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La chose en soi d’Adam Roberts

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J’avais entendu beaucoup de bien de la Chose en soi d’Adam Roberts, que les éditions Denoël ont eu la bonne idée de publier dans la collection Lunes d’Encre.

De l’isolement du scientifique

Tout commence au milieu des années 80 avec une mission en Antarctique pour deux scientifiques aux personnalités bien différentes.

Charles Gardner a une vraie vie sociale, qui englobe autant des collègues communicatifs qu’une femme. Amateur de films, Charles reçoit de nombreuses lettres qui rendent passablement jaloux son collègue Roy Curtius.

Roy de son côté est un taciturne et n’arrive pas à s’intéresser aux distractions de son binôme. Il préfère se concentrer sur la lecture de Kant et tout particulièrement de la Critique de la raison pure. D’ailleurs, tout commence à déraper quand il déclare avoir résolu le paradoxe de Fermi

« S’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ? »

Le deuxième élément qui tendra la situation est lorsque Roy achètera pour une somme conséquente une des lettres de Charles et refusera d’en partager le contenu et autre, laissant Charles dans une inquiétude quant à l’expéditeur ou expéditrice de la lettre et de son contenu. Et Roy finira par réellement péter les plombs en essayant de tuer son accolyte… Cette presque mort de Charles, qui a eu une expérience effrayante dont il n’arrivera pas à s’extirper.

De retour dans la vie “normale”, sévèrement amputé, Charles tentera de se reconstruire, malgré un alcoolisme et une succession d’emploi qui le feront chuter socialement jusqu’à ce qu’il soit contacté par un Institut pour intégrer des recherches, et pour cela sa première mission sera de reprendre contact avec Roy pour l’embarquer dans l’aventure.

Science-Fiction ou Philosophie, vous n’avez plus à choisir.

Le tour de force de ce récit est de réussir à expliciter deux notions qu’a priori rien ne rapproche.

Le paradoxe de Fermi interroge par rapport à notre non-rencontre d’une forme de civilisation extra-terrestre ce qui semble paradoxal avec la jeunesse de notre soleil et donc galaxie… Entendez par là qu’il serait surprenant que nous ayons pu développer une civilisation avancé comme la notre et que nous soyons seuls. N’ayant pas le bagage pour discuter le sujet et sa pertinence, je ne m’engagerai pas plus avant sur la véracité, arguments ou contre-arguments permettant de (in)valider ce paradoxe mais il s’agit du premier pendant de la balance du roman la chose en soi.

L’autre dimension est donc la dimension philosophique avec la chose en soi (The thing itself en anglais ou Ding an sich en allemand / prussien). Pour la simplifier au maximum, l’idée est que, bien que la réalité existe (c’est toujours ça), nous ne l’appréhendons qu’au travers de notre perception, ce qui déforme donc cette réalité.

Et c’est là où Adam Roberts fait fort : si nous n’avons pas rencontré les extra-terrestres, c’est tout simplement car notre perception ne nous permet pas d’accéder à la réalité !

Partant de là, tout le récit va nous permettre de nous questionner sur cette chose en soi et sur notre réalité ou la probabilité de la réalité que nous percevons.

Ce n’est pourtant pas compliqué

Le rapprochement de ces deux sujets complexes aurait pu rendre la lecture difficile et il n’en est rien. L’auteur réussit à nous embarquer dans son histoire, notamment grâce au personnage de Charles Gardner qui est tellement attachant dans son rôle de scientifique de talent en même temps loser.

Mais surtout, Adam Roberts réussit à vulgariser la pensée de Kant au travers d’exemple très précis et simple. Je pense en tout premier lieu à cet exemple pris d’un homme qui porterait des lentilles roses dès sa naissance et n’aurait vu que le monde en rose. Pour lui, la réalité est que le monde est rose, faussé par sa perception visuelle. Autre exemple pris, celui du touriste qui s’appuie sur un guide touristique pour visiter une ville : visite-t-il la ville ou le guide touristique ? Dis plus simplement, la réalité de la ville n’est-il pas faussé par le fait de prévoir son parcours par le guide ?

Tout ça pour dire que la question à se poser est comment pouvons-nous nous en affranchir de cette vision faussée ? L’Intelligence Artificielle peut-être la réponse.

Difficile de parler plus loin de ce roman qui donne une claque magistrale, nous faisant réfléchir sur la réalité et sur notre perception, sans pour autant nous abreuver de théories et tout en conservant une dynamique dans le récit. Les interludes nous permettent de voir un autre angle, un autre point de vue.

Un roman qu’il vous faut découvrir, vite !

Denoël (13 janvier 2021) – Lunes d’Encre – 416 pages – 23 € – 9782207144237 
Traduction : Sébastien Guillot
Titre Original : The thing itself (2020)

1986. Charles Gardner et Roy Curtius sont isolés sur une base en Antarctique. Ils participent au programme de recherche d’éventuels signaux en provenance d’une intelligence extraterrestre. Si Charles est pragmatique et expansif, Roy est taciturne et, surtout, obsédé par la lecture de la Critique de la raison pure.
Leur cohabitation forcée va virer à l’inimitié à cause d’une lettre : une de celles que Charles a reçues et qu’il a accepté de vendre, sans l’avoir lue, à Roy qui ne reçoit jamais de courrier. La tension est à son comble lorsque celui-ci prétend avoir résolu le paradoxe de Fermi grâce aux textes de Kant. Serait-il devenu fou