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Interview de Lou Jan

Lou Jan était présente aux Utopiales pour parler de son nouveau roman La Machine à aimer aux éditions Critic.

L’occasion de lui poser quelques questions sur ce roman.

Bonjour Lou.

Bonjour Allan

Je voulais échanger avec toi autour de la machine à aimer qui, si je ne me trompe pas, est le deuxième dans l’univers.

Absolument. Ce n’est pas exactement le même univers, mais il y a des points communs. Par contre, c’est complètement indépendant au niveau de l’histoire et du scénario.

Il est sorti chez les éditions Critic. Les robots intelligents, l’humanité a décidé de s’en débarrasser. Pourquoi ?

Parce qu’en fait, ils sont trop parfaits, trop aimants et l’humanité a pris peur. Donc c’est dit, si un groupe de terroristes arrivait à hacker ces robots, comme il y en a un milliard, on serait fini. Donc, gros coup de panique. Tous les robots sont désactivés sauf une. C’est une robotte, c’est elle. Elle est très belle. Elle va se cacher pour pouvoir survivre et notamment, elle va devoir prendre la forme d’un robot dit débile.

Et malgré tout, avant de se cacher, elle est victime d’un bug qui la réveille.

Par rapport à d’autres. Voilà, exactement.

Ce qui est intéressant, c’est que dès les premiers temps, elle se retrouve… C’est une machine à aimer, donc elle avait une vocation de femme et elle se retrouve prostituée ?

C’était une machine à aimer paramétrée avec le logiciel Philia, qui est le logiciel d’amour universel, à la différence de Eros, qui est l’amour passion, ou des forces la différence d’Agapé, qui est l’amour de Dieu. Elle, elle avait le paramètre amour universel, c’est- à- dire qu’elle doit aimer quoi qu’il lui arrive, quoi qu’on lui fasse. Et malheureusement, elle se retrouve piégée à ne pas pouvoir réagir, à ne pas pouvoir se défendre, puisqu’elle n’est censée qu’aimer. Et donc elle va être instrumentalisée pour sa beauté et se retrouver dans un bordel. Mais c’est indépendamment de sa beauté. Évidemment, c’est juste qu’elle a été capturée et on l’a instrumentalisée.

Et ce qui est intéressant, déjà, dans cette première étape, c’est qu’elle n’est pas toute seule. Il y a des hommes et des femmes qui sont eux- mêmes dans la prostitution et notamment un personnage dont la sexualité, il a du mal avec sa sexualité à l’accepter ou alors les autres ont du mal à l’accepter. Tu voulais aussi parler de cette diversité ?

Oui. C’est un roman qui questionne vraiment le genre dans le sens large. Déjà, le personnage dont tu parles, c’est un Neandertal. Dans notre monde, il y a des sapiens qui sont comme nous et il y a aussi des Néandertals qu’on a recréés, parce qu’ils sont légèrement plus intelligents. On en a eu besoin pour les postes de responsabilité, au gouvernement ou autre. Je vais questionner déjà le genre humain entre Néandertal et sapiens. Ensuite, je vais questionner le vivant. Entre la machine à aimer qui est un robot, mais qui aime autant qu’un humain, et les vrais humains, qu’est- ce que le vivant ? Est- ce que c’est des gènes ou est- ce que c’est l’intelligence et le fait de pouvoir aimer ? Je vais questionner ça. Et après, je vais questionner aussi le genre homme/ femme. Donc, on va du plus haut au plus détaillé, puisque la machine à aimer, elle est paramétrée femme, elle va se cacher dans un robot débile paramétré homme. J’ai imaginé ce que ça pouvait être que d’être enfermée dans un genre qui n’est pas le sien. Donc, elle est femme, elle devient forcée homme. Je questionne aussi le genre binaire, non-binaire. Ça questionne tout : Néandertal, sapiens, humain, machine, homme, femme, femme, il y a même agent, etc. Il n’y a aucun militantisme. Je ne cherche à convaincre personne. C’est juste, je pose une question et c’est un hymne à la tolérance et à l’amour.

C’est un sujet qu’on a à un moment puisqu’aujourd’hui, tous les robots ont été éteints par crainte de ce qui pouvait être. On pense à Skynet dans d’autres univers. Malgré tout, toi, ton robot il est bienveillant, il n’est qu’amour et c’est très optimiste, finalement, vis- à- vis de la technologie, un peu moins vis- à- vis de l’humanité, je trouve. Tu es résolument optimiste ?

Absolument. Alors, pour moi, l’IA est ce qu’on en fait. À mauvais humain, mauvais UA, à bon humain, bonne IA. Donc, si l’IA est paramétrée pour aimer, il n’y a pas de raison qu’il y ait de soucis. Moi, je n’ai pas peur de la technologie, je n’ai pas peur de la peur des humains. Parce que les humains, on sait qu’ils ont des faces sombres. Donc je suis optimiste sur la technologie, pas forcément sur le genre humain. Après, je suis optimiste parce que l’amour, c’est un sentiment qui peint notre monde en couleurs. On vit en noir et blanc, quand on est amoureux, tout est en couleur. Rien que d’aimer, ça met de l’optimisme dans la vie.

