pas mal de choses à montrer et à dire. Mais surtout, j’ai une histoire à dérouler et on est au tout début.

Par rapport à ça, on a le personnage de Syffe et tous ceux qui gravitent autour. J’ai trouvé que la place des femmes étaient mise en avant. Notamment Breanna, y compris dans le premier où elles avaient un rôle à jouer qui n’était pas forcément un rôle de premier plan mais on les voit bien agir dans l’ombre. Est-ce que tu avais envie de mettre en avant les femmes ?
Dans le deuxième tome, c’est évident. Quitte à un peu ne pas être d’accord avec toi, je trouve que dans ce premier tome, les femmes sont plutôt absentes. On a le personne de Driche qui est un des personnages les plus forts, qui est l’ami de Syffe, qui est issu du clan Gahish et qui noue une amitié extrêmement forte. En dehors de ça, on a Brindille aussi , la fille dont il est amoureux. Je pense que mon ambition, en tout cas dans le premier tome et partiellement dans le second, même si les choses changent un peu avec Breanna qui est un personnage plus posée, établie, moins effleurée en tout cas, j’ai envie de mettre en scène un monde clairement patriarchal, en tout cas des cultures clairement patriarcales pour plusieurs raisons : déjà parce que c’est effectivement une de mes préoccupations dans ce cycle, en tout cas ce sera une de mes préoccupations de parler de ces question là mais pour faire ça, je pense au préalable poser la mécanique sociale de l’univers dans lequel ça se déroule. C’est-à-dire que j’essaie de montrer que l’univers tel qu’il est, c’est-à-dire dire clairement patriarcale où les femmes occupent un rôle de second plan, pas pour des raisons qui tiennent à ma volonté mais qui sont de l’ordre des us et coutumes de cette culture là. Et si je veux plus tard remettre en cause cette condition, je suis d’abord obligé de poser l’univers tel qu’il est. Après on va rencontrer des cultures très très différentes, notamment les foyers éponnes qui sont un assemblage  de tribus vivant le long de la côté des pluies, dans les falaises, qui sont une culture matriarcale de façon claire et établi.

J’avais bien vu le côté patriarcale, j’avais ressenti malgré tout en sous-jacent les femmes qui mettaient leurs empreintes.
C’est sûr qu’elles mettent leurs empreintes. C’est la base mais je pense que dans la suite, on va avoir des personnages féminins plus présents et plus forts qui vont être d’ailleurs centrales à l’intrigue. Je pense même que dans la suite des tomes, les personnages féminins seront même des personnages centraux dans la suite du cycle. Voir même bien plus importante que les hommes.

Deux premiers volumes déjà sortis au Diable Vauvert, le troisième en cours. Tu l’estimes à 1, 2 ou 10 ans ?
Le rythme d’écriture que j’essaie de tenir, c’est un rythme de deux ans par tome. Là, je ne peux pas écrire autant que je le voudrais car je suis plus ou moins partout qui s’’ajoute des prévus d’ordre personnel, par exemple je déménage aussi et j’ai des soucis pour l’établissement de ma ligne internet et j’utilise beaucoup internet pour travailler. Bref, ça a été un micmac. Mais les choses sont en train de se poser et je vais pouvoir me mettre un peu plus sérieusement à la suite bien que je suis pas du tout inquiet par rapport au fait que je puisse ne pas R.R. Martinisé : il n’y a aucun souci là-dessus pour moi.
Car je ne suis pas sûr que tout le monde est la patience d’attendre le 7ème volume de la même façon que nous attendons le dernier de Game of Throne.

J’imagine qu’avec un cycle de cette envergure, il n’y a pas d’autres sujets à côté ?
Littérairement, non. Après il y a un projet avec Fanny Etienne-Artur qui est illustratrice des livres et qui a en gros conçu tout l’univers visuel autour des livres. Ca ne sera certainement pas entre le volume 2 et le volume 3 mais peut être entre le volume 3 et 4 : on envisage de faire quelque chose qui s’apparenterait à un carnet de voyage, toujours dans le même récit rapporté que dans le cycle. Avec des personnages différents mais qui ont été assemblés, encore une fois, par Syffe pour présenter l’univers étendu dans lequel il évolue.

Après, j’ai quand même des petits projets à côté, qui sont d’ordre littéraire, mais un peu désaxé par rapport à la littérature même. Je suis en train de travailler sur l’élaboration d’un tryptique. Je n’ambitionne plus de publier de poésie.

Mais le récit dans Syffe, reste poétique.
Merci. La poésie pure, je n’ambitionne plus d’en publier mais par contre, je souhaite travailler avec des plasticiens. L’année dernière j’ai sorti un triptyque qui s’appelle Carnage en partenariat avec ma soeur cadette Naomie, qui est une sorte d’exploration apocalyptique autour du thème de annihilation.
Et avec des collaborations texte image et la je me lance dans autre chose encore autour du thème de l’interstice avec une légère obsession autour du chiffre 3 avec un artiste parisien Narcisse Stein.

Ce sont tes premières Utopiales : tu en penses quoi ?
Oui, c’est la première fois que je viens même en mode spectateur. C’est impressionnant, c’est une grosse machine très bien rodée. C’est un peu intimidant mais c’est super chouette.

Tu as eu le premier de l’imaginaire du Mans, ca fait quoi ?
C’était un honneur évidemment de recevoir ce prix, d’autant que c’était le premier livre récompensé par ce prix donc c’est toujours chouette. D’autant que, de ce que j’ai compris, c’était à l’issu d’un débat plutôt intéressant entre les membres du jury. Ce que j’ai ressenti, via l’entretien qui a eu lieu après et ça c’était super chouette qu’on ne soit pas dans le truc classique, monter sur scène, recevez votre prix, soyez pris en photo, remerciez votre famille et vos parents et repartez en coulisse. Là ce n’était pas du tout ça, voilà ton prix, maintenant on va discuter. Et du coup, j’ai beaucoup aimé, que la cérémonie de remise de prix soit en réalité en entretien, j’ai trouvé ça vraiment chouette. D’autant que c’était pointu, ce n’était pas un entretien rapide. C’était fouillé et mené par quelqu’un qui avait manifestement creusé le sujet et ca fait plaisir.

Le dernier mot ?
En conclusion de tout ça. Mangez du poisson ! Vive la Commune ! C’est mon dernier mot.


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