Les éditions de La volte exite depuis maintenant plus de 15 ans et approche tranquillement même des 20 ans. Mis en lumière suite au succès de Les Furtifs d’Alain Damasio, le travail des volté·e·s n’est pourtant pas nouveau. Doté d’un riche catalogue (Philippe Curval, Li-Cam, Jacques Barberi, Sabrina Calvo, …), la Volte s’avance aussi sur des sujets de société comme en témoigne Au bal des actifs Demain le travail ou Sauve qui peut, Demain la santé mais arpente aussi des sujets plus positifs au travers, par exemple, de la collection Eutopia. Rencontre avec Mathias !
Bonjour Mathias et tout d’abord tous mes voeux pour cette nouvelle année. Avant toute chose, pourrais-tu te présenter à nos visiteurs qui ne t’auraient pas encore croisé ?
Bonjour et bonne année, je m’appelle Mathias Echenay, j’ai 53 ans et je suis passionné de litterature, je veux changer le monde et lutter contre la barbarie. Du coup avec ces ambitions, j’ai tendance à être pénible …
Les éditions La Volte ont été créées en 2004 : qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans l’aventure de l’édition ?
J’ai toujours travaillé dans l’édition, plus exactement dans la diffusion (la partie commerciale) parce que j’avais decidé après une Ecole de commerce d’aller dans le secteur de ma passion. Et lorsque j’ai rencontré Alain Damasio, après lui avoir cherché vainement un éditeur pour la Zone du Dehors, je l’ai publié chez Cylibris, fondée par un copain. Quelques années après, pour le projet de La Horde du contrevent, un grand éditeur chez Flammarion – où je travaillais alors – Jacques Chambon, a été super partant, mais hélas il est décédé brutalement. A partir de là, après quelques refus ailleurs, Alain m’a convaincu de monter notre propre structure, avec l’aide de quelques amis. C’était en parallèle de mon travail, pas de salarié, très peu de livres, l’idée étant de s’aménager une zone de totale liberté.
Quand on parle de La Volte, on a l’impression d’un collectif plus que d’individualité. Une volonté de ta part de t’effacer au profit du collectif ?
Il y a en effet des “voltés”, ce sont celles et ceux qui veulent participer à la certains projets, souvent de façon bénévole mais pas seulement. Et oui j’aime le collectif, qui m’aiguillonne, donne des idées, pour certains projets on a vraiment bossé en groupe. Et les écrivaines et écrivains sont proches voire amis, il y a même un groupement littéraire avec une partie de la bande Zanzibar (voir www.zanzibar.zone). Donc je ne pense pas que je m’efface, je préfère peut-être que les auteurs soient mis en avant.
Ce qu’on note aussi c’est le côté engagé des autrices / auteurs, qu’on retrouve aussi dans certaines publications et je pense notamment Sauve qui peut, demain la santé.
Une partie de la SF a toujours parlé de la société, critiqué, alerté, parfois proposé, c’est vrai qu’au-delà de cela – et qui constitue une partie majeure du catalogue – les auteurs-mêmes sont très impliqués dans certaines luttes, en general très à gauche ou anar: anti-Gafam, pour les ZAD, sur les questions des genres, de tous les rapports de domination. Mais tout cela ne constitue pas un programme commun, chacun a son opinion, il y a meme des échanges parfois violents entre nous, il ne s’agit pas d’un parti – ou d’une secte comme un crétin l’a affirmé -, ça vit, ça bouge, ça questionne, ça créé et ça s’amuse !
Le catalogue des éditions La Volte contient des noms prestigieux des littératures d’imaginaire : Alain Damasio bien sûr mais aussi Catherine Dufour, Sabrina Calvo, Philippe Curval mais pas que… Comment devient-on un·e auteur / autrice volté.e ?
Ils ne publient pas tous à la Volte systématiquement – Catherine, une nouvelle en tout et pour tout, mais elle fait partie de Zanzibar en effet. Eh bien, j’en sais rien, nous avons du mal à traiter les manuscrits qui déboulent, nous ne voulons pas multiplier le nombre de parutions, du coup ça peut paraître ardu…ce qui compte, c’est le texte Je pense qu’au fond notre ligne éditoriale est une ligne qui passe par des chemins escarpés, voire qui ouvre des voies, tout en essayant d’être vigilant pour ne pas succomber à l’attrait un peu snob de l’expérimental, de la complexité d’un texte au detriment d’une histoire. Tout ça pour dire que c’est ce qui réunit principalement les gens qui passent à un moment ou un autre par la Volte, cela révèlent des affinités, c’est rarement un hazard. Des primo écrivains ont été édités récemment dans le recueil sur la santé, nous avions fait pour la première fois un appel à textes public, ce qui nous a donné le plaisir de découvrir de nouvelles plumes. Donc, je crois que nous sommes très ouverts, tout en étant hyper selectifs. Tu crois que c’est contradictoire?