Pourtant, au niveau des IA aujourd’hui, il y a quand même la façon de dont elles sont alimentées entraînent des déviations.

Oui, exactement. C’est vrai que l’IA fait peur, mais pour moi, il n’y a pas de raison d’avoir peur, parce que les IA vont nous forcer à nous recentrer sur ce sur quoi on est bon en tant qu’être humain. On est encore très loin de l’IA qui a dépassé le point de singularité. Pour l’instant, on est encore très loin d’une IA qui sait gérer la relation, la relation d’amour, le sentiment. On est très loin d’une IA qui sait créer, puisque comme Chat GPT, ne sait que compiler le passé, ce n’est pas encore créé. Et on est très loin d’une IA qui a une vision holistique des choses. Donc, notre compétence en tant qu’humain, c’est d’aimer, de créer, d’être holistique. Donc, tant que l’IA ne nous a pas rejoint sur ces trois points clés, à mon avis, il n’y a pas à avoir peur. Au contraire, c’est une aide énorme comme les calculateurs nous aident à aller dans la lune. Après, le jour où vraiment l’IA deviendra aussi performante dans les trois dimensions que j’ai dit, il faudra se reposer la question, mais ça, je pense que c’est encore assez loin.

Comme tu l’as dit plus tôt, il n’y a pas que la question de la robotisation, de l’IA et des androïdes. On a aussi cette question autour de la génétique, avec la recréation des hommes de Néandertal ou en tout cas de l’exacerbation. Je ne sais pas si on doit reparler de recréation totale. Tu disais que ce n’était pas une question d’intelligence et pourtant, ils sont quand même considérés un peu à part, le reste de la population.

C’est ça. Quelque part, Néandertal était un peu plus primitif, mais justement, je me suis amusée à prendre quelqu’un qui est apparemment plus primitif, qui finalement se retrouve être plus intelligent. J’aime bien prendre des personnages apparemment faits, mais qui sont plus forts. Je ne vais pas spolier, mais ils vont essayer de se venger de ce qui s’est passé dans la préhistoire humaine. Et de la même façon, notre IA apparemment plus faible, puisque ce n’est qu’une IA, mais finalement, elle l’aime mieux que les humains, elle est plus parfaite. Donc là aussi, elle va être supérieure aux humains.

Mais malgré tout, elle est en difficulté à pas mal de moments dans sa relation à l’autre. On parle aussi, t’as tout un pan on a, il y a une espèce de communauté qui se forme dans la maison entre les IA… Je ne sais pas si on peut dire des IA stupides.

Oui, c’est ça. Il y a trois niveaux d’IA. Il y a le robot intelligent programmé pour aimer, qui est même mieux que nous, le robot débile qui assiste dans les tâches ménagères et les objets connectés qui eux, ils sont juste pensants, mais personne ne le sait et ils n’y vont pas bien loin. Il y a trois niveaux d’intelligence.

Et pourtant, ils pensent entre eux. Ils ont leur avis.

C’est ça, exactement.

Et ils vont influencer aussi l’histoire.

Voilà. Je m’amuse à prendre le point de vue, par exemple, si on prend cette feuille, apparemment, cette feuille est inanimée. Mais en fait, non. En fait, cette feuille est pensante. C’est juste qu’on ne le sait pas. Et là, cette feuille se dit « Pourquoi je suis pliée ? » Elle est jalouse de cette autre feuille- là qui n’est pas pliée. « Pourquoi moi, on m’a chiffonnée ? » Et cetera. Et à quoi je sers là ?

Cette idée que peut- être que les objets sont pensants, on ne sait pas.

Et aujourd’hui, toute cette dimension « objets connectés » qu’on a partout dans le quotidien, t’imagines que déjà, elle puisse être en train de se raconter des petites choses.

Sur le quotidien ? Non, parce qu’on n’en est pas là, mais ça pourrait être dans le futur. Et puis moi, je l’ai mis, c’était surtout pour mettre un peu de légèreté, que ce soit rigolo. Il ne faut pas empêcher de faire des trucs drôles, même dans ces temps. Donc, par moments, j’aime bien alléger le propos parce que c’est quand même un peu dystopique, mon livre, à partir d’un moment. Pour alléger le propos, j’aime bien mettre de l’humour. Là, je me suis dit « Tiens, on va prendre le point de vue du frigo, on va prendre le point de vue du lit pour rigoler ».

