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Tout est sous contrôle de Christopher Bouix

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Ne vous y trompez pas, ce Tout est sous contrôle n’est pas celui de Hugh Laurie, mais bien le nouveau roman de Christopher Bouix, que j’avais eu la chance de pouvoir découvrir avec Alfie, déjà aux éditions Au Diable Vauvert et avec qui nous avions pu échanger en public à l’occasion de Faites Lire, au Mans.

Dans Alfie, la question de la domotique et de son impact sur notre quotidien avait été abordé avec beaucoup d’humour et de perspicacité. La thématique de ce nouveau roman est à nouveau lié aux avancées technologiques, cette fois-ci en mettant l’accent sur le bonheur de façade…

Le bonheur ne tient qu’à vous…

C’est ainsi que nous pourrions résumer le monde que nous projette Christopher Bouix dans ce nouveau roman. Le monde n’a pas tant changé que cela, si ce n’est que la société de consommation a poursuivi son développement, chaque année est désormais sponsorisée pour aider la population à comprendre où se trouve son bonheur…

Le bonheur, parlons en justement : il est au coeur des préoccupations quotidiennes de l’humanité, le score permettant de déterminer les quartiers dans lesquels il est possible de vivre, d’obtenir des avantages (ou des désavantages si votre score n’est pas au rendez-vous) et et est aussi un élément déterminant dans votre capacité à avoir une descendance. De façon à s’assurer d’un bon alignement avec la vision de l’Etat sur le sujet, un indice de bonheur a été mis en place qui permet de se situer par rapport aux autres mais aussi de prouver que tout va bien.

Comme vous le savez, continua Nirdlinger, le Gouvernement a à coeur d’accompagner chaque couple dans son projet. Notre objectif est de nous assurer que les futurs citoyens-utilisateurs pourront grandir au sein d’un environnement familial épanoui et heureux…

Néo et Juliette sont tous les deux à plus de 7, ce qui leur permet, à leur plus grand plaisir, de changer de quartier. Un seul élément leur manque, qui pèse beaucoup sur le moral de Juliette : un enfant. Mais la démarche est en cours, et il est certain qu’ils sont bien placés dans la course à la sélection et c’est indispensable puisque c’est la dernière chance pour Juliette qui va atteindre les fatidiques 30 ans…

… Dans une société des faux-semblants.

Evidemment, cette vision d’une société idéale s’appuyant sur le bonheur est plus que tentante et ce n’est pas la première fois que le thème est abordé. Cette recherche incessante et cette nécessité de le montrer forcent nécessairement à masquer ses propres ressentis. La méthode de calcul de l’indice ne laisse aucun doute sur le caractère “artificiel” du bonheur : l’algorithme s’appuie entre autre sur les publications publiques sur le réseau HappyApp dont il est immédiatement visible qu’il n’est que le prolongement d’Instagram.

Pensez bien tous les jours à poster une photo de votre journée avec des Hashtags qui permettent au monde entier de savoir à quel point votre vie est merveilleuse, engranger des likes et multiplier vos amis pour vous assurer d’avoir demain une place à la crèche ou simplement pour ne pas avoir à déménager dans une zone plus en ligne avec votre manque de contribution à une société apaisée !

Vos indices de bonheur sont satisfaisants, bien qu’encore un peu faibles. Votre rythme de publication sur HappyApp est globalement respecté, et vos posts sont considérés comme heureux à 74% par notre algorithme

Pourtant, tout n’est pas totalement rose dans ce futur plein de promesses : c’est ce que nous commencerons à découvrir dès les premières pages avec le personnage de Sybille, quarantenaire habitant toujours avec (ou chez) sa mère, et subissant du harcèlement permanent. Dire que son indice de bonheur est au ras des pâquerettes ne vous surprendra pas, l’impact que cela aura sur la vie de Néo et Juliette sera immense !

Avec beaucoup de cynisme et d’humour, Christopher nous fait découvrir cette société du paraître, avec cette touche de thriller que nous avions déjà pu détecté dans Alfie en nous alertant sur une dérive qui a pour rappel déjà eu lieu en Chine.

Une société désirable ?

Au-delà de cette critique de notre société du paraître, ce sont bien d’autres thématiques qui jalonnent le récit, notamment cette volonté gouvernementale de dicter ce qu’est le bonheur, impact directement votre indice si vous ne respectez pas cette vision, par exemple en vous servant le verre de vin de trop par rapport à ce qui est “recommandé”. On y verra un écho de tous ces messages qui jalonnent notre quotidien que ce soit d’un point de vue alimentaire (“Mangez 5 fruits et légumes“, “Ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé“) ou dans d’autres domaines (RATP : “Ne mets pas les mains dans les portes“).. avec ce sentiment d’être de plus en plus contraints de suivre une route toute tracée.

Les publicités défilaient à longueurs de journée dans le champ de vision des citoyens, envahissant leur quotidien, avec des avantages dédiés pour les premiers utilisateurs qui clignaient. Bien sûr, ça ne s’appelait pas des “publicités”. Le Gouvernement préférait parler d’ “Informations”

L’omniprésence de la publicité aussi qui voit au-delà de la communication de tout à chacun sur les produits, se modélise aussi par une année “sponsorisée” par un grand groupe… Cela peut vous faire rire, mais les amateurs de foot le savent : les saisons sont désormais sponsorisées !

Au-delà de cette dimension, le contrôle passe aussi par l’équipement obligatoire de lentilles qui permet dans le même temps de vous faciliter la vie en étant connecté directement à votre réseau préféré, vous permet de partager vos photos et de noter vos vis-à-vis, de contrôler votre santé et bien sûr de vous contrôler tout court… Eh oui, la preuve est faite que toute cette belle technologie qui vous est proposée n’est pas toujours pour vous émanciper…

C’est aussi un questionnement sur ce que nous sommes prêts à faire pour obtenir ce que nous voulons… le tout avec un style entraînant s’appuyant sur quelques personnages représentatifs !

Au Diable Vauvert (5 avril 2024) – 388 pages – 20 € – 9791030706710

Bienvenue dans un monde parfait. Ici la vie heureuse s’étale quotidiennement sur le réseau HappyApp, où l’indice de bonheur individuel donne accès à ce que la société réserve aux meilleurs. Offres premiums, métier et logements hauts-de-gamme et surtout parentalité, désormais réservée aux citoyens les plus épanouis.


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