Piloté et suivi éditorial par Stéphanie Nicot & Jean-François Stich
Nous savions que le monde du travail allait changer avec l’arrivée des nouveaux outils, les Intelligences Artificielles et la crise du Covid-19 a accéléré le mouvement en confinant et développant les outils permettant de travailler à distance. Dans le monde de l’entreprise, cette période a laissé des traces, que ce soit dans la prise d’habitude de travailler depuis chez soi ou dans cette volonté de ne plus subir déplacements et collègues, avec cette contrepartie qui est une perte de relations humaines et un détachement au monde de l’entreprise pour certains.
Ces évolutions dans le monde du travail peuvent avoir autant des conséquences positives que négatives, le tout étant de savoir mesurer et d’être attentif aux conséquences qu’elles soient humaines avec le sens du travail, l’aggravation de l’isolement que sociales, avec l’impact sur le code du travail et le mode de fonctionnement de l’entreprise ou encore juridiques avec les impacts sur la façon dont seront traités certaines « déviations ».
Le corps de métier de la RH est d’accompagner les collaborateurs et collaboratrices au quotidien pour qu’ils poussent l’entreprise au mieux de leurs compétences. Et au pire nous leur trouvons des formations.
Cadre spationaute de Fabien Fernandez
Le recueil de nouvelles proposé par les éditions ActuSF permet d’aborder ces problématiques sous l’angle de la prospection avec des nouvelles de science-Fiction mais aussi sous un angle plus universitaire.
Des nouvelles de qualité…
- Amour numérique de Floriane Soulas : L’inspecteur Dandoit reçoit Julien Levaux pour une enquête autour d’une plainte déposée par Celia Blanc pour destruction de biens et harcèlement. L’enquête va prendre une tournure bien étrange lorsque l’enquêteur se trouvera confronté à une discordance importante dans les échanges entre les remontées de la jeune femme et ce qui semble être une relation consentie du côté de Julien. Avec beaucoup de finesse, Floriane nous plonge dans ce que pourrait devenir une vie d’entreprise où notre interlocuteur pourrait être bien différent de ce que nous imaginions
- Où se niche l’ambition de Sylvie Lainé : Emmy a la possibilité de travailler sous forme d’avatar et de pouvoir se présenter au regard des autres sous une autre apparence. L’apprentissage de cette nouveauté est potentiellement longue et a l’avantage de permettre de ne plus subir les discriminations… Un outil idéal pour permettre de normaliser les relations professionnelles mais jusqu’à quel point. Sylvie va nous permettre au travers de cette nouvelle sur les limites de l’exercice et la persistance du risque de harcèlement.
- Cadre spationaute de Fabien Fernandez : Matt a trouvé le travail idéal et rêvé, le travail de toute une vie et c’est avec assurance qu’il remplit la tâche dans l’espace de réparation et d’entretien de la navette, mais un petit truc le met mal à l’aise, un sentiment étrange… La thématique ici est le bien-être au travail et la capacité à identifier ce qui pourrait être le job idéal… Avec cette question derrière des risques psycho-sociaux et de leurs évolutions. Un texte qui m’a particulièrement marqué.
- Dysphorie d’Anne-Sophie Devriese : Eurydice a besoin absolument d’argent pour pouvoir rembourser sa dette dans l’Envers… Et l’urgence est d’autant plus grande que son fils a été mise en stase. Etrange nouvelle qui aborde le thème de la réalité virtuelle et de cette vie alternative. J’ai par contre beaucoup de mal à faire le lien avec le monde du travail..
- Parallaxe de Katia Lanero Zamora : Opale Samin, responsable d’équipe de designers, se voit inviter à échanger avec une psychologue du service bien-être. Et c’est bien la question du bien être au travail qui est posée dans ce récit où nous voyons le décalage entre le discours employeur et la réalité de l’emploi. Un texte qui sonnera étonnamment juste pour de nombreux et nombreuses employé·e·s quant à leur quotidien. Pour moi, il s’agit d’un des textes les plus intéressants en terme d’alerte sur la vision de l’entreprise de demain, vantant une hiérarchie accrochée au bien-être de ses équipes, loin de la réalité opérationnelle…
Ils disent qu’ils mettent à notre disposition tout un tas d’outils, de slogans, de services, soi-disant pour nous aider à nous organiser, parce que leur priorité, c’est nous, notre santé mentale. Mais c’est faux.
Parallaxe de Katia Lanero Zamora
- Tomies de Ketty Steward : Dans sa nouvelle, Ketty Steward nous propose de découvrir ce que pourrait être l’entretien de demain, avec Mona qui va tenter de tout mettre en œuvre pour trouver son emploi. La question du coaching est ici centrale, une forme monétisée pour réussir à intégrer la société mais Ketty aborde aussi la question des renoncements nécessaires pour obtenir le sacro-saint contrat…. Un récit terrible et très bien mené.
- Bienvenue à Galaxité d’Aurore Danday : Lorsque les journées se succèdent, la journée du Beautemps est une vraie soupape de détente comme nous allons pouvoir le découvrir que ce soit avec notre narratrice ou encore Chowa et son étrange alcool.
- Hauts et bas de Pierre Bordage : Après un rappel sur l’origine ethnologique du mot travail, Pierre nous fait découvrir un monde où le travail a été aboli, laissant la population sur des métiers artistiques et culturels… Mais la question que tout le monde devrait se poser devant cette oisiveté d’état est : qui fait tourner le monde ? Au-delà de ce questionnement, Pierre aborde aussi, associé à ce travail, la question du bonheur.
