Aucune terre n’est promise est un roman étonnant de l’auteur israélien Lavie Tidhar qui, pour planter le décor, s’est appuyé sur une expédition historiquement réelle pour prendre une direction différente par la suite.
L’Histoire, la vraie versus la Palestina de Lavie
L’auteur nous parle dès les premières pages de cette histoire qui fut la vraie et qui a permis d’imaginer – pendant un temps – la mise en place d’un Etat juif en pleine Afrique. Au début du XXème siècle, trois hommes montent une expédition pour voir dans quelle mesure il serait possible de créer un état, terre d’accueil pour les juifs d’Europe. Nahum Willbusch, russe juif sera accompagné de l’explorateur anglais Alfred Saint Hill Gibbons et du suisse Alfred Kaiser dans cette aventure qui doit évaluer la possibilité d’une colonie dans l’Afrique orientale, à proximité du Kenya. Alors qu’ils sont de retour en Europe, cette idée sera abandonnée et c’est là où l’histoire diverge au niveau de l’œuvre de Lavie Tidhar.
Tout commence par le voyage de Lior Tirosh, un auteur dont le succès reste plus que mitigé et devenu un peu mécanique pour payer ses factures. Son père, grand général de Palestina, étant malade, il doit se rendre sur place et pour cela prend l’avion.
C’est le genre d’endroit sur lequel tout le monde à sa propre opinion, finit-il par répondre en essayant de se justifier, sans savoir exactement pourquoi. Mais personne ne s’en soucie vraiment.
Arrivé sur place, il découvre que la Palestina qu’il connait est en train de construire un mur pour protéger le peuple juif de ses ennemis, et notamment des nandis, une peuplade africaine historiquement native de la région. Lorsque notre écrivain arrive à Ararat City, il y retrouve la ville qu’il connait, le pays qu’il connait tout en constatant que la situation ne s’est pas améliorée.
Car il assistera dès son arrivée à des attentats, et nous constaterons aussi qu’il est surveillé, venant de l’extérieur, comme si, indépendamment du chemin que prend l’histoire, le résultat reste le même… A peine le temps de se remettre de l’attentat, qu’il se retrouvera mêlé à un meurtre, poursuivi pour cette raison et comprenant qu’il était peut-être la cible… On ne parle même pas de la disparition de sa nièce, étudiante engagée qui menait une enquête sur ce mur qu’elle refusait de voir construire….
Une histoire à tiroir
Au fur et à mesure de l’histoire, nous comprenons que ce monde est un des mondes qui existent, un monde parallèle au notre, qui a suivi une route différente à un moment… Lior Tirosh semble être au coeur de plusieurs intrigues, et nous constaterons que les trois personnages sur lesquels l’auteur s’appuie pour nous faire découvrir un ou plutôt des mondes alternatifs…
Le premier personnage est donc Lior Tirosh, écrivain qu’on peut dire que le succès n’est absolument pas au niveau qu’il attendait. Son retour en Palestina sera aussi l’occasion pour lui de – peut-être – régler certaines histoires de famille… Nous comprenons que la relation à son père, lié à l’implication de ce dernier dans l’histoire du pays, n’est pas simple. Ce sentiment va persister tout au long du récit, et c’est au compte goutte que nous aurons des informations…
Le second personnage est Nour, une voyageuse entre les mondes, dont le rôles est relativement ambigu au début, si ce n’est qu’elle doit s’assurer d’établir une sorte d’équilibre entre les différents “mondes”. Persuadée que quelque chose de plus profond se trame, elle mettra toute son énergie à comprendre comment les différents événements sont inter-dépendants.
Le dernier personnage, Bloom, enquêteur en Palestina qui surveillera avec beaucoup d’attention Lior…
C’est la condition juive, me dis-je parfois : toujours être une chose et une autre, ne jamais vraiment trouver sa place. Nous sommes les grains de sable qui irritent la coquille d’huître du monde.
Le récit que nous livre Lior est riche, foisonnant d’idée et nous nous retrouverons ballotée de mondes en mondes, que ce soit en compagnie de dinosaures ou d’autres créatures encore plus effrayantes, à tâcher de comprendre ce qui se passe, quel est le rôle de Lior dans tout ce mic-mac et pourquoi Deborah, la nièce a disparu.
Bien entendu, il y est condition de cette terre promise, de ces territoires occupés (appelés ici les territoires disputés). Ce sentiment d’être apatride et cette volonté de pouvoir se “poser”, d’avoir son chez soit, avec tout ce que cela implique. Une tentative aussi de faire comprendre ou même de comprendre la condition juive.
Alors, nous nous retrouvons comme Lior, brinqueballé d’un monde à l’autre, perdu dans l’Histoire ou dans les histoires, conscient que chaque monde décrit à quel point l’humanité reproduit les mêmes schémas, à base de violence, de rejets et d’attentats. La construction du mur en Palestina rejette de fait les nandis. Une vraie réflexion sur notre intégration et la façon dont construire une société ou tout le monde pourrait trouver sa place…
Les murs ne contiennent pas l’ennemi : ils vous emprisonnent.
Le récit est très étrange, très particulier à suivre, avec cette narration variant en fonction du personnage (“Il” pour l’auteur qui est de l’extérieur, “Tu” pour Nour et “Je” pour Bloom), et ces “chocs” entre les différents mondes et ceux qui peuvent passer de l’un à l’autre.
Pocket (Avril 2023) – Les Etoiles montantes de l’imaginaire – 328 pages – € – 9782266326759
Traducteur : Julien Bétan (Anglais)
Titre Original : Unholy Land (2018)
Couverture : Aurélien Police
Berlin. Lior Tirosh, écrivain raté et désillusionné, embarque pour la Palestina, son pays natal, fuyant une existence minée d’échecs. Il espère retrouver à Ararat City la chaleur du foyer mais la ville est désormais ceinturée par un mur immense, et sa nièce, Déborah, a disparu dans les camps de réfugiés africains. Traqué, soupçonné de meurtre, offert en pâture à un promoteur véreux, Lior est entraîné malgré lui dans les dédales d’une histoire qu’il contribue pourtant à écrire.