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Interview d’Emilie Querbalec

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Nous avons eu l’occasion de vous présenter il y a quelques semaines de vous présenter Quitter les Monts d’automne paru chez Albin Michel Imaginaire. Nous avons découvert au travers de ce récit un monde riche et une écriture poétique… Cet échange avec l’autrice nous permet d’en découvrir plus et surtout de mieux comprendre la personnalité de Kaori, au cœur de l’aventure. Merci à Emilie d’avoir accepté de répondre à nos quelques questions !

Bonjour Emilie, et tout d’abord merci d’avoir accepté de répondre à quelques unes de nos questions autour de Quitter les Monts d’automne paru chez Albin Michel Imaginaire. Avant toute chose, peux-tu te présenter à nos visiteurs ?

Bonjour Allan, merci de m’offrir cet espace de parole. Je me présente donc : Emilie Querbalec, je suis née en 1971 et, bon, je crois que je suis une personne de genre plutôt féminin qui aime lire et écrire de la SF et du fantastique. Je suis venue (ou plutôt revenue) à l’écriture assez tard, après m’être passionnée pour d’autres disciplines comme la photographie, la danse, et avoir exercé au moins dix métiers différents.

Quitter les monts d’automne n’est pas ton premier roman : tu as publié auparavant Les Oubliés d’Ushtâr : peux-tu nous en parler ?

Les Oubliés d’Ushtâr est en effet mon premier roman, le premier écrit, et le premier publié. Il est sorti en mai 2018 chez Nats Editions, c’est une micro-structure gérée par Natalie Sieber qui est une personne vraiment adorable, avec qui j’ai beaucoup aimé travailler. L’illustration de couverture est signée Florian Moncomble. Florian avait réalisé l’illustration de l’une de mes toutes premières nouvelles publiées, Main Verte (dans le magazine Etherval), et je suis fan de ses ombres et lumières. C’est l’histoire d’une confrontation entre deux civilisations, l’une hyperpuissante et guerrière, l’autre plus connectée avec le cœur de sa planète, bien qu’étant aussi très développée sur le plan technologique. En écrivant cette histoire, j’avais eu envie de mettre en avant une héroïne non violente. Je me demandais s’il était possible de résoudre un conflit pareil, avec un tel rapport de force, par la diplomatie et non par les armes.

Nous retrouvons une ambiance particulière dans ton roman, indiquée comme étant “japonaise” sur le site de l’éditeur : est-ce une volonté de ta part ou simplement le reflet de ton histoire propre ?

C’était clairement mon intention lorsque je me suis mise à écrire ce roman, et c’est aussi le reflet de mon histoire personnelle. J’avais un besoin vital de me replonger dans un imaginaire qui me rapprochait du Japon, d’une manière ou d’une autre. Cela faisait aussi un moment que je ruminais une prémisse d’idée, celle d’une transmission d’histoires de génération en génération. Le déclic est venu en discutant avec ma fille aînée, qui m’a parlé des origines de l’écriture hiragana (l’un des deux syllabaires japonais), et de la on’nade (la main de la femme) et otokode (la main de l’homme). Il y avait cette idée d’une forme d’écriture sino-japonaise, à base idéographique, qui restait un peu l’apanage des hommes, et d’une écriture phonétique, simplifiée, utilisée surtout par les femmes. D’après certains chercheurs et sinologues, cette distinction entre le masculin et le féminin, le yin et le yang, l’écriture idéographique et l’écriture phonographique est très présente dans les cultures d’influence chinoise, ce qui était donc le cas du Japon de Heian, époque où a été écrit le Dit du Genji, dont je parle dans le roman.

Est-ce que cela te gêne que cet aspect soit mis en avant ?

Non, pas du tout, au contraire ! Ce qui me dérangerait, c’est qu’on me réduise à cet aspect uniquement de ma personne, de mon parcours et de mes centres d’intérêt.

