Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Froid de Rafael Pinedo

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J’ai rencontré Jean-Luc André d’Asciano, l’éditeur de l’Oeil d’or, au salon Etonnants Voyageurs de Saint-Malo : il m’a sympathiquement proposé de découvrir Froid par l’auteur argentin Rafael Pinedo, disparu en 2006. Dans cette parutino datant de fin 2022, nous trouvons trois textes qui, bien que différents, aborde tous les trois un monde post-apocalyptique…

Plongée dans le froid et la solitude…

Le premier texte de Rafael Pinedo que nous découvrons nous emmène dans un coin isolé, dans une congrégation-école, à proximité de ce qui semble être un petit village. Les temps ont changé et une vague de froid persistant met en péril l’existence de l’humanité. C’est probablement la raison pour laquelle les sœurs décident de quitter leur couvent pour aller vers un lieu plus chaud… Sauf une des professeures qui fait le choix de se cacher, laissant ces coreligionnaire prendre la route et fuir l’isolement.

Cette décision de rester va bien sûr entraîner un isolement d’autant plus important que le froid rend la vie (très compliquée). Notre narratrice devra donc mettre en place un certain nombre de routine pour réussir à survivre et à occuper ses journées. Et si ces routines l’aident bien, elles lui laissent malgré tout beaucoup de temps pour réfléchir, pour se souvenir et pour maintenir sa relation à son Dieu.

« Avec les os, elle fabriqua le Christ sur la croix. La tête d’un de ses chers martyrs, laborieusement nettoyée, couronna la statue. Avec du fil de cuivre, qu’elle extirpa d’un câble, elle tissa une petite couronne d’épines.[…] Elle était fière de son œuvre, de son nouveau Christ, du Christ des Rats. »

Froid

Mais comment garder la foi toute seule ? C’est une des questions qui va tourner jusqu’à ce qu’elle décide de profiter du peu de compagnie animale qu’elle a – les rats – pour maintenir des cérémonies qui vont cadencer une nouvelle fois son quotidien.

Pourtant, ce qui sera intéressant dans le texte de Rafael Pinedo va être la double confrontation, d’un côté face aux éléments externes : le froid bien sûr mais aussi des visiteurs et visiteuses qui découvrent le lieu et de l’autre côté face aux éléments internes : sa propre mémoire et ce qu’elle est…

Car nous comprendrons rapidement que la Sœur a un passé plutôt douloureux, qui l’a conduite à ses décisions définitives, et nous la voyons, de façon finalement peu surprenante, glisser progressivement dans la folie… Cela passe par la révélation de fantasmes, dont elle demeure honteuse, jusqu’à une scène qui m’a pour le coup gênée…

Un récit qui n’est pas tant un texte post-apocalyptique qu’une introspection sur un personnage, en huis-clos qui a du mal à accepter ce qu’elle est et qui va tenter de s’opposer à ses pulsations propres.

… avant de découvrir un autre futur dangereux…

Dès le démarrage de la nouvelle Métro, le décor est planté et nous promet bien des surprises. Une jeune femme enceinte est en train de fuir une meute de loups, le long de ce qui semble être des rails, et en compagnie de son beau-fils. Rapidement, la meute se rapproche et l’accident survient : le jeune garçon trébuche et se blesse sérieusement. Loin de lui venir en aide, la jeune femme décide de l’abandonner, après avoir récupéré ce qui l’intéresse avec l’espoir que cet abandon lui permettra de prendre de la distance.

Reprenant la fuite, la future mère tombera dans un puit et réussira tant bien que mal à se raccrocher à un câble avant d’être secouru par un peuple qu’elle ne connait pas. Des échanges qui vont suivre, nous découvrirons que deux populations semblent avoir survécu. A la surface, le clan de notre narratrice pratique “l’appariement”, un moyen relativement barbare de faire perdurer l’humanité, une humanité qui me semble bien être victime de radiation.

Sous terre, une autre vie s’est développée pour l’autre peuple, et que ce soit l’un ou l’autre, nous pouvons nous questionner sur ce qui différentie l’humanité de la bestialité.

Le récit est dur et ne pourra pas vous laisser indifférent.

… et finir sur un peu de poésie

Grâce à Labyrinthe. Un texte court nous menant dans la même recherche de sortie que le narrateur prisonnier. Comme lui, nous avançons et guettons la possibilité d’une fuite, d’une échappatoire avec cette impression d’éternel recommencement.

Cette publication est une bonne occasion de découvrir un auteur peu connu en France, et donc une littérature d’imaginaire argentine. Certains aspects pourront déranger comme je l’indiquais pour une des scènes de Froid mais reste de l’ensemble des textes puissants, noirs et peu optimistes.

Editions L’Oeil d’or (Octobre 2022) – fictions & fantaisies – 222 pages – 20 € – 9782490437191
Traduction : Adrienne Orssaud (Argentine)
Titre Original : Frio, Subre et Labyrinthe (2004)

Avec Froid et Métro, Rafael Pinedo nous décrit les mondes d’après la fin du monde, à travers deux portraits de femme qui développent des stratégies de survie radicales. À rebours des univers à la Mad Max, Pinedo parle d’un après ou ne s’élève aucune figure héroïque, aucun espoir d’une reconstruction future. Il décrit les efforts quotidiens, les choix terribles, les souffrances extrêmes qu’implique la volonté de survivre, ou de mourir. Dans une langue épurée, glaciale, étrangement poétique, Pinedo nous présente deux saisissantes figures féminines – une religieuse du monde d’avant, seule au milieu de son institut cerné par le froid, et une survivante du monde d’après, composé de groupes épars aux règles strictes et aux tabous d’autant plus violents qu’incompréhensibles – deux femmes confrontées à d’ultimes interrogations : faut-il conserver son humanité si l’humanité a mené le monde à sa perte ? Et ne faut-il pas devenir absolument autre pour espérer survivre dans une forme d’enfer ?


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