Réalisée par :mail
Date :juin 2004
Lors de la parution des Légions dangereuses, Fabien Clavel, jeune écrivain plein de talents, a accepté de répondre à nos quelques questions…
Allan : Tout dabord, bonjour ; je tenais à vous remercier davoir accepté notre invitation et de nous avoir accordé un peu de votre temps !
Fabien : Tout le plaisir est pour moi !
Allan : Avant tout de chose, jaimerais que vous nous en appreniez un peu sur vous, sur vos goûts littéraires et autres et sur ce que vous acceptez de dévoiler.
Fabien : Je suis un auteur débutant de 25 ans, passionné par lantiquité et la littérature en général. Question goût, jaime beaucoup de choses, de Victor Hugo à San-Antonio, en passant par la science-fiction, la fantasy et la littérature hongroise.
Allan : Votre entrée dans le monde de lécriture sest faite par la publication dune série, Nephilim : Révélation, basée sur le jeu de rôle du même nom ; jai pourtant cru comprendre que vous êtes arrivé tard sur le jeu de rôle et que votre avis sur ce milieu était très négatif ?
Fabien : En fait, ce nétait pas sur le milieu du jeu de rôle que javais des a priori négatifs, mais sur les rôlistes que javais rencontrés au collège et qui ne brillaient pas par leurs talents de société. Mais il a suffi quon minitie au jeu de rôle pour que jaccroche immédiatement, à 19 ans. Cest alors que jai commencé à côtoyer de nombreux rôlistes qui se sont avérés à la fois sympathiques, fantaisistes et cultivés (en tout cas pour ceux que je connais).
Allan : Quest-ce qui vous a accroché dans ce jeu et que diriez-vous à une personne comme moi qui na jamais participé aux jeux de rôles pour linciter ?
Fabien : Nephilim est un jeu de fantastique contemporain mâtiné doccultisme. Ce qui est le plus intéressant, cest son univers magique et la diversité de ses créatures. Lautre intérêt, cest que son univers se greffe sur notre monde : les créatures magiques appartiennent à une histoire invisible en marge de lhistoire officielle. Cela permet de partir du connu pour aller vers linconnu, et de donner des explications ésotériques à certains mystères. Cependant, ce nest pas le jeu idéal pour débuter dans le jeu de rôle : il a dix années dexistence et son univers est très riche, donc difficile à assimiler. Il vaut mieux se lancer dans Agone qui se déroule dans un univers de fantasy.
En revanche, le jeu de rôle en général est à conseiller à tout le monde. Bien mené, cest une véritable école de la sociabilité et de la démocratie : on se réunit autour dune table pour jouer ensemble ; mais personne ne perd. Le seul but est de samuser tous ensemble et de collaborer maître de jeu et joueurs pour partager un moment agréable. Un jeu à lopposé du culte de la performance, en somme. Et cest aussi la force du jeu de rôle qui permet de mettre en scène tout ce quon peut imaginer et inventer. Rien de tel pour développer limaginaire, au lieu de sen remettre à du pré-mâché. Enfin, cest un passe-temps qui oblige à faire des recherches historiques, géographiques, littéraires… pour préparer des parties et donc de se cultiver sans souffrir. Jai un copain rôliste qui, à force de jouer à Nephilim, connaît presque par cur les rues de Prague, sans jamais y avoir mis les pieds ! Moi-même, jai appris beaucoup de choses sur loccultisme en travaillant sur les romans Nephilim.
Allan : Dans quel contexte sest fait votre première parution : vous a-t-on contacté, avez-vous eu du « mal » à créer un univers de jeu ? Avez-vous essuyé de nombreux refus ?
Fabien : En fait, les amis qui mont initié au jeu de rôle mont fait jouer à un jeu quils avaient écrit eux-mêmes : Les Héritiers, une histoire de créatures féériques à la Belle époque. Jai donc écrit un roman qui se déroulait dans cet univers avant de le présenter à Mnémos. Qui la refusé poliment. Mais à la même époque, il y avait dans lair un projet de romans Nephilim. Jai donc écrit un projet de cycle que jai proposé à Mnémos, qui sest montré intéressé. Jai commencé à écrire et tout a suivi sans heurt. On ma dit quil fallait un Ar-Kaïm une créature magique jeune et turbulente qui apparaît dans la dernière édition du jeu dans le premier tome et cétait ce que javais déjà prévu. On ma dit quil fallait un Selenim une créature magique plus sombre et torturée, sorte de vampire psychique dans le deuxième tome, et ça correspondait à ce que je voulais aussi. Ensuite, on ma laissé très libre.
