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Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley

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Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley fait partie des classiques de la littérature de Science-Fiction et notamment des dystopies, souvent cité avec 1984 de George Orwell ou de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Publié en 1931, sous le titre Brave New World, l’œuvre emblématique n’avait pas connu d’autre traduction que celle de 1933. Cette nouvelle parution dans la collection Feux Croisés de Plon, par Josée Kamoun, est donc attendue. Il est d’ailleurs intéressant de lire en fin de roman la vision du traducteur sur l’exercice de traduction et notamment de retraduction.

N’ayant pas lu en anglais ni le souvenir de lire la précédente traduction, il va m’être difficile de juger de la qualité de cette dernière, mais cette nouvelle traduction est surtout l’occasion de découvrir le futur imaginé par Aldous Huxley…

Une fabrication d’enfants à la chaîne…

Nous sommes à l’ère du Taylorisme, et d’ailleurs le calcul des années se calcule « après Ford ». Pour ceux qui ne se souviendrait pas, le taylorisme à son origine est une doctrine d’organisation du travail, s’appuyant dans la théorie sur les sciences. Cette doctrine, dû à l’ingénieur américain Taylor, a été notamment dans les chaînes de montage Ford.

Aldous Huxley nous entraîne des les premières pages dans les chaînes de « montage » de la population, à savoir les chaînes qui permettent de faire naître les enfants dont la société a besoin, faisant les manipulations génétiques et scientifiques nécessaires à ce que chacun et chacune demain tiennent son rôle et ne sorte pas du cadre pour lequel il est né.

Plus la caste est basse, repris M. Foster, moins on donne d’oxygène. Le premier organe affecté, c’est le cerveau. Ensuite, le squelette est touché. A soixante-dix pour cent, des monstres sans yeux… qui ne sont d’aucune utilité.

Ce système de caste est la condition sine qua non pour que la vie de tout à chacun se passe bien, dans une société qui consomme pour le bien de toutes et tous. Et ce bonheur passe nécessairement par la consommation, une consommation qui est omniprésente et qui est le centre de la vie future. Tout est à notre portée, et rien ne doit être refusé, que ce soit d’un point de vue consommation pur mais aussi d’un point de vue relation personnelle puisque il n’est pas envisageable, là non plus, de ne pas consommer.

Page après page, nous découvrons cette société qui ne veut que notre bonheur, autour de quelques personnages clés qui vont nous permettre de naviguer dans ces différents aspects. Ce sera notamment le cas de Bernard Marx, faisant partie de la caste supérieure, les alphas, malgré un défaut de « fabrication » si l’on peut parler comme cela, mais aussi Lenina, une bêta, qui nous permettra de voir le conditionnement des femmes dans cette société idéale.

Bernard est un peu atypique dans ce monde, et il semble empreint de mélancolie là où l’Etat normalement permet à toutes et à tous d’échapper à cette mélancolie grâce à la Soma, une drogue qu’on imagine euphorisante. Et c’est par lui que viendra le choc des cultures, avec la rencontre du sauvage John qui permettra à Bernard et Lenina de se confronter à une autre société, pendant que John apportera son regard sur la société Fordienne.

… dans un récit toujours d’actualité !

Le meilleur des mondes nous imagine donc un futur promis au bonheur où la place prédéfinie de chaque habitant et habitante est un gage de sécurité et une assurance de toujours avoir une réponse à nos besoins, calés sur notre programmation. Car il s’agit avant tout de cela, et nous comprenons très rapidement que l’auteur nous parle d’un conditionnement généralisé de la population, commencé dès le stade fœtal et se poursuivant tout au long de l’éducation jusqu’à l’âge adulte. Personne ne pense à côté de la vision générale, y compris dans les élites pensantes.

Des alphas aux gammas, chaque groupe a son rôle dans la société, un rôle dont la chaîne de montage « naissance » est en grande partie responsable, permettant à chaque ensemble d’avoir ses propres caractéristiques physiques et intellectuelles, rendant la transition vers un autre groupe impossible.

Cette construction par chaîne de naissance permet aussi de s’affranchir de la notion de famille, une notion qui est dangereuse car pouvant générer de la passion et donc un manque de prédictibilité. C’est une des thématiques notamment que nous retrouverons dans la rencontre avec le sauvage John, issu d’une « mère ».

C’est tellement de mauvais goût de sortir comme ça indéfiniment avec le même homme. A quarante ans, à trance-cinq, passe encore, mais à ton âge, Lenina !

Tout est prévu pour s’assurer du contrôle des populations et leur bien-être : tout sentiment un peu négatif, de la tristesse à la mélancolie, se traite au travers d’une drogue, le « Soma », dans des doses qui dépendent fortement du moment de la journée et de notre état général. Mais ce n’est pas le seul élément médical, peu de personnes souffrent, l’Etat pourvoyant aussi au bien être au travers d’une bonne gestion de la santé.

Bien entendu, la consommation est au centre de toutes ces décisions politiques : tout est fait pour que la consommation soit centrale, que se développe les besoins dans une course à la possession qui ne semble connaître aucune limite. Tous les secteurs sont touchés, notamment le sport où seuls les sports nécessitant du matériel sont encore autorisés.

Quand on est différent, on est forcément seul.

Il est difficile de résumer toutes les thématiques abordés par Aldous Huxley, et de nombreux essais documentés le feront beaucoup mieux que ce que je pourrais faire. Pour autant, il est étonnant de voir que de nombreux sujets sont étonnamment d’actualités et que les inquiétudes de l’auteur ne semblent pas encore se tarir.

La famille, le couple, la société de consommation, le conditionnement, l’abrutissement des populations, les castes, la place de la femme … sont parmi les thématiques qu’abordent l’auteur tout au long d’un récit qui reste moderne, alors qu’il approche tranquillement de son centenaire.

Vous dire qu’il fait partie des indispensables à lire est une évidence.

Plon (9 novembre 2023) – Feux Croisés – 270 pages – 20,90 € – 9782259316262
Traduction : Josée Kamoun
Titre Original : Brave New World (1931)

32 après Ford : désormais on compte les années à partir de l’invention de la voiture à moteur. La technologie et la science ont remplacé la liberté et Dieu. La vie humaine, anesthésiée, est une suite de satisfactions, les êtres naissent in vitro, les désirs s’assouvissent sans risque de reproduction, les émotions et les sentiments ont été remplacés par des sensations et des instincts programmés. La société de ce Meilleur des mondes est organisée, hiérarchisée et uniformisée, chaque être, rangé par catégorie, a sa vocation, ses capacités et ses envies, maîtrisées, disciplinées, accomplies. Chacun concourt à l’ordre général, c’est-à-dire travaille, consomme et meurt, sans jamais revendiquer, apprendre ou exulter. Mais un homme pourtant est né dans cette société, avec, chose affreuse, un père et une mère et, pire encore, des sentiments et des rêves. Ce « Sauvage », qui a lu tout Shakespeare et le cite comme une Bible, peut-il être un danger pour le « monde civilisé » ?


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