Nous suivons la jeune Kaori dans un monde où l’histoire et la communication est avant tout orale, une culture orale, le “Dit” qui semble se refuser à la jeune femme… Pourquoi avoir fait “disparaitre” la culture écrite, interdite sur Tasai ?
Doit-on voir dans l’histoire de l’écrit de ton roman, une forme d’hommage à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et à son contrôle des populations grâce au contrôle de l’écrit ?

Pas vraiment, je n’avais pas du tout ces textes fondateurs en tête lorsque j’ai commencé à écrire, mais je rejoins tout à fait l’idée que le contrôle de la langue est un élément clef du contrôle de la pensée. Il n’y a pas de novlangue dans Quitter les monts d’Automne, mais on a une langue « universelle », le Tera – qui, soit dit en passant, veut dire « Terre », en esperanto. Avec ses déclinaisons locales, parce qu’une langue, c’est vivant. La raison pour laquelle l’écrit est soumis à un tel interdit est expliquée à la fin du roman, et c’est clair qu’il y a une volonté que l’on peut qualifier de totalitaire derrière, quelles que soient les intentions, bonnes ou mauvaises.

j’avais envie de montrer que l’on pouvait être forte autrement, sans être nécessairement une guerrière ou une femme de poigne.

Ce qui m’a un peu surpris est cette propension qu’à la jeune femme à subir les événements ou en tout cas à être portés par ceux-ci plus que de se les approprier. Doit-on voir dans cette posture de la jeune femme un respect d’une forme de tradition ?

Pour moi, Kaori n’est pas du tout une jeune femme faible ou passive, mais la manière dont un certain nombre de lecteurs et de lectrices l’ont perçue m’a fait pas mal réfléchir. Je crois qu’il y a vraiment une différence de perception qui est liée à sa culture et ses attentes. Pour créer ce personnage, je me suis imprégnée de textes classiques japonais, écrits par des femmes. Je voyais mal une jeune femme évoluant dans un monde pré-technologique et très traditionnaliste adopter une mentalité et des comportements issus du XXIème siècle. Mon intention en créant ce personnage était de montrer une femme qui luttait pour se définir et déterminer elle-même dans un contexte avec de fortes contraintes, et avec les cartes qu’on lui avait distribuées. Comme la plupart d’entre nous, hommes ou femmes d’ailleurs, elle ne sait pas se battre, elle ne dispose pas de super pouvoirs, elle ne possède pas de connaissances et de compétences supérieures. Elle se retrouve confrontée à des enjeux qui la dépassent. Est-ce qu’il aurait été réaliste de la transformer en une héroïne des temps modernes, voire en super héroïne ? Pour la scène par exemple de la bataille à l’intérieur du Baron Noir, je me suis posé cette question. Par réflexe, j’avais imaginé Kaori qui prenait les armes et se jetait dans la bataille. Résumé comme cela, ça paraissait plutôt séduisant comme perspective. Et puis en écrivant la scène, et j’ai compris que je cédais à un stéréotype, et que les choses ne pouvaient pas se passer ainsi, car cela aurait été incohérent au regard de la logique de l’histoire et du personnage. Pour la scène d’agression dans la rue, j’aurais pu, aussi, faire en sorte qu’elle s’en sorte indemne. Puis là encore, j’ai pensé à ce qui se passe dans la vraie vie. Dans la vraie vie, quand deux hommes vous empoignent et vous tirent dans le fond d’un parking sans personne pour vous venir en aide, alors qu’on fait cinquante kilos toute mouillée et qu’on n’a jamais appris le combat de rue, hé bien on ne sort pas toujours victorieuse de cette confrontation. Alors oui, c’est dur. Et je comprends que ça puisse être frustrant. La vie est pleine de frustrations de ce type, on aimerait casser la figure à son patron mais on ne peut pas, on aimerait ne jamais avoir à subir et toujours maîtriser son destin, mais il faut avoir la chance de son côté avec des conditions favorables pour pouvoir le faire. Cela dit, l’avantage avec la fiction et en particulier avec les genres de l’imaginaire, c’est qu’on peut rendre ça possible. Et c’est bien aussi, parce qu’en ce qui concerne les représentations de la femme, ça permet d’imprégner notre imaginaire de figures féminines fortes. Mais là en l’occurrence, j’avais envie de montrer que l’on pouvait être forte autrement, sans être nécessairement une guerrière ou une femme de poigne. Donc, j’avais cette jeune femme qui n’avait rien d’une héroïne, et qui malgré tout allait lutter pour comprendre qui elle est, et pourquoi. Et elle va jusqu’au bout, malgré tous les obstacles, là où, dans la vie réelle, bien souvent, on s’arrête au bord de la route en s’apitoyant sur son sort. A sa manière, qui n’est peut-être pas la manière occidentale moderne, elle affirme sa liberté et son identité.

