Miska est le premier roman de l’autrice Eva Martin et vient renforcer le catalogue des éditions Critic en cette fin d’année. Roman de fantasy dans un contexte d’invasion et de colonisation, Miska se démarque par une vision non-manichéenne d’un conflit en devenir…
Bienvenue en Caldécie !
Tout commence en Caldécie, un continent où cinq états se partagent le territoire dans une entente somme toute relative mais sans grand chambardement non plus. La capitale, Assale, se trouve en bord de continent, avec un regard qui ne peut aller au-delà du Maelström et qui rend peut probable l’existence d’un peuple au-delà…
Pourtant, de plus en plus de marins remontent la présence de voiles au loin, des voiles qui ne devraient pas exister, personne ne pouvant survivre à ce phénomène météorologique, et cette rumeur qui s’étend, parlant même de navires qui volent au-dessus des flots est toujours juste impossible. Néanmoins, la multiplication des témoignages commence à inquiéter la population, et en premier lieu les fédérateurs, représentants des différents états.
Alors, pas le choix, il faut envoyer une flotte en mer et tenter de percer ce mystère. Dacien et sa troupe de soldats, mais surtout de camarades, font partie de ceux qui devront partir en mission pour aller à la rencontre de ces étrangers.
Mais cette rencontre tourne directement à l’affrontement, les armes des adversaires sont bien supérieures à celles de nos caldéciens, et leur magie bien plus puissante ! Il ne faudra que quelques minutes pour que l’armée à laquelle appartient Dacien soit totalement mise en déroute et le retour à la capitale se fait dans la douleur. Et ce n’est que le début du calvaire car les forces Kinosh, puisque c’est le nom de leur peuple, poursuivent leur attaque à terre et anéantisse tout espoir de résistance.
En fuite, Dacien et les siens vont devoir se cacher, ruminer leur défaite avant de, peut-être, trouver un moyen de renverser la situation… Autant dire que rien n’est moins sûr !
Colonialisme et résistance.
Le roman d’Eva Martin va donc nous plonger en quelques dizaines de page dans l’anéantissement de la Caldécie par un envahisseur surgit du néant. La société à laquelle appartenait Dacien et qui semblait stable, a disparu en quelques semaines pour faire place à un régime colonial qui ne va pas prendre de pincettes avec le peuple défait.
Le risque dans ce type de récit est de tomber dans une histoire trop manichéenne et c’est le travers qu’évite avec beaucoup d’habilité Eva. Le roman de l’autrice se divise en plusieurs parties, la première nous permettant de découvrir dans le même temps les deux peuples caldéciens et kinosh. La situation et les événements ne laissent aucune interprétation possible : les kinosh sont bien les agresseurs et leurs méthodes dignes des plus grands dictateurs. La façon de traiter la population va permettre à Dacien et son équipe de développer une résistance, s’appuyant sur le mot « Miska » qui signifie « Dégage » dans la langue de l’envahisseur.
Les hommes comme lui t’en voudront toujours. Pas pour ce que tu leur as fait, mais pour ce que tu es.
La montée en puissance de Miska, menée par Dacien, nous permet de nous attacher aux différents membres de sa troupe… Mais le monde n’est pas binaire et nous allons bientôt voir rapidement que la situation est bien plus complexe que ne l’avait laissé paraître les premiers chapitres et c’est bien là que réside l’intérêt de Miska.
Nous allons pouvoir suivre la confrontation entre ces deux peuples au travers de deux personnages qui se retrouvent, bien malgré eux si l’on doit être honnête, au cœur des événements.
Dacien est le capitaine d’une petite troupe qui, du fait de leur histoire commune, a une grande proximité. Ils savent pouvoir compter les uns sur les autres. Pourtant, Dacien ne sait comment réagir à ce qu’il se passe, combattant dans un premier temps, avant de fuir pour sauver ses hommes et être à l’initiative de la montée en puissance de la résistance. Homme d’honneur, on le voit osciller tout au long du roman entre action et réflexion, cherchant toujours les meilleures options pour surmonter les problèmes.
Vous avez raison, dis-je d’une voix ferme. Il y aura toujours des hommes qui œuvreront pour la destruction. De votre côté comme du nôtre. Guidés par la haine de l’autre. Est-ce que cela doit suffire à nous faire baisser les bras ?
Azalon de son côté est un membre de la société des technologues, une des sociétés qui existent dans l’organisation Kinosh. Il commence à se poser des questions quand à la légitimité de cette invasion et notamment sur l’idée que les hommes de Caldécie seraient des sous-hommes… Se retrouvant malgré lui envoyer pour témoigner des événements, il n’aura de cesse de chercher un moyen de résoudre le conflit en cours.
Un axe féministe
Au-delà de l’histoire en elle-même, j’ai particulièrement apprécié le personnage de « Petite », une jeune kinosh, qui se retrouve prise dans la guerre entre les deux peuples. « Petite » est donc kinosh et dans ce peuple, les femmes n’ont que peu de libertés. Elles doivent masquer leurs visages, se tenir à l’écart des hommes et ne participent pas aux décisions de la société. Lorsqu’elle se retrouve dans le groupe de Dacien, elle va découvrir aussi une autre vision de société, dans laquelle les femmes sont beaucoup plus libres et dans de nombreux domaines.
Je restai incrédule en écoutant cette description d’une « civilisation » capable de livrer une enfant à un vieux briscard sans broncher, mais où laisser une femme s’habiller comme elle le souhaitait était sacrilège.
Eva Martin fait évoluer la jeune femme tout au long de l’aventure, faisant d’elle un personnage majeur qui, au-delà d’évoluer elle-même, met en avant une femme qui prend les rênes de son destin pour sortir de sa condition.
Beaucoup de questions tournent aussi autour de l’autre, de sa valeur et sa différence : comment accepter cet autre que nous ne comprenons pas ? C’est aussi un des axes forts du personnage de « Petite », alors même que son origine peut devenir à bien des égards un obstacle à sa relation à cet autre en qui on ne veut pas reconnaître une humanité.
Le premier roman d’Eva Martin est pour moi une des très bonnes surprises de l’année, un roman qui mêle aventure, combat, questionnement sur la société sans dénaturer le fond de l’histoire.
Editions Critic (Octobre 2023) – 494 pages – 23,50 € – 9782375792834
Couverture : Sébastien Annoni
Pour le capitaine Dacien, tout a commencé par une bière avalée sous des tombereaux de pluie. Une bière, et une rumeur. Toujours la même. Une voile blanche croisant à l’horizon. Un navire capable de survoler les flots. Une légende ridicule, car personne, pas même les marins les plus aguerris, ne peut franchir le maelström. Et pourtant, amie ou ennemie, la présence de ces étrangers ne peut être ignorée plus longtemps.
Les Fédérateurs doivent se rendre à l’évidence, aller à leur rencontre est désormais une priorité. Une mission qui va tout naturellement échoir à Dacien et ses hommes. Mais rien, absolument rien, ne va se passer comme prévu… Miska est une injure autant qu’un symbole de rébellion. Au fil des pages, Eva Martin construit une intrigue où deux mondes s’affrontent. Des soldats aux forces inéquitables.
Des charmeurs aux pouvoirs inégaux. Des modes de vie que tout oppose. Et surtout, cette incroyable malchance qui semble suivre Dacien et sa bande de bras cassés, quelles que soient leurs décisions.