Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Entretien avec Phenderson Djèlí Clark

J’ai découvert Phenderson Djèli Clark, par sa novella Ring Shout publiée chez L’Atalante qui a reçu plusieurs pris dont le prix Julia Verlanger durant les Utopiales. Mais ce n’est pas le seul titre de l’auteur puisque plusieurs nouvelles, novellas et romans, uchroniques, ont déjà été traduites et se déroulent à la Nouvelle Orléans, au Caire, …

Profitant de sa présence en France, aux Utopiales, j’ai posé quelques questions…

Vous pouvez retrouver la version anglaise ICI

Je suis assez surpris car vous êtes historien et vous écrivez des uchronies.. Comment faites vous le lien entre les deux ?

Je pense que ma science-fiction existait avant que je ne sois un historien. Donc, j’ai toujours été depuis que je suis enfant été intéressé par la Science-Fiction et la Fantasy. C’était ce que je lisais, ce que je regardais, tout le temps. L’uchronie a toujours été quelque chose qui me fascinait du fait du Et si. Que ce passerait-il si cela avait été autrement ? J’ai été habitué à lire des comics. C’était un grand sujet, et si ? Je pense avoir toujours été fasciné par cela. Plus tard, je finirai par m’intéresser à l’histoire. Je suppose que, lorsque j’ai commencé à penser à l’écriture, cela est presque naturel que j’ai pensé d’abord à, que se passerait-il si cela changeait ? Même si, en tant qu’historiens, nous savons qu’il n’y a qu’une seule histoire, et qu’elle ne changera pas. Mais c’est de la l’imaginaire, il s’agit d’imaginer et de rêve et cela devient pour moi un moyen d’explorer certains éléments de l’histoire, parfois de façon plus profonde, en imaginant ce qui aurait pu être et m’aider à comprendre et aider les étudiants à comprendre parfois ce qui est. C’est pourquoi les deux peuvent très bien fonctionner ensemble.

Certains historiens disent que l’histoire est l’Histoire et ne peut-être modifiée…

A certains égards, nous ne pouvons pas. Personne ne le peut. Nous n’avons que l’histoire qui s’est produite, point final, fin de l’histoire. Et nous ne l’avons fait que parce que nous ne connaissons pas d’autres civilisations qui existent ailleurs dans l’univers. C’est la seule histoire, tout dans l’histoire humaine est la seule histoire que nous savons exister. Exact. Toute histoire que vous créer, qui est une uchronie, est intrinsèquement imaginaire puisque vous avez choisi le point de divergence et que personne ne sait ce qui se passerait si vous changiez une chose. L’histoire est tellement complexe : vous n’avez aucune idée de ce qu’il se passerait si vous changiez l’un ou l’autre point. Et donc, c’est que de la fantaisie. Totalement exact.

Dans le même temps, je pense que c’est un bon moyen d’explorer. Dans mon travail, par exemple, dans l’exploration de l’uchronie dans Les tambours du Dieu noir, où Haïti devient une puissance, c’est un moyen de questionner pourquoi cela ne s’est produit pour Haïti ? Pourquoi les choses ont tourné différemment ? Notamment pour enseigner aux étudiants et intéresser les personnes qui pourrait en savoir plus sur l’histoire. Je trouve que, parfois, écrire du fantastique ou de l’uchronie rapproche les personnes de l’histoire réelle.

Donc je pense que cela a son utilité. De plus, c’est plutôt amusant.

Vous êtes un grand lecteur, et un vrai fan de Science-Fiction et avez commencé à écrire et être publié : quel a été le déclencheur de cette décision ?

Je vais vous dire quelque chose : cela n’a pas été une histoire rapide. J’ai commencé à écrire en 1999, c’est le temps qu’il m’a fallu pour être publié. Je voudrais dire ça aux écrivains, si certains lisent cet échange, patience et persévérance, cela peut prendre du temps, Ok, soyez patients. Mais quel a été le déclencheur pour moi ? Pendant longtemps, je créais plus jeune, je créais des histoires, pour mes amis, pour ma petite soeur, j’ai créé quelques petits comics, j’ai créé quelques petites histoires, et donc je pense que j’ai toujours utilisé mes mains pour écrire, mais vous avez raison, je n’ai jamais pensé, Oh, je vais en faire ma profession. Oh, je vais écrire un livre et une histoire que beaucoup de personnes liront et je ne me souviens plus ce que c’était, mais quelque chose, et je lisais beaucoup, des nouvelles et des livres, m’a à un moment, fait penser : et si je faisais ça ? Et pourrais-je le faire ? Devrais-je essayer ? et j’ai décidé de franchir le pas et d’essayer d’écrire, cela a pris du temps pour bien faire les choses.

