Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Echange avec Xavier Dollo

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Xavier est un passionné des littératures de l’imaginaire que vous aviez pu croisé au travers de vos lectures sous le nom de Thomas Geha ( A comme Alone chez Rivière Blanche est chroniqué chez nous), qui a travaillé au sein de la librairie Critic et a créé avec ses comparses la maison d’édition Argyll en attendant l’ouverture de la librairie.

Il a accepté de répondre à quelques unes de nos questions pour

Avant toute chose, comment te présenterais-tu à ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?

Bonjour à toutes et tous. Se présenter, c’est toujours délicat. Je dirais que je suis un enfant de la campagne bretonne qui s’est exporté à la ville parce que pour vivre mes passions, et celle du livre en général, c’était beaucoup plus facile, surtout que j’adore les rencontres. Même si j’ai découvert très tôt le milieu de l’imaginaire via ses fandoms (fanzines papiers, pages Minitel), je me suis pleinement épanoui dans un cadre urbain qui m’a permis de me forger et de définir ce que je voulais faire et être. Comme je suis relativement autodidacte (bien que j’aie un cursus universitaire derrière moi), j’ai toujours voulu être ce que je voulais et faire ce que j’avais envie, avec plus ou moins de réussite et parfois de façon laborieuse, le temps de découvrir les clefs du château. Ainsi, j’ai écrit, j’ai édité, j’ai été libraire, et je suis encore tout cela, et je donne également des formations et des cours à l’université Rennes 2, dans des filières comme le DEUST métiers du livre. En tant que passionné du livre, des genres de l’imaginaire en particulier, et avec le parcours parfois difficile qui a été le mien, je me vois comme un passeur, c’est un rôle que j’aime car j’aime l’idée de pouvoir être le genre de personne que j’aurais voulu rencontrer durant mon parcours de jeunesse / adolescence, une personne ressource pour d’autres, et les jeunes en particulier.

On peut dire que cela fait maintenant quelques années que tu traînes dans le milieu de l’imaginaire alors : comment es-tu tombé dans la marmite ?

Comme je le disais plus haut, par les fanzines, globalement. Par les livres d’abord, bien entendu, mais la passion s’est développée avec les fanzines et ma prise de conscience que je n’étais pas seul à aimer la SF et qu’en plus je pouvais entrer en contact avec elles / eux. C’est sans doute plus aisé à présent d’arriver à ce genre de constat, grâce à internet, forums, réseaux sociaux, etc., mais au milieu des années 1990, c’était encore très émergeant. Je rendrai ici hommage à ceux qui ont été mes guides fanzinesques : Philippe Ward, Philippe Marlin, Michel Tondellier, Alain Le Bussy, Chris Bernard, Claude Dumont, Sébastien Martin, Jacky Ferjault, Christophe Thill, Gilles Dumay et bien d’autres encore.

…,je n’étais plus en phase avec mon environnement, j’ai donc souhaité changer radicalement mon orientation,…

Tu semble être un vrai passionné : auteur, libraire et éditeur ! Quelles sont les motivations qui t’ont poussé à endosser chacune de ces casquettes et surtout : tu dors quand ?

Je pense avoir répondu à cette question plus haut. Parlons plutôt de sommeil : je dors très bien, en général, c’est une chance, mais je ne dors pas tant que ça. Quand j’étais un peu plus jeune, je travaillais beaucoup la nuit et mes séances de travail pouvaient s’étendre sur plusieurs jours sans aucun répit. J’avais la forme ! Maintenant que je vieillis un peu, j’ai besoin de mon sommeil nocturne, mais je me lève assez tôt et je travaille toute la journée. J’ai du mal à m’arrêter, c’est même un problème, j’ai tendance à penser toujours aux boulots en cours. Et ça peut parfois me paralyser quand j’ai trop de choses à faire ou à rendre. Néanmoins, comme je suis quasi toujours en mode travail, même si je n’en ai pas l’impression, et que ça m’agace, les projets se concrétisent toujours ou presque sur le long terme, mais chaque chose peut prendre du temps. Par exemple, je ne suis pas très bon, du côté de l’écriture, pour les deadlines. Et c’est pour cela que j’ai horreur des appels à textes, je n’arrive jamais à être en phase avec eux, alors que j’adore écrire des nouvelles. Par contre, si on me les commande fermement, c’est différent.

