Service de Presse
Les éditions Christian Bourgois nous ont proposé en ce début de mois d’octobre un roman argentin qui ne laissera probablement pas grand monde indifférent tant le propos anticapitaliste est traité avec beaucoup d’originalité.
C’est un peu dengue…
2072, notre monde a continué sa ruée en avant. Continuant à développer une économie de la consommation au-delà de toute considération écologique, notre planète a craqué. Elle a craqué d’un point de vue temps et il faut avouer qu’il fait un peu chaud, un peu partout et notamment sur le continent sud-américain. L’Argentine n’y a pas échappé et le niveau de la mer a tant augmenté que l’économie s’est déplacée dans de nouvelles villes.
Peu d’espoir pour la plupart des habitants, dont certains s’évadent en utilisant une console qui permet de revivre la colonisation de l’Argentine par les chrétiens…Les consoles devraient-on dire entre celle que peuvent s’offrir les riches et la version pour les pauvres, bourrées de bugs et de freeze. Une bonne occasion de se positionner des indiens ou des chrétiens et de faire exploser autant de têtes que possibles…
Et dans cet univers que l’on perçoit glamour, trois enfants.
Tout d’abord l’enfant Dengue, étrange enfant dont l’origine n’est pas connue et qui ressemble à s’y méprendre à une copie de La Mouche, sans le transfert de matière. D’où il vient et pourquoi existe-t-il, ce n’est pas la question. Il se rend, comme tout enfant qui se respecte, à l’école. Pour l’essentiel de son temps, il se fait maltraiter et harceler par ses camarades. Perdu dans ses origines, il n’a plus que sa mère, femme de ménage ou à tout faire pour des populations riches qui ne peut pas faire grand-chose pour l’aider. Parmi ses tortionnaires principaux, il y a Bonbon, qui aura poussé le bouchon un peu loin…
Bonbon est le deuxième enfant donc que nous voyons évoluer dans cette Argentine futuriste. Bonbon est un enfant violent et avec une grande capacité de leadership. Menant les frondes contre l’enfant Dengue, il aide aussi son frère dans sa contrebande. L’objectif qu’il s’est fixé est de pouvoir s’offrir LA console qui lui permettra de jouer à Chrétiens vs Indiens sans subir les problèmes de connexion. Il se positionne clairement du côté des Indiens, jouant avec beaucoup de précision
Dernière enfant mise en avant dans ce monde on ne peut plus dégueulasse, Renée est une enfant fille d’une famille riche, bien implantée dans l’économie « médicale » actuelle. Elle aussi joue à la console, mais elle n’a pas le problème des freezes, utilisant la tant-rêvée par Bonbon Pampatronics et s’attachant à y tuer le maximum d’Indiens…
… de voir vers où on peut aller !
Ce qui est intéressant dans ce récit, qu’on pourrait dans un premier temps prendre pour un texte sur le rapport à l’autre, c’est que Michel Nieva ne croit absolument pas à notre capacité à changer le monde. Non seulement les mêmes mécanismes continuent à exister mais ils sont mêmes aggravés.
Le premier élément qui le démontre est ce que sont devenus les entreprises phares des bourses mondiales : des entreprises de virus / vaccins. Le principal enjeu de ces dernières est de trouver avant les autres les nouveaux virus, afin de s’assurer des revenus de plus en plus importants. De là à créer elles-mêmes les virus ? On pourra se poser la question…
Mais les joueurs devenaient vite de petits fondamentalistes de leur foi et n’hésitaient pas à voler – ceux dont les familles ne pourvoyaient pas de bon gré au nécessaire – pour vénérer leur idole.
Le deuxième élément est la propension à continuer à s’enfoncer dans une surconsommation qui n’a pas de sens. Alors que la planète brûle, les plus riches profitent toujours de leurs richesses pour bénéficier, par exemple, de neige sur leur bateau de croisière.
Nous naviguons dans ce monde de l’auteur argentin comme dans le notre : avec ce sentiment que nous continuerons à aller tranquillement dans le mur et que rien n’arrêtera le capitalisme…
Un essai en complément.
Le roman en lui-même est relativement court (179 pages) mais l’éditeur a fait le choix pertinent de compléter le récit avec un essai appelé La Science-Fiction capitaliste qui permet de compléter l’éclairage du roman. L’essai, qui s’appuie sur un nombre de référence de la SF intéressant, se divise en plusieurs partie pour étayer le propos. Le sous-titre Ou comment les milliardaires vont nous sauver de l’apocalypse indique sans nul doute l’orientation du texte.
Voici donc une publication intéressante et originale, j’avoue que je n’ai pas réussi à refermer le livre avant de savoir ce que deviendra l’enfant-Dengue.
Editions Christian Bourgois (03 octobre 2024) – 281 pages – 22 € – 9782267048469
Traduction : Sébastien Rutès (Argentin)
Titre Original : La infancia del mundo et Ciencia ficcion capitalista (2023)
Dans une Argentine profondément métamorphosée par le changement climatique et l’ultralibéralisme, un jeune garçon au corps de moustique est harcelé par ses camarades de classe à cause de sa difformité, de sa différence. Né d’une mère qui se tue au travail et d’un père absent, « l’enfant dengue » n’a d’autres choix que de se résoudre à son sort… ou de changer, radicalement, ce qu’il est au monde.
En quelques pages, les destins s’entremêlent pour nous montrer une société dans toute sa splendeur et sa décadence. Ce futur étrange, où le numérique se fond parfois au réel, nous confronte aux vérités qui dérangent, tout en abordant des questions et des thèmes universels : l’identité, la famille, l’argent et, surtout, la violence. Car c’est elle le fil de ce récit : violence subie, violence donnée, elle est la peine et la rage de cette société. Héritier d’Ursula K. Le Guin, de Philip K. Dick et de Junji Itō, Michel Nieva tisse dans ce court roman une fiction spéculative excentrique, résolument politique, qui flirte avec le réalisme magique.
Dans La science-fiction capitaliste, Michel Nieva interroge la place actuelle de la science-fiction dans nos sociétés contemporaines, ou plutôt la manière dont certains de ses grands concepts ont pu à la fois imposer une certaine vision du futur dans l’imaginaire collectif, tout en donnant aux puissants seules les clés de l’avenir. Une déambulation passionnante, directe et radicale.
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