Et vous avez gagné de nombreux prix pour Ring Shout, notamment le Nebula, le Locus, …

Tout cela est choquant (rires)

Comment l’avez-vous géré ?

Je ne sais pas, je suis un historien, et j’écris donc aussi de ce côté là, j’écris donc beaucoup. Je suis aussi le père de deux jumelles de 4 ans et d’un petit chien, et donc comment j’ai réussi à gérer tout cela, c’est dur, il n’y a que 24 heures dans une journée, donc c’est dur à faire. Mais quand j’ai commencé à écrire, je n’ai jamais pensé, bien, je vais gagner un prix. Je voulais juste essayer d’avoir quelque chose de publié. J’aurai été content si j’avais une nouvelle de publiée dans le plus obscur magazine ou s’ils jugeaient mon histoire excellente. Je n’ai jamais pensé que je serai publié par Tour, l’éditeur avec lequel j’avais grandi. Je n’ai jamais pensé à ça jusqu’à ce qu’ils m’annoncent que j’étais nommé pour un prix : j’étais comme, qui moi ? Nommé pour un prix, moi, parce que j’ai écrit quelque chose.

Et donc, oui je suis reconnaissant, je me considère chanceux mais je ne m’attendais pas à ce que cela devienne une carrière, un travail où j’aurai des contrats et où les personnes attendent que j’écrives des choses. Je pensais que je serai pour toujours heureux si un de mais libres était publié et que peut-être dix, cent personnes le liraient, ce serait suffisant pour moi

Vous êtes surpris et maintenant, vous voilà traduit en français, c’est nouveau en tant qu’auteur ?

C’est différent de voir mes livres traduits en français. L’autre jour quelqu’un m’a montré mon livre traduit en tchèque. Encore une fois, j’étais déjà heureux si je vendais à quelques personnes, je découvre que le livre est vendu partout dans le monde et aussi en France où les personnes viennent me voir et me disant qu’ils ont vraiment aimé le livre et qu’ils leur parlent vraiment, ce livre basée sur l’histoire de Georgia. Je remercie ma traductrice Mathilde, qui a fait un travail fascinant pour que les personnes puissent lire et comprendre ce livre, même s’il n’est pas en anglais, il a été traduit en français et non simplement interprété, vraiment traduit de façon à ce qu’il parle à un public français. Je suis fasciné par cela. De temps en temps, je regarde ces livres dans les différentes langue set me demande comment c’est arrivé.

Je vous ai découvert avec Ring Shout. L’histoire est celle des Etats-Unis avec des sujets autour de la ségrégation et des afro-américains. Ce n’est pas si facile de partager l’histoire américaine avec le contexte pour des personnes qui ne connaissent pas cette histoire. Est-ce quelque chsoe que vous vouliez partager avec tous, cette difficile histoire américaine ?

Je suis vraiment heureux de partager cette histoire. Lorsque je l’ai écrite, cela devait juste être une petite histoire avant Le maître des Djinns et l’éditeur voulait quelque chose pour avoir une parution. J’avais cette idée dans la tête et je me suis dit et si je leur en parlais ? J’ai pensé que cela sonnait étrange, mais nous verrons. Je suis à nouveau reconnaissant, d’abord, qu’en Amérique le public est bien reçu le livre. Je pensais réellement que ce livre serait compris par un petit groupe de personnes, mais qu’il toucherait beaucoup de monde, qu’ils réussiraient à le comprendre et que des personnes non américaines réussiraient également à se procurer le livre.

Cela veut simplement dire que j’ai été assez chanceux et je persiste à dire chanceux car pour une grande part, c’est de la chance. Il se trouve que j’écris les mots dans le bon sens. J’aurai pu le faire de différentes façon car j’ai la chance que cette histoire porte une universalité, ce que je en pensais pas arriver au premier abord et qui m’a surpris. Je pensais que ce serait une petite histoire que de personnes comprendraient. Mais il s’est avéré que les thèmes que j’abordais, même si les personnes n’étaient pas plus au fait de l’histoire que cela, étaient suffisamment universelle pour parler à beaucoup de l’oppression et de la lutte contre celle-ci, et ce que la haine peut faire à une personne même lorsqu’elle lutte contre elle. Je pense que c’est tellement humain que ça a traverser les frontières. Cela n’a pas d’importance que vous soyez du sud, car je pensais que les personnes ne pourraient pas comprendre si elles n’étaient pas du sud. Mais il s’est avéré que les habitants du Nord de l’Amérique et de l’Ouest l’ont compris, tout comme les personnes en France ou en Espagne. t je suis heureux d’avoir réussi à aborder cela sans le vouloir.

En lisant votre texte, nous sommes attirés à nous intéresser au Ring Shout… Pouvez-vous expliquer ce rituel ?