Je nai pas eu à créer lunivers du jeu qui était déjà entièrement écrit. Je me suis plongé dans le livre-univers de Nephilim et jen ai repris tous les éléments qui me semblaient intéressants pour mes intrigues. Je dois dire dailleurs que jai été très respectueux de lunivers dorigine. Je nai presque rien inventé, si ce nest quelques sorts et une faction de méchants. Tout mon travail sest limité à inventer une intrigue et des personnages susceptibles dagir dans lunivers de Nephilim et den montrer les différentes facettes.
Allan : Vous avez dautres projets gravitant autour de ce sujet ?
Fabien : Dans cet univers, jai écrit une campagne avec Florent Cautela, deux nouvelles lune en ligne sur lancien site de Mnémos et lautre parue dans le fanzine Nephilim Vision-Ka. Dans le même ordre didée, je devrais travailler avec un dessinateur pour faire une petite bande dessinée, mais pour linstant, ce nest quun projet assez flou.
Allan : Votre dernier roman, Les Légions dangereuses, paru chez Mnémos, na rien à voir avec lunivers du jeu Nephilim : vous souhaitiez rompre avec le cycle, prendre un tournant dans votre carrière ou est-ce simplement un interlude et vous continuerez ensuite Nephilim ?
Fabien : Au début, javais prévu sept volumes dans la série Nephilim. Jai dû abréger le cycle parce que la collection Univers était un échec financier : les moyens formats coûtent trop chers à une petite maison dédition comme Mnémos et puis la collection se résumait, au bout dun an et demi, à cinq ouvrages dont les quatre romans Nephilim. Bref, cétait limpasse. Donc pour linstant, Nephilim, cest fini.
Entre deux romans Nephilim, javais commencé un autre roman de fantasy parodique que jai montré à mon éditrice et qui a été intéressée par lidée. Javais plusieurs projets, mais celui de lunivers de Quitiane et des Légions dangereuses était le plus avancé et le plus motivant à écrire.
De toute façon, je ne veux pas uniquement écrire des livres à partir dunivers de jeu de rôle qui mattire beaucoup de mépris de la part dun certain nombre de personnes qui pensent que jeu de rôle est synonyme de médiocrité. Jaimerais bien ne pas être catalogué jeu de rôle avec tout ce que ça entraîne dostracisme. Dautre part, même si cest un exercice formateur décrire à partir dun univers pré-écrit, javais envie de développer mes propres mondes. Dailleurs, jai des projets autres que lunivers de Quitiane pour lavenir.
Allan : La première chose quon se dit en lisant votre roman est que le genre et le ton sont très proches de ce que fait Terry Pratchett : êtes-vous fasciné par lunivers du Disque-Monde ou y a-t-il dautres auteurs, moins connus, qui vous ont marqué ?
Fabien : En fait, je suis plutôt un déçu de Pratchett et jai essayé de construire mon roman comme une sorte dalternative, de contrepoint aux Annales du Disque-Monde. Les premiers volumes mont beaucoup fait rire, mais rapidement, jai trouvé que cela tournait à la recette : des histoires hachées, des chapitres très courts, des dialogues filandreux. Ce que je reproche à Pratchett, cest de ne pas raconter réellement dhistoire. Dautre part, la partie pseudo-métaphysique qui accompagne ses romans ne mintéresse pas.
Mon idée était donc décrire une fantasy à la française, plus organique. Cest-à-dire en allant chercher mes références du côté de Rabelais et San-Antonio, qui aiment se vautrer dans la matérialité du monde et le comique du corps. Je pense quon est assez loin de Pratchett qui demeure finalement très pudibond à mon goût.
Lautre idée, cétait de ne pas me contenter de reprendre des stéréotypes (le guet, le mage, le barbare) et dinventer dautres formes un peu plus éloignées. Je suis parti dune idée de créatures félines, plus ou moins développées du côté de lanimal. Pour le reste, je me suis laissé aller à des inventions délirantes. Dans ce cas encore, mon inspiration vient de San-Antonio et de Rabelais, comme dans des inventaires interminables de créatures telles que les gnomes hydrocéphales et les mangeurs de paysages.
Dernière chose, je trouvais que les romans de fantasy étaient en général extrêmement conservateurs dun point de vue politique, pour ne pas dire réactionnaires. Jai donc voulu ajouter quelques légères touches politiques au passage ça me tient à cur, toujours sur le mode de lhumour.
Allan : Tous les stéréotypes des uvres de fantasy sont brisés : les dieux sont incapables de faire correctement leurs actions, les héros sont complètement perdus et se demandent ce quils peuvent bien venir faire dans cette galère, leur guide étant incapable de se souvenir de quoi que ce soit ! Ça doit être un véritable plaisir décrire un univers aussi « décalé » ?