Le Chien du Forgeron de Camille Leboulanger

En 2020, tu fondes avec Simon Pinel, Xavier Collette et Frédéric Hugot les éditions Argyll : pourquoi te lancer dans cette nouvelle aventure ?

Parce que j’en avais marre de certaines choses au niveau personnel et professionnel, et je n’y voyais qu’un vaste cul-de-sac. Or j’ai un réel besoin de stimulation pour ne pas m’encroûter. Je ne dois pas aimer le train-train. Qui plus est, le monde change et moi avec, je n’étais plus en phase avec mon environnement, j’ai donc souhaité changer radicalement mon orientation, tout en gardant la focale sur mes passions. Le résultat, c’est ce projet de coopérative du livre avec mes associés d’Argyll. La pandémie a fait que la maison d’édition s’est lancée la première dans notre projet, mais nous avons aussi programmé la création d’une librairie et d’un espace incubateur destiné aux professionnels ou néo professionnels du livre, pour initier des mouvements communs, des émulations capables de faire avancer et évoluer, à notre niveau, la chaîne du livre.

Comment présenterais-tu Argyll et quelle est la ligne éditoriale ?

Argyll est une maison d’édition qui se veut éthique au maximum. Cela commence par publier peu, 6 à 8 livres par an, imprimés en France, au plus près des lieux de stockage de notre diffuseur / distributeur Harmonia Mundi. La maison est spécialisée dans les genres, plus particulièrement dans les genres de l’imaginaire, le roman historique, et les essais consacrés à l’écriture. Nous cherchons des histoires – et avant tout de bonnes histoires – dans lesquelles l’aspect social, sociétal, n’est jamais oublié, ou toujours en ligne de mire. Par exemple, Le Chien du Forgeron de Camille Leboulanger reprend un mythe celte bien connu, celui de Cuchulainn, ET s’intéresse à des questionnements modernes, comme celui de la masculinité toxique. Trackés, le thriller d’anticipation de Christophe Nicolas s’intéresse lui à la question de l’influence et l’importance des GAFAM.

J’ai cru comprendre aussi que le modèle de rémunération des auteurs et illustrateurs n’est pas dans les standards ?

Disons que l’on applique nos standards. Ils ne sont pas les mêmes chez la majorité des éditeurs, c’est certain. Notre contrat est avant-tout un contrat collaboratif, dans lequel l’auteur ou l’autrice doit se sentir à l’aise et partie prenante et non dans un rapport de force complètement déséquilibré. Nous le mettrons en ligne, d’ici quelques mois, quand il ne sera plus dans sa version bêta. Je pense qu’il est assez proche, dans l’idée, de celui défendu par la Ligue des auteurs Pro. Si on parle de rémunération, par exemple, nous ne proposons pas d’à-valoir, car nous percevons l’à-valoir comme un déséquilibre non pas en faveur des auteurices, mais en faveur de l’éditeur. C’est d’ailleurs un déséquilibre qui doit plus au rapport de force qu’à une réalité économique. Certes, l’à-valoir définit une somme préliminaire que les auteurices vont toucher pour écrire leur livre, mais c’est une avance sur droits, qu’il faudra rembourser par les ventes. Si les ventes ne sont pas au rendez-vous, l’éditeur saura vous rappeler que vous êtes son débiteur, lui qui profite pourtant de la matière première sans laquelle il n’existerait pourtant pas. Voilà, c’est le système, il est comme ça. Cela ne signifie pas qu’il doit les rester pour tous, gravé dans le marbre, comme s’il n’existait pas d’autres voies. La prime à la signature que nous versons (pour l’instant peu élevée, mais nous espérons dans les années qui viennent proposer mieux) est un acquis de l’auteurice. Si bien qu’il touchera de l’argent sur le premier exemplaire vendu en librairie. Quant à nos pourcentages, ils se situent dans la fourchette haute, 12% papier et 50% en numérique en vente directe (25 par Harmonia Mundi). Voilà pour quelques exemples. Quant aux illustrations, je ne saurais répondre à cette question, car notre graphiste est toujours le même, Xavier Collette, c’est immuable.