Ce rituel a été créé à bien des égards durant les temps de l’esclavage : les esclaves l’ont créé comme un rituel spirituel. Nous ne sommes pas sûr des origines. Certains le trace dans certaines parties d’Afrique, mais personne n’en ai vraiment sûr. C’est peut-être quelque chose qui vient pour une part d’Afrique, mais qui a été aussi créé par les esclaves dans le sud des Etats-Unis, il s’agissait d’un mouvement spirituel qu’ils feraient de bien des façons. Le Ring Shout en lui-même est un mouvement plus qu’autre chose, dans lequel les personnes se déplacent en cercle en chantant ces chansons et, comme ils n’avaient pas d’instruments, ils se frappaient la poitrine, applaudissaient et tapaient des pieds de façon très rythmée. Si vous entendez un Ring Shoud, c’est contagieux. Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous retourner et de regarder. Ils ont géré de ne pas avoir d’instruments, rien. Ce sont des personnes qui ne pouvaient avoir cela. Ils ont été interdits. Et pourtant, ils parviennent à faire cette musique et ces mouvements où ils ne font que tourner autour. Certaines de leurs chansons concernent le travail quotidien, mais certaines concernent la religion.

Comme je l’ai raconté dans le livre, j’ai compris en écoutant ces chansons qu’i y a une cosmologie et une philosophie profonde présente. Ils parlent de vie et de mort et de ce que c’est de penser aux choses. et je peux imaginé être un esclave et avoir à faire ce travail encore et encore. Et c’est peut-être un temps où votre esprit courre et vous pensez : combien de philosophes sont nés là ? Et les gens ne le reconnaissent pas alors qu’ils pensent à la vie et à l’existence humaine et plus. Le Ring Shout signifie tout cela pour moi. J’ai vraiment voulu évoquer beaucoup de cela autour de cette histoire. Lorsque j’ai écrit l’histoire, je ne l’ai pas su tout de suite. Je savais que le rituel serait là, mais c’est lors de l’écriture, je dirais, qu’il est devenu un système magique, par qu’il y a beaucoup de magie dedans. Il y a de la magie que je ne peux même décrire par des mots, mais la magie est là. Je voulais vraiment que les persones le comprennent, comme un rituel, un rituel puissant que ces personnes opprimées ont créé et qui est fascinant.

Vous avez choisi trois femme au coeur de l’histoire, qui combattent : pourquoi des femmes ?

Vous savez, lorsque j’ai créé l’histoire, les personnes m’ont demandé pourquoi j’ai choisi trois femmes. Et il y a plusieurs raisons. Je savais déjà que le personnage principal serait une femme, et je voulais juste lui trouver des compagnons. Je ne voulais pas la perturber avec une voie masculine. Je voulais jusqu’elle puisse avoir la possibilité de répondre au test de Bechtel, si vous avez déjà entendu parler. Je ne sais pas qui l’a inventé, mais ce test de Bechdel questionne si vous regarder des films, ou lisez un livre sur la fréquence où une femme est présente dans un film, la fréquence où une femme parle à une autre femme. Vous pouvez compter. Maintenant que vous avez fait cela, comptez a fréquence à laquelle une femme parle à une autre femme et que cette femme ne parle pas d’un homme. Vous verrez le nombre chuter, et vous comprenez et vous dites, ouah, c’est très peu. Lorsque j’ai créé l’histoire, je voulais un groupe de femmes qui ne parlent pas d’un homme.

Pour la plupart, elles peuvent en parler, mais elles peuvent parler d’autres choses. Elles ont d’autres sujets en cours. Je voulais leur donner cette possibilité de se coordonner. Je me suis dit, ouais, cela ne va pas être un espace pour les hommes. Cela doit rester un espace féminin où elle peuvent parler. Je savais que quelqu’un allait traîner autour, Maurice devait apporter quelque chose comme dans les trois Mousquetaires. J’avais besoin d’apporter quelque chose dans ce jeu. Chacune devint ce personnage que je voulais avec sa voix propre, je voulais leur donner de la complexité. Et je voulais qu’elles soient appréciées comme personnages et qu’on les ressentent réellement.

Il y a un sujet autour de la violence qui engendre la violence. Nous voyons des femmes dans l’histoire avoir des réactions différentes. Pensez-vous qu’on puisse affronter la violence par la violence ou doit-on arrêter?

Eh bien, c’est un peu la vraie question du livre, non ? Il y a ce point, je pense, que le livre questionne d’une certaine façon, qui est que les personnes opprimées vont se battre. A quel moment, cependant, leur oppression est telle que la violence qu’ils adoptent pour se libérer va glisser de la justice vers quelque chose d’autre. Je pense que c’est la question que ceux qui se battent pour la justice doivent se poser, non ? Quand cela peut-il déborder et devenir autre chose ? Quand les personnes dérapent-elles ?