Fabien : Cest même tout lintérêt de la chose ! Lidée, cétait de raconter une histoire où tous les éléments habituels ne marchent pas : on nomme un élu et on obtient tout autre chose ; on donne un guide spirituel qui savère à moitié fou. Le canevas dune uvre de fantasy est assez classique : on prend un type ordinaire et il finit par sauver le monde. Cest facile de prendre cette mécanique et dintroduire des grains de sable à lintérieur pour que tout parte finalement en vrille. Je dois dire que jai beaucoup ri tout seul en écrivant ce livre et jespère que les lecteurs seront aussi bon public que moi.
Allan : Le livre est bourré dallusions à la littérature pas uniquement fantasy dailleurs (moi jai bien aimé le champion des feux dartifices : Godhalf le demi-dieu) ou culturelle (tel ce fils daubergiste qui nous fait un remake dune célèbre comédie musicale) : ne craignez-vous pas que toutes ces références soient un obstacle à la compréhension de personnes qui ne sont pas forcément fans du genre ?
Fabien : Non. Reconnaître les références nest pas un préalable pour la lecture du livre. Cest une sorte de bonus où tout le monde devrait reconnaître au moins deux ou trois choses, parce les références sont très variées, comme vous le disiez. Dans la majorité des cas, ce sont des détournements duvres littéraires classiques qui appartiennent à la culture générale et pas seulement aux fans de fantasy. Je pense que tout le monde peut y trouver son compte.
Dautre part, les références sont aussi une forme de parodie. Si on regarde les quatrièmes de couvertures de nombreux livres de science-fiction, on trouve « hommage à tel auteur », « bourré de références ». Cest devenu une sorte dobligation pour montrer que la science-fiction est un genre sérieux. Il y a aussi les bibliographies en fin de volume pour montrer que la science-fiction, cest aussi du travail de recherche. Pour moi, tout ça ne fait que traduire le complexe de la science-fiction face à la littérature dite générale : il y a une telle volonté de reconnaissance quon fait tout pour avoir lair sérieux. En multipliant les références, je voulais aussi me moquer de ça, tout comme la bibliographie que jai mise à la fin du roman se moque de ceux qui ne peuvent sempêcher de nous donner les preuves de leur travail, comme pour un mémoire universitaire !
Allan : Et la chute ? Sans la dévoiler, comment vous est-elle venue à lesprit ?
Fabien : La chute était mon idée de départ ; cest par là que tout a commencé. Pour moi, il était impossible que lhistoire se termine autrement. La fantasy, cest toujours un petit gars qui finit par devenir, au choix, le plus grand magicien du monde, le plus grand guerrier du monde ou le plus grand roi du monde. Je nai fait que pousser la logique à lextrême.
Dautre part, on voit bien que les univers de fantasy sont de mondes clos et cycliques : il ny a pas de réelle évolution historique et on se contente de toujours refaire la même chose. La preuve : dans lIliade, dont ladaptation est sur les écrans, on assiste à la deuxième guerre de Troie, tout comme dans Le Seigneur des anneaux on assiste à la deuxième guerre de lanneau. Lhistoire en fantasy se répète éternellement.
Allan : Avons-nous une chance de vous revoir prendre la plume pour écrire sur ce monde ?
Fabien : Si le livre est bien accueilli, jaurai dautres développements à apporter. Mon idée de départ était de faire une parodie de la fantasy dans ce premier volume, puis de mintéresser à luchronie dans un deuxième volume et au cyber-punk dans un troisième, toujours dans le même univers. En attendant, je me consacre à un autre projet de cape et dépée.
Allan : Arrivez-vous à vivre de vos écrits ou êtes-vous obligé, comme dailleurs beaucoup de vos confrères, à avoir un travail « alimentaire » ?
Fabien : Ah, vivre de sa plume… Cest un beau rêve qui nest pas près de se réaliser. Ou alors il faudrait que jécrive un livre par mois et quil soit publié. Je suis donc prof le jour et jécris la nuit.
Allan : Quels sont les projets qui vous tiennent à cur et la prochaine fois que lon parlera de vous ce sera pour quel type de roman ?
Fabien : Comme je le disais, jai en projet un roman de fantasy de cape et dépée dont le héros serait Don Juan. Ça ne devrait pas être terminé avant un an. Sinon, je retourne à mes anciennes amours en écrivant un roman à partir dun autre univers de jeu de rôle pour une maison dédition qui vient de se monter : Dartkam.
Allan : Avez-vous eu le temps de visiter Fantastinet ? Quen avez-vous pensé ?
Fabien : Jy ai passé un moment et jai trouvé le site tout à fait sympathique.
Allan : Vous voulez ajouter quelque chose avant que nous nous séparions ?
Fabien : Euh… Où est la sortie ?