Soutenez le travail des autrices et auteurs francophones, nous vivons une époque de haut niveau les concernant, d’une grande richesse, un petit âge d’Or sans doute,

Comment sélectionnes-tu les autrices et auteurs qui rejoignent le catalogue ?

On prospecte. On essaie de beaucoup lire et fouiller dans les catalogues internationaux, avec là encore la volonté de proposer des textes atypiques. C’est ainsi que nous avons publié La Monture, de Carol Emshwiller par exemple. Pour les auteurices francophones, nous marchons beaucoup à la rencontre. J’ai, au cours de ma carrière, rencontré beaucoup d’artistes, et certains sont devenus des amis et / ou des personnes dont j’admire le travail. Parfois, l’opportunité se fait de travailler avec elles / eux. C’est le cas de Camille Leboulanger par exemple, ou d’Emmanuel Chastellière cette année. Ensuite, comme tout le monde, nous recevons des manuscrits et comme tout le monde, nous essayons de trouver chaussure à notre pied. Il faut qu’il y ait consensus dans l’équipe.

Parlons maintenant 2022 : à quoi doit-on s’attendre en termes de parution ?

Pfiou. Plein de belles choses. Notre année 2 me paraît assez grisante. Tout d’abord, en février, nous rééditons des nouvelles de Robert Sheckley, dans un recueil qui s’intitule Le Temps des Retrouvailles – la nouvelle éponyme se trouve dans le recueil et nous avons choisi ce titre de recueil car nous estimons qu’il était temps pour le public de retrouver enfin cet auteur génial depuis trop longtemps des librairies. Sheckley, c’est jublatoire, drôle, impertinent, cynique, c’est noir comme un Black Mirror, le mordant de son humour en plus. Pour moi, un auteur qui reste inégalé dans le domaine de la nouvelle burlesque. Au sommaire, deux bijoux adaptés plusieurs fois au cinéma : Le prix du danger, et La septième victime. J’ai de mon côté une affection particulière pour Tu brûles et Permis de Maraude. Mais bon, le (haut) niveau est très homogène. Sortie en février.
Ensuite, en avril et juin, deux romans de fantasy. Le premier, Un étranger en Olondre de Sofia Samatar, un livre pour celles et ceux qui aiment les livres, dans un univers de conte des Milles-Et-Unes-Nuits. On y suit un jeune homme qui, tel Candide (du moins au départ) va visiter un pays où les livres sont vénérés, lui qui est passionné par cela. Mais une fois là-bas, après une fête, il est soudain possédé par un ange. Et finalement, tout ne va pas si bien en Olondre, il va l’apprendre à ses dépends…
Ensuite, Himilce, d’Emmanuel Chastellière nous plonge dans une atmosphère de roman historique en compagnie de la femme du général Hannibal Barca, Himilce. Emmanuel avait cette idée qui lui trottait depuis longtemps dans la tête, car il est fasciné par cette époque carthaginoise. Histoire d’intrigue de complots, Himilce bouleverse par la force de son récit, la richesse de son cadre, et l’intelligence du propos. Vraiment un texte que nous avons plaisir à partager avec les lecteurs et lectrices.
Pour l’instant, nous ne vous dévoilons que cela, mais c’est déjà pas mal, non ?

Et je te laisse le mot de la fin 🙂

Soutenez le travail des autrices et auteurs francophones, nous vivons une époque de haut niveau les concernant, d’une grande richesse, un petit âge d’Or sans doute, et paradoxal aussi quand on voit comment tourne le monde la chaîne de livre, et comment le manque de renouvellement de lecteurs et lectrices se fait parfois ressentir.


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