On a du mal en lisant les premiers chapitres à s’imaginer que ce roman est de SF, tant la technologie semble loin… Puis, les choses bougent : comment as-tu construit la trame pour réussir à surprendre votre lecteur ?

Le basculement d’un monde pré-technologique à un monde plus vaste et plus avancé sur le plan technologique était inscrit dès le départ dans l’arc narratif du récit. Et c’est en quelque sorte l’ADN de l’histoire, puisque a clef de l’intrigue se trouve justement inscrit dans une particularité génétique de la femme. Ensuite, il faut préciser que je m’étais lancé un défi personnel totalement idiot : écrire tout un roman à la première personne du féminin, du seul point de vue de la protagoniste centrale. J’avoue qu’à certains moments, la tentation de basculer sur un autre point de vue était forte et je me suis creusé la tête pour essayer d’apporter de la tension au récit. Je trouve que c’est plus facile d’introduire des rebondissements ou des révélations avec des points de vue alternés. Mais ici, on découvre tout cela en même temps que la narratrice.

Tu as été édité chez Albin Michel Imaginaire : comment s’est passé pour toi l’intégration à la collection ?

Alors justement, une fois ce roman achevé, je me suis posé la question de savoir quel éditeur voudrait d’une histoire pareille. Un planet/space opera sans empire à conquérir, sans grandes batailles spatiales (bon, il a un peu de bagarre quand même), sans enjeux épiques immédiats, mais avec au contraire la voix unique et intime d’une jeune femme qui raconte son périple cosmique ? Sincèrement, qui aurait parié là-dessus ? D’ailleurs, une éditrice m’avait répondu avec beaucoup de gentillesse qu’elle ne pouvait pas prendre le roman parce qu’elle avait peur que son lectorat ne s’y retrouve pas. J’avais peur, aussi, que ceux qui auraient apprécié la première partie, plus colorée « fantasy », n’apprécient pas la seconde partie, qui est clairement SF – bien que j’aie tout fait pour que les notions scientifiques ou techniques utilisées dans l’histoire soient insérées de la manière la plus abordable qui soit. Et puis Gilles Dumay, le directeur d’Albin Michel Imaginaire, m’a répondu assez rapidement qu’il était intéressé. Avec AMI, j’ai découvert une manière de travailler différente, avec des enjeux plus importants que ce que j’avais connu jusque-là.

as-tu d’autres projets dans les cartons ou en voie d’être finalisés et si oui, tu peux nous en parler un peu ?

Vous pourrez me lire sous un format court cette année, chez Critic ou ActuSF. Pour mon prochain roman, je préfère ne pas en parler parce que le projet est encore susceptible d’évoluer. Mais je peux quand même en dire deux mots, sans rentrer dans les détails : il s’agit d’une aventure humaine sur fond d’uchronie spatiale, et ça devrait pas mal voyager.

Comme cela est la tradition chez nous : quel sera votre mot de fin à cette interview ?

La fin est toujours le commencement d’autre chose… alors j’espère que ces longs mois de pandémie ouvriront sur de belles retrouvailles pour tous, bientôt.


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