- Et demain de David Bry clos donc pour l’aspect nouvelles le recueil, mêlant les conséquences du dérèglement climatique avec une forme de travail obligatoire. Une nouvelle où nous pouvons à nouveau évaluer les possibles dérives des états face à des événements incontrôlés.
… qui résonne avec les thèmes universitaires
Du côte des articles universitaires, nous trouvons le pendant des nouvelles, essayant d’insérer une lecture social et scientifique et de la confronter à la réalité actuelle.
- Un robot comme collègue : présent ou futur du travail ? de Thierry Colin et Benoît Grasser avec notamment cette notion de Cobot va nous permettre de savoir où nous en sommes sur les assistants artificiels de travail.
- Le salarié, le métavers et le droit du travail de Patrice Adam : quel pourrait être les droits ouverts aux avatars et quelles conséquences sur le monde du travail avec l’apparition de nouvelles méthode de travail telles que le multivers en plus du télétravail ?
- Pleine conscience au travail : quel intérêt d’éveiller la conscience des travailleurs ? de Valery Krylov partage les retours sur les expériences menées par des groupes (notamment GAFAM) pour développer la créativité. Personnellement, j’ai trouvé cette thématique loin des sujets qui m’intéressaient autour du travail et de son environnement.
- Participation et co-construction : le modèle conversationnel des arts collaboratifs de Philippe Mairesse aborde la dimension création artistique dans un monde en constante évolution technologique. N’étant moi-même pas dans ce secteur, je suis resté un peu loin de la discussion et de ce qu’elle impliquait pour le domaine artistique…
- Les arts comme médiateurs d’une coopération inter organisationnelle au service de la résilience territoriale ? d’Inès Corinto et Elise Marcandella questionne autour des défis sociétaux pour une gestion des territoires. Si le sujet ne manque probablement pas d’intérêt, il m’a semblé encore une fois un peu hors de propos.
- Les promesses avortées d’une société d’abondance. Technoloige et progrès social dans La nuit des temps de René Barjavel de Corinne Gendron : L’autrice nous propose d’avoir une lecture de ce que nous promettait le fameux roman de René Barjavel à confronter à la réalité d’aujourd’hui.
- Après les dérives du coworking, une prtaique anarchiste pour une société viable et durable ? par Aurore Dandoy questionne sur les nouvelles méthodes de travail que ce soit le coworking, avec cette différence principale quand aux collaborateurs et collaboratrices qui ne sont pas de la même société et ce que cela peut impliquer.
- La lune de la grande démission, le doigt de la valeur-travail de Yann-Boutang. Il a été beaucoup question de nouveaux termes comme la « Grande Démission » (Big Quit) ou du Quiet Quit… Qu’en est-il vraiment et quel avenir pour le travail ?
- Quand l’écologie rencontre le travail de Davy Athuil clos les essais abordant l’importance de l’écologie et quel impact sur les populations. Par rapport aux enjeux actuels, il aurait été intéressant de le confronter à toutes les démarches que les entreprises tentent de lancer que ce soit autour du Greenwashing, d’une volonté réelle ou encore pour attirer des talents.
Un recueil intéressant, sortant de la thématique
Je dois reconnaître que l’ensemble me laisse un peu sur ma faim… Cela ne tient en rien à la qualité des nouvelles d’un côté et des travaux / articles de l’autre, qui sont réellement intéressantes et nous permettent de mettre le doigt sur un certain nombre de faits sociétaux mais bien plus parce qu’il me semble que les sujets ont été soit omis soit survolés.
Aujourd’hui, et probablement en conséquence de la période Covid, de nombreux·ses salarié·e·s sont en quête de sens. Ce questionnement sur la valeur du travail, sur l’apport à la société aurait de mon point de vue pu être développé que ce soit dans la démarche du Big Quit, Quiet Quit mais aussi dans la dimension travail obligatoire (en rapport par exemple à cette volonté d’avoir une contrepartie pour le RSA), dans la dimension temps de travail et coupure à la société (Outil numérique), … Les thématiques auraient gagné à mon sens à être plus larges mais je reconnais aussi que le sujet est complexe, surtout dans un monde en pleine transformation.
Un recueil intéressant donc, tout en étant pas totalement, de mon point de vue, au rendez-vous sur la thématique.
ActuSF (Juin 2023) – 461 pages – 20,90 € – 9782376865858
Couverture : Audrey Gineux
Contrairement à une idée reçue, la science-fiction ne prédit pas l’avenir, mais elle imagine des futurs possibles ; elle ne parle pas des temps à venir, mais du présent. Et de nous. Et qu’est-ce qui est plus humain – et parfois plus brutal, quand il perd toute finalité éthique – que le travail ? Questionner, bousculer, faire réfléchir, mais aussi faire rêver et distraire – même si c’est parfois sur un ton grave, voire angoissé – c’est le pari (à choix multiples) que font ici chercheurs, essayistes et auteurs de fiction. En neuf articles et autant de nouvelles – et une postface qui en tire les enseignements. Le monde va changer. Quand et comment, nous l’ignorons. Mais cette anthologie, comme la société qui nous entoure, est en travaux !
Articles et nouvelles de Patrice Adam, Davy Athuil, Pierre Bordage, David Bry, Thierry Colin, Inès Corinto, Aurore Dandoy, Anne-Sophie Devriese, Fabien Fernandez, Corinne Gendron, Benoit Grasser, Ariel Kyrou, Valéry Krylov, Sylvie Lainé, Philippe Mairesse, Élise Marcandella, Yann Moulier-Boutang, Katia Lanero Zamora, Floriane Soulas, Ketty Steward.