Retrouvez l’actualité des littératures de l’imaginaire (Science-Fiction, Fantastique, Fantasy, et autre) ainsi que des interviews de celles et ceux qui les construisent.

Interview d’Eva Martin

Troisième interview réalisée durant le festival angevin Imajn’ère, avec Eva Martin qui nous parle de Miska paru aux éditions Critic !

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Et voici la retranscription 🙂

Bonjour Eva.

Bonjour.

Donc, ton premier roman, Miska, est sorti fin d’année dernière. C’est ton premier roman. Donc, est-ce que tu peux te présenter à nous?

Avec joie. Donc, je m’appelle Eva Martin. Je suis dans ma vraie vie, entre guillemets, chargée de communication et graphiste. Et à ce qu’on appelle à tort le temps perdu, j’écris des histoires.

Et pourquoi les littératures imaginaires et notamment la fantaisy ?

Alors c’est un genre que j’apprécie tout particulièrement parce qu’il a cette double casquette à la fois de permettre de déconnecter à la fin de la journée parce qu’on s’envole dans un monde merveilleux et c’est génial et à la fois il y a beaucoup d’ouvrages qui profitent de ce merveilleux pour explorer notre monde réel et nos failles humaines en se servant de cette petite tricherie de l’imaginaire.

Et en tant que lectrice d’imaginaire, est-ce que tu as des influences, des romans qui t’ont particulièrement marquée ?

J’aime beaucoup Glen Cook et sa compagnie noire, j’aime beaucoup dans toute autre chose Pratchett et à peu près jusqu’à la moindre virgule qu’il a pu écrire. J’ai pas mal de Stephen King aussi, voilà, puis après plein de curiosités diverses et variées.

Et donc Miska, ton premier roman, comment tu présenterais la Caldécie qui est finalement le pas le pays, mais l’État fédéré. Si je ne dis pas de bêtises…

Oui, c’est ça, c’est exactement ça. La Caldecie, ça rappelle une Europe un petit peu du XVIe siècle dans son ambiance, dans les caractéristiques des personnages, de l’architecture, etc. Si ce n’est que ce pays s’est fédéré, c’étaient quelques nations séparées qui se sont unies en quelque sorte avec des liens qui reste fragile parce que chacun a ses volontés politiques. Et voilà, on est plus dans une culture de compromis, voire parfois un petit peu de disputes politiques, que d’une réelle union parfaite dans un continent tout à fait unis.

Et on commence à avoir des rumeurs. Alors on a une zone géographique qui est totalement inconnue des Caldeciens. Et d’un seul coup, l’invasion.

Oui, c’est ça. En fait, le roman commence sur la côte est de la Caldécie, donc on a un peuple qui est un peuple de la mer, mais qui est un peuple qui canote plutôt le long des côtes parce qu’il y a un énorme tourbillon qui empêche toute navigation en pleine mer. Et un jour, quelque chose navigue au-delà de ce tourbillon et personne ne comprend ni comment, ni pourquoi. Et ça inquiète beaucoup.

Et Dacien, qui est… Alors je sais plus, son grade, en tout cas… —

 Oui, son capitaine.

… Le Capitaine et sa troupe sont envoyés, alors on ne sait pas trop pourquoi, mais c’est qui cette troupe ?

Alors ça, Dacien, c’est on va dire le personnage principal parce que c’est avec lui qu’on commence l’aventure même s’il n’est pas seul. C’est un vétéran qui a fait pas mal de campagne pour le fédérateur de sa région et puis qui a sa petite escouade derrière lui, gouailleuse et avec des liens très forts de compagnons d’armes en fait. Et comme il est assez apprécié de son fédérateur, c’est un peu son homme de confiance, donc le fédérateur l’envoie à la rencontre de ces mystérieux navires qui rôdent le long de la côte et qui viennent d’un endroit impossible en fait. Donc voilà, il est envoyé un petit peu en ambassade pour à la fois jauger du danger et puis éventuellement prendre un premier contact.

Ce qui est étonnant avec le personnage de Dacien, c’est qu’en même temps on sent la très grande expérience militaire, l’ambiguïté politique, puisqu’il est un peu coincé entre les deux, et aussi une forme d’amour pour son régiment, puisqu’il n’hésitera pas à faire ce que tout militaire refuserait de faire, c’est-à-dire à courir vite.

— Ouais, c’est ça. Alors bien sûr, c’est vrai qu’il a quelques problèmes d’éthique et de moralité que j’ai mis dans les pattes. En fait, il a des conflits de loyauté, et ça le met dans des difficultés pas possibles, parce qu’Il est très loyal à son fédérateur, il est loyal à sa vocation, il a prêté servant, c’est un vrai soldat, c’est pas un anti-héros méchant qui pense trahison, etc. Mais mis devant le fait accompli, à un moment donné, quand c’est la désertion ou la mort, et pas seulement la sienne, mais aussi celle des gars qu’il aime, il choisit la trahison, le pauvre. C’est obligé.