Je pense que la France à une bonne histoire de cette révolution, non ? A quel moment est-elle robuste ? A quel moment avez-vous complétement dévié et c’est devenu quelque chose d’autre, une bête que vous ne pouvez pas gérer ? Et c’est la question que je me pose. C’est une question universelle. Une des questions que je pose aux personnes qui oppriment, n’êtes-vous pas en train de créer cela ? Je le dis pas uniquement pour les personnes qui le combattent, mais aussi pour les autres : méfies-toi parce que tu peux créer les germes de tes futurs problèmes.

Je veux adresser les deux côtés sur le sujet et y réfléchissent.

Une question autour du Maître des Djinns : c’est votre premier roman long. Un challenge ?

(Rires) Voici la chose. Voici le secret. Toutes mes novellas étaient à l’origine des nouvelles. Je n’ai pas le problème de ces écrivains qui se demandent comment ils vont écrire tous ces mots. J’ai le problème d’avoir trop de mots. Je dois couper et couper. Et donc pour moi, écrire un livre était différent, ej l’avais fait avant et n’avais jamais été publié, mais j’avais fait, même si c’était il y a longtemps, donc je devais reprendre l’habitude. Ce n’était pas dur pour moi car quelque soit ce que j’écris, comme The Valleys, je suis toujours au-delà du nombre de mots. Ring Shout avait dans le premier jet, je dirai, 50000 mots là où nous en voulions 40000. Du coup, j’ai du coupé, coupé et coupé. Et chaque fois que mon éditeur disait, tu dois coupé plus, encore plus, jusqu’au moment où le livre est publié, Ring Shout avait 39998 mots, juste deux mots en dessous du seuil, mais j’ai eu à retirer plus de 10000 mots.

Du coup, écrire un livre plus long est finalement libérateur, même si j’ai quand même eu à couper car j’ai dépassé un peu de ce qu’ils voulaient. Ca me rendait libre car je pense que j’étais capable de m’ouvrir et d’écrire autant que je voulais. J’ai aussi pu le faire parce que les personnages venaient de livres précédents, et que j’ai pu les développer tout comme le monde. Du coup, c’était amusant.

Une dernière question : j’imagine que c’est votre première fois aux Utopiales, quel est votre ressenti ?

Oui, c’est la première fois. Ouah. Je ne m’attendais pas à ça. Lorsque j’ai accepté l’invitation, j’étais en mode, bien sûr je vais aller en France, pourquoi pas ? Je n’imaginais pas que ce serait aussi grand avant mon arrivée et que je verrai autant de personnes. C’est comme un Comic Con ou quelque chose de similaire. Je ne savais pas que c’était si étendu. Voir tous les livres des auteurs français est fascinant. Et ça m’a fait réfléchir. Et au sujet de cela, j’ai rencontré hier un auteur de Martinique (Note : il s’agit de Michael Roch et Tè Mawon) qui a écrit en français-créole… Cela m’a fasciné d’un côté et et m’a aussi fait me questionner pourquoi beaucoup de ces auteurs français ne sont pas traduits, exceptés pour les très, très connus ? Pourquoi ne sont-ils pas traduits en anglais, comme les miens le sont en français ? Je me suis dit que j’allais commencer une croisade pour faire que certains éditeurs aux Etats-Unis ou au Royaume Uni traduisent certains de ces livres. Il y a quantité de personnes ici faisant un travail fascinant. Pourquoi ne les voyons-nous pas là bas ?

Je suis heureux d’être là et de découvrir tout cela : j’espère revenir.

I have a last question. I imagine this is the first time in Utopiales… What’s your feeling?

Yes, first time. Wow. I did not expect it to be this. When I took the invitation, I was like, sure, I’ll go to France, why not? But I did not know it was this big until arriving and seeing how many people are here. It’s like Comic Con or something or I did not know it was this big. I did not know it was so expansive. Just seeing all the books by French authors is fascinating. And it makes me think. And also from the French diaspora, I met someone yesterday from Martinique who’s writing in French Creole… It made me start thinking I’m fascinated about it, for one, but I also start thinking, wow, why aren’t many of these French writers being translated except for the very, very famous; why aren’t many of them being translated into English? Like my book is translated to French? But I would love some of these writers and I’ve asked them, are your books translated to English now? I said, now I’m going to have to start a crusade to make certain that some of these publishers in the US. And UK translate some of these books. There are a lot of people here doing fascinating work.

Why don’t we see these there? I’m happy to be here. I’m happy to discover all these and I hope to come back.


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