Depuis deux ans, la situation n’est pas simple… Comment gère-t-on cette période en tant qu’éditeur ?
ous avons eu la chance de connaître le succès en 2019, donc nous étions à l’abri de la sécheresse. Cependant, certains livres sont passés à l’as, et cela fait mal au coeur; nous qui comptons beaucoup sur les librairies, cela a été vraiment pas top parce que les libraires ont eu moins de temps à consacrer aux découvertes, aux livres inattendus. Nous ne sommes pas demoralisés du tout, mais un peu tristes depuis mars 2019, avec des événements en librairies annulés, les festivals et salons ont pour la plupart été en berne,
En 2019, Les furtifs parait et explose tous les chiffres : un succès attendu ?
Nous avions bien preparé notre coup, réfléchi à ce que nous voulions porter, cependant j’ai été totalement scotché par le tsunami, j’en rêvais certes mais j’avais parié sur 40 000 ventes pour être très clair, et cela a atteint en grand format plus du triple en 2019… un truc inouï. Et ce n’est pas grâce à notre lancement je pense, c’est un phénomène, depuis La Horde du contrevent, qui nous dépasse. Cela montre qu’il y a un public, de SF, de militants, de curieux, et c’est réjouissant.
Et maintenant, l’année 2021 vient de se terminer : qu’en retiens-tu ?
Dans ce contexte avec bien peu d’événements, nos livres ont été repérés, les libraires nous accompagnent de plus en plus, aussi grâce à Nay qui bosse à la Volte depuis 1an. Ca, c’est très positif. En revanche, je pensais que parmi les media non specialisés “littés de l’imaginaire” , ça aurait évolué depuis Les furtifs, eh bien hélas non: pour Melmoth furieux de Sabrina Calvo, on a cherché à intéresser tous les journalistes qui avaient parlé d’Alain Damasio, et qui le sollicitent encore – tous les jours je reçois des demandes – , qui avaient réagi sur l’approche littéraire, sur la critique sociale, peine perdue. C’est de la SF donc c’est pour les critiques specialisées, ce n’est pas dans la rentrée littéraire, pas dans les débats d’idées qui pourtant refleurissent sur “le monde d’après”, les utopies …. Bref, ça m’énerve pour la Volte et pour toute la SF, encore plus pour ce roman poétique, fou, insurrectionnnel qu’est Melmoth. Il se vend bien néanmoins, mais j’ai l’impression que c’est vraiment auprès du lectorat SF. Et aussi un peu du côté des LGBTQ+. Et puisque tu me branches là-dessus, je precise que je ne suis pas du tout aigri, je suis plutôt determiné, parce que je suis sûr que cela va changer du côté des media, comme ça a commencé en librairie. On remet le couvert en mars pour Tè mawon de Michael Roch, on veut faire vraiment fort. Avec en plus les thématiques de décolonialisation, ça va envoyer du lourd !
Si tu avais une déception sur cette année, un titre par exemple qui n’aurait pas reçu l’accueil qu’il aurait mérité, ce serait laquelle et pour quelle raison ?
Je ne vais pas citer Melmoth, qui a rencontré un certain succès et va continuer, mentionnons Comme ce monde est joli de Karen Joy Fowler, un recueil de nouvelles d’une américaine que peu de gens connaissent dans les pays francophones, dit comme ça on ne rêve pas: en réalité, c’est un bijou, l’objet est très beau, les nouvelles ont été choisies et traduites par luvan et Léo Henry, elles ont presque toutes été primées outré-atlantique, l’autrice y est très reconnue, pour son approche des questions de genres, les questions feministes aussi, sur les conventions sociales. C’est de la SF parfois, fantastique aussi, inclassable presque tout le temps, bref, c’est de la littérature et c’est génial.
Parlons 2022 : ce sera quoi l’actu côté La Volte ?
Après Variations Volodine, une folie textuelle et musicale qui vient de sortir, Tè mawon dont je viens de parler, une édition d’un classique qui traverse les décennies, Le ressac de l’espace revu par son auteur Philippe Curval. Ensuite, on verra en temps voulu, chez les étrangers un nouveau Jeff Noon, un nouveau Angelica Gorodischer…
Je te laisse le mot de la fin.
D’accord, alors je reste sur notre determination à donner envie de lire des fictions sans etiquette, qui relevent de la SF, du fantastique, du bizarre, qui sont avant tout de la littérature. Qui en plus peuvent toucher profondément les gens, désincarcérer le futur, comme dit Zanzibar. C’est dans cette optique que ce qui se trame avec les autres maisons d’édition dans le cadre du Mois de l’Imaginaire, est important : nous oeuvrons ensemble à faire exister des genres auprès des différents publics. Idem avec l’Observatoire de l’Imaginaire qui permet de dresser un état des lieux de la production, des recensions mediatiques. Encore des actions en collectif. Et donc le mot de la fin, c’est : COLLECTIF.