Et le Kinosh de l’autre côté, ce pays, comment qu’on découvre, qu’est-ce qu’il représente ?

Alors les Kinosh c’est un peuple très particulier qui a réussi à étudier la magie de mon univers d’une manière qui n’a rien à voir avec celle du premier peuple qu’on rencontre, les Caldéciens. Les Caldéciens, pour eux, les mages, c’est plus des indésirables et des dangers qu’autre chose. Pour les Kinosh, ça n’a rien à voir. C’est un don sacré et on l’entretient et on le cultive et c’est aussi ce qui leur a permis d’avoir cette avancée technologique et magique sur les Caldéciens. Ce peuple Kinosh, en fait, on le rencontre à travers les yeux d’Azalone, qui est un jeune nobliau qui fait partie d’une société technologique. Tout est classé chez les quinoches, c’est très, très ordonné. C’est les rois de la règle. Et donc, on a des sociétés commerçantes, des sociétés des armes, des sociétés technologiques. Et Azalon est un ingénieur, on pourrait dire, qui a participé à la conception des fameux navires qui ont pu franchir l’océan et qui est tout à fait convaincu Il est assez naïf, en fait, par rapport à la politique de son pays. Lui, tout ce qu’il veut, c’est découvrir, c’est explorer, c’est faire progresser son pays. Et il a un peu de mal à décider de ce point de vue-là.

Là, on a planté le décor, il y a quand même pas mal de questions qui se posent autour du texte. Alors déjà, le premier sujet, tu as parlé d’Azalon, on a parlé de Dacien de l’autre côté, deux personnages qui ne sont pas forcément les têtes de pont de chacun des pays. Et on sent une volonté de distance par rapport à un univers relativement manichéen. On n’a pas d’un côté les agresseurs et de l’autre côté les agressés, c’est plus complexe que ça.

En fait, c’était exactement l’idée. Ma volonté, c’était vraiment de venir gratter les questions de moralité, surtout en temps de guerre. Ça s’y prête particulièrement bien. Et de m’écarter des conflits de notre monde réel, mais de me permettre d’en parler quand même. Cette manière dont n’importe quel protagoniste de n’importe quel conflit est forcément persuadé d’être dans le bon camp, non seulement dans le bon camp, mais de se battre pour sa vie et pour celle de ceux qu’il aime. Et pour faire ça, on peut, entre guillemets, s’autoriser à mettre son éthique de côté, parce que quand on se bat pour la liberté, pour la vie des siens, parfois il faut se salir un petit peu les mains. Et l’idée c’était de venir se demander un petit peu ce qui se passait si chacun restait à ce simple statut-là de « je me bats pour la bonne cause, donc j’ai raison, donc je fais ce qu’il faut », on en vient à commettre des exactions qui sont impardonnables et inoubliables. Et en gros, à la fin, il reste deux choix. Soit on s’étripe jusqu’au dernier, soit on fait un pas de recul, mais qui va coûter très cher, parce que l’impardonnable ne peut pas être oublié et mis de côté sous prétexte qu’on veut négocier.

Ce qui est intéressant, c’est que des deux côtés, on sent le poids du politique, c’est-à-dire ce flou qui entoure, qui masque un peu une réalité, et on a le sentiment quand même, dans ton récit, que les petits peuvent faire changer les choses.

Oui, tout le monde peut faire toujours changer les choses, mais c’est vrai que j’avais envie d’observer ces personnages dans un conflit qui était forcément trop grand pour eux. Parce que, voilà, prendre un focus sur un chef d’État qui prend des décisions de chef d’État, je n’étais pas sûre que ce soit la bonne solution pour essayer d’explorer le quotidien d’un conflit et ses implications sur des gens qui, eux, n’ont pas toutes les clés et qui, justement, n’ont pas la vision globale politique, les volontés de leurs dirigeants. Pour eux, ça leur passe au-dessus. Ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont dans les mains à un moment T. Et voilà, c’est vrai que j’essaye de les pousser dans leur retranchement pour voir jusqu’où ils peuvent aller.

On ressent aussi un peu le combat au sein de certaines familles quand il y a des questions politiques qui se posent, quand on regarde Dacien et sa troupe, puisqu’évidemment tous les militaires ne sont pas d’accord avec les choix qu’il peut faire. Et jusqu’où va la loyauté ?

C’est ça. Oui, c’est-à-dire que tant qu’à mettre Dacien dans des conflits de loyauté, autant mettre le reste du monde aussi. Donc c’est vrai qu’on va avoir des réactions différentes en fonction des contraintes subies par les uns et les autres et des réajustements de loyauté, de priorité, de gestion de ce conflit. Il va pouvoir y avoir des dissensions, des questionnements entre les uns et les autres.

Et un personnage dont on n’a pas parlé, Petite, donc otage d’une certaine façon du combat et trait d’union entre les peuples. D’où vient ce personnage ? Pourquoi ce personnage ?