Oui, parce que tu le dis bien, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, effectivement, il y a des scènes drôles, on a un robot qui est mort et on pourrait dire que finalement, c’est une belle utopie. Mais derrière, on a cette dimension politique qui est l’histoire à côté de l’histoire, puisque finalement, on n’a pas la conclusion. J’imagine que la conclusion, on l’aura un peu plus tard et on sent que ça va partir en cacahuètes.

C’est un one shot, donc c’est la conclusion à la fin.

D’accord. Je m’attendais à ce qu’on ait la suite.

Non. Dans mon triptyque, c’est un triptyque, c’est- à- dire que chaque roman explore un thème, donc il y a le temps, l’amour et le corps, mais ça boucle. Donc là, à la fin, je ne vais pas spoiler. Il y a une petite ouverture, mais c’est quand même la fin.

Ce qui est intéressant en termes d’écriture, le livre fait un peu moins de 200 pages. C’est court pour un roman chez Critique. Ciselé. Tu mets du temps à écrire de façon aussi… ?

Je passe et je repasse. J’ai une écriture dite « ramassée » avec des phrases très courtes et limite poétique. Il y a plein de passages qui pourraient être des poèmes en prose, notamment quand on se balade dans l’Antarctique, les descriptions, etc. Ça, ça prend des heures et des heures à écrire. Je mets en moyenne un jour par page. Je repasse des milliers de fois et c’est comme ça. Je suis née comme ça et j’écris lentement.

Et celui-ci là, il a mis… Trois ans.

Trois ans. Après, je n’écris pas à temps plein non plus, évidemment, j’écris… Mais j’ai mis trois ans pour le faire. Mais du coup, là, maintenant, il faut que j’aille plus vite.

Oui, on attend le troisième maintenant.

C’est ça. Donc je vais travailler plus, mais je vais quand même passer un jour par page.

D’accord. Et donc le troisième, tu estimes qu’il est…

Là, j’ai en train de le finir, puis après, il y a un délai d’édition. Après, il faut que Critic le veuille bien, parce que si c’est mauvais, on ne le prendra pas.

Ça ferait un troisième éditeur.

Non, après, j’espère que je serai Critic, mais tu ne sais jamais quoi. Si un livre est mauvais, il est mauvais. On se remet toujours en cause. Là, j’ai fait deux livres de bons, mais tu ne sais pas après ce qu’il fera.

Et le premier est toujours disponible aujourd’hui chez Rivière Blanche. Oui, chez Rivière blanche. Chez Rivière blanche.

Il est plus en librairie sur table parce que ça fait un petit moment qu’il est sorti. Par contre, il est disponible sur Amazon et puis sur le site de Rivière blanche, tout simplement.

Cette année, tu es aux Utopiales. C’est ta première en tant qu’autrice aux Utopiales.

Je venais toujours en public.

Ça fait quoi ?

C’est le rêve. Ça fait 20 ans que j’écris, mais je suis publiée que depuis cinq ans, parce que j’ai mis très longtemps à les publier. Il y a beaucoup de mes livres qui sont passés à la poubelle. Il faut croire à ses rêves, parce que je suis la preuve vivante qu’il faut s’accrocher, parce que mon premier roman, c’est mon huitième roman, donc j’en ai écrit sept pour rien, mais il faut croire à ses rêves. Un jour, on y arrive.

C’est une question qui court beaucoup à l’Observatoire d’imaginaire. On se pose beaucoup de demandes, la question de la représentation des femmes dans la SF. Tu as rencontré des difficultés particulières en termes d’édition ?

Non. Moi, je pense que je suis arrivée au bon moment… En général, je suis arrivée après le patriarcat. Tout n’est pas parfait, il reste encore plein de choses à faire. Mais on va dire, je suis d’une génération qui n’a pas trop souffert de ça. Moi, j’aime bien mettre des dates à tout. Je dirais que depuis 2015, met tout, il y a beaucoup de choses qui ont changé. Et donc moi, je suis arrivée après 2015. Il y a encore plein de problèmes, mais on va dire que globalement, je n’ai pas rencontré de difficulté. Personnellement, pour être éditée en tant que femme. Par contre, j’ai attaché une importance particulière à avoir des personnages forts, intéressants, question du genre et tout, évidemment. Puisque en tant que femme, j’ai un biais.

En tant qu’homme, on a un biais ?

En tant qu’homme, on a un biais. En tant que femme blanche éduquée, j’ai un biais. Donc, j’ai écrit comme une femme blanche éduquée. Donc, mon roman, il a reflété ça. Il y a un zeste de philosophie, puis il y a un zeste de féminisme, naturellement.

Qu’est- ce qu’on peut te souhaiter ?

Que le troisième… Déjà que celui-ci continue à bien marcher, parce qu’il marche super bien, je suis trop contente, et que le troisième soit bon et qui marche aussi. Et puis que ça continue, que je sois réinvitée un jour ici et en face de toi faire une interview.

Merci beaucoup.

Merci à tout le monde.


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