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L’Homme-canon de Christophe Carpentier

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Après nous avoir proposé Cela aussi sera réinventé, un texte oscillant entre philosophie et science-fiction, les éditions Au Diable vauvert nous propose avec L’Homme-canon un deuxième texte de l’auteur, que j’ai trouvé plus accessible.

Un monde sous contrôle

Je ne sais pas si c’est la période qui veut cela, mais ce que nous découvrons rapidement dans le récit de Christophe Carpentier est un monde dans lequel rien ne va plus.

Tout commence par une scène relativement anecdotique et l’arrivée dans une gare de campagne (Sainte-Blandine-sur-Fleury) d’un homme venu prendre possession de sa cargaison qui doit arriver par frêt.

Oui mais voilà, la gare n’est pas une gare qui reçoit habituellement du frêt et pire que tout, les références que communiquent l’homme n’existe pas dans le monde de la SNCF. Cela étant posé, l’homme questionne puisqu’il n’attend rien moins qu’un canon de cirque, pour lequel il a confié une somme importante à un ami qui est donc celui qui est attendu à la garde.

Surpris par la naïveté de l’homme, les villageois et villageoises en font leur sujet de discussion préféré…

Il est manifeste qu’à ne rien faire comme vous le faites, vous êtes hors du moment présent, donc hors-la-loi. Mais bon, ça, on peut pas le prouver. Alors je serais vous, j’irais dans le bar Chez Margerie regarder un bon Direct qui vous mettra à l’abri des viles tentations. Ca vous ferait perdre ce petit air narquois qu’ont tous ceux qui se vautrent dans le différé mémoriel

Pourtant, la situation va se complexifier pour notre rêveur quand la population va s’inquiéter de son oisiveté ou des risques qu’il leur fait courir dans un monde que nous découvrons parti dans une direction inquiétante…

Une société sous contrôle et excluant la culture

Car ce que nous découvrons, c’est que cette société du futur ne vit que par le présent. A longueur de temps, les directs s’enchaînent pour montrer ses héros et héroïnes du quotidien dans lesquels chacun·e doit se retrouver… Il ne s’agit pas simplement d’un lâcher-prise de la population, mais bien d’une règle de fonctionnement d’une société qui ne voit plus qu’au-travers du prisme de l’immédiateté.

Comment en est-on arrivé là ? Encore une fois, nous voici replonger dans le quotidien du Covid et surtout sur les conséquences du fameux « Quoi qu’il en coûte ». Les états ont continué à aggraver la dette jusqu’à ce que les grands groupes décident que la fête était finie… Résultat, chacun doit désormais payer sa part de la Dette et de façon à s’assurer que personne ne vienne se poser la question sur la pertinence de ce remboursement, le plus simple est d’empêcher tout à chacun de réfléchir. Et quoi de mieux que de faire disparaître la culture, reléguant les distractions à des programmes contrôlés avec des Directs moralisateurs ayant pour vocation de contrôler la population ?

L’arrivée en masse sur nos écrans de ces Directs moralisateurs est en effet parvenue à restructurer les tissus sociaux qui étaient en train de se déliter.

C’est ce que nous découvrons, et bien plus encore, dans ce récit de Christophe Carpentier, avec une racine du mal (si on peut dire ainsi) dans le détricotage des services publics : santé, éducation mais aussi sécurité avec l’apparition de milices en charge de s’assurer que tout à chacun ne végète pas dans le passé, ni ne se projette trop dans l’avenir.

Bien entendu, cela entraîne nécessairement le rejet de l’autre, et une forme de jalousie quand cet autre pourrait faire ce que nous n’avons jamais pris le risque de faire. Et c’est bien entendu tout le sel de ce roman et de cette étrange aventure que vit notre homme-canon.

Le monde tel que nous le connaissons a donc disparu, au profit du trio (dixit l’auteur) Responsabilité – Empathie – Maturité (toute ressemblance avec un acronyme existant ne serait bien sûr que fortuit). Mais surtout, une responsabilité de l’affaiblissement de la culture dû à la culture elle-même qui a fait le choix de se dévoyer.

Mais la trahison est venue de la littérature blanche elle-même, en amont donc de ces genres-là. En se vautrant dès le début des années 2000 dans le docu autobiographique, en ramenant l’écriture à un petit quant-à-soi factuel, narcissique et nombriliste, la littérature générale a renoncé aux ambitions stylistiques et inventives qui ne peuvent se déployer que dans la sphère de l’Inventé, et a préparé toute une génération de citoyens à foncer tête baissée vers la surconsommation de Directs prônée par la Loi sur la Psychologie Positive.

Un texte intelligent et d’actualité

Comme vous l’aurez compris, ce nouveau texte va nous questionner sur notre société et ce qu’elle pourrait devenir dans un monde post-covid, si nous n’y prenons pas garde. Ce texte donne un nouvel angle par rapport à celui chroniqué il y a quelques jours, Appartement 816, démontrant s’il en était besoin les inquiétudes et questionnements de notre société moderne faisant face pour la première fois à une pandémie de grande ampleur.

La forme, théâtrale, est aussi originale que pertinente, s’inscrivant dans la réalité de la dynamique proposée par l’auteur : le théâtre est une forme que nous pourrions qualifier de « Direct » et sans interprétation des faits. A noter aussi que je n’ai pas le souvenir pour ma part d’avoir lu une pièce de théâtre SF et c’est une expérience que je recommande très fortement.

Editions Au Diable Vauvert (06 janvier 2022) – 245 pages – 17€ – 9791030705027

À Sainte-Blandine-sur-Fleury, un homme inconnu entre en gare à la recherche d’un train de marchandise, qui d’après l’agent SNCF, n’a aucune chance d’arriver.
Qui est cet homme que tous prennent pour une menace à leur sécurité et leur bien-être commun ? Quelle est cette mystérieuse marchandise ?
Un homme peut-il, par sa seule fragilité, ébranler les structures psychiques du monde liberticide dans lequel il évolue à contre cœur ?

Provoquant l’empathie ou la suspicion des habitants dans un futur de propagande où l’accès à la culture est restreint et censuré, où les anciens médias – films, musiques, et fiction au sens large – sont devenus des sources de trafic (données mémorielles différées), et où chacun a sa part à payer dans le remboursement de la Dette due aux épidémies de Covid, Christophe Carpentier nous livre un texte d’une intelligence folle, extrêmement pénétrant et philosophique, qui rompt toutes les règles et genres.


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