Alors Petite, c’est une gamine qui est récupérée dans des circonstances que je vais pas spoiler, mais voilà, dans une péripétie qui se retrouve aux mains des barbares Dacien et sa bande qui ne savent pas trop qu’en faire puisque personne ne la réclame, cette pauvre enfant, donc comme ils ont quand même un peu de cœur, ils la gardent avec eux. Mais en fait, elle permet tout. C’est le déclencheur de beaucoup de choses. Alors, elle n’a pas sa voix, parce que les deux narrateurs narrent à la première personne, et elle, elle est prise au milieu de ce tourbillon de conflits dans lequel elle est plus qu’emmêlée. Et cette gamine, en fait, elle va s’ouvrir la première à la culture caldecienne, au début peut-être un peu contrainte et forcée, et puis elle va comme c’est une enfant en fait avec ses yeux d’enfant elle va observer les choses sans a priori et c’est vraiment elle qui va faire le déclencheur pour déciller aussi les autres les autres personnages tout simplement.

Et ce qui est intéressant c’est que ce personnage féminin, Petite, est Kinosh et on a aussi ce cette confrontation entre le la place des femmes dans la société caldécienne, qui sont pleinement intégrées, relativement libérées, et de l’autre côté, du côté Kinosh, où on a l’impression que c’est moins marqué, c’est aussi une confrontation de la vision de la place de la femme.

Exactement, c’était une question intéressante, et c’est rigolo parce que parfois les gens interprètent la place des femmes en Caldécie, tellement contrastées par rapport aux Kinosh où vraiment elles sont bridées, ça c’est sûr, c’était un parti prix. Et puis par comparaison, les gens parfois disaient, en Caldécie, elles sont libérées. En fait, encore une fois, ce n’était pas tout noir ou tout blanc. L’idée, c’était d’avoir une place de la femme en Caldécie qui était moins pire. Moins pire, mais du côté de Petite, c’est une immense découverte en fait, parce que parce qu’elle a le droit de se promener sans être couverte de la tête aux pieds, parce qu’elle a le droit de mettre la couleur qu’elle veut pour s’habiller, et puis qu’elle se retrouve avec des gens qui la traitent de manière humaine, tout simplement. Pour elle, c’est déjà un progrès.

Et d’ailleurs, dans le récit, on voit des femmes Kinosh réagir, interagir avec la politique. Du côté caldécien, on ne le voit pas vraiment, on voit que des hommes, finalement.

Oui, c’est ça. Du côté caldécien, en fait, on a une société qui reste un peu masculine, un peu comme la nôtre, en fait. C’était vraiment… On s’identifie, je pense, plus au côté caldécien, qui rappelle vraiment une Europe 16e, 17e, mais avec des persos auquel on peut s’identifier facilement, tandis que l’Empire Kinosh, lui, c’est beaucoup plus une construction de toutes pièces. Et c’est vrai que pour moi, dans la Caldécie, la place de la femme n’est pas annihilée, évidemment, mais elle n’est pas non plus totalement à l’équité avec ces messieurs. Donc, oui, on a beaucoup d’hommes observe les femmes d’un côté et de l’autre, que ce soit chez les Kinosh ou chez les caldéciens, qui observent ces êtres étranges que sont les femmes, avec pas mal de priori et de méjugements parfois, donc voilà, j’aime bien les mettre dans la galère.

Maintenant que tu as fait Miska, un premier roman qui a été bien reçu, très bien reçu, et ça c’est assez cool, c’est quoi la suite ? Est-ce que tu as d’autres choses dans les tuyaux ?

Oui, alors j’ai plein de trucs dans plein de tuyaux, j’ai beaucoup de projets en cours, j’avais des projets en cours au moment où on a signé pour Miska, donc du coup les corrections évidemment ont pris le pas sur tout le reste. Donc j’ai des choses à finir de ce côté-là. J’ai peut-être un spin-off à faire, parce que je n’avais pas envie tout à fait de quitter la Caldécie. Et j’avais envie de venir explorer un peu plus les distinctions politiques internes à la Caldécie. Parce qu’encore une fois, c’est comme pour la place des femmes. Comparée à l’Empire Kinosh, elle a pu paraître soudée à un moment. Mais en fait, ce n’est pas tant le cas que ça. Donc voilà, je voudrais bien revenir explorer un petit peu les routes de Caldécie. Peut-être la cause et les hautes marches pour changer un petit peu.

Et du coup, un petit bout de conclusion ?

Un bout de conclusion ? Que dire ? que c’est une vraie joie d’assister à la naissance et à la vie de ce premier bouquin. C’est vraiment un plaisir immense. Et puis j’espère que les lecteurs y trouveront leur compte et qu’ils y passeront un bon moment à la fois d’évasion et de réflexion sur les travers de notre humanité bien réelle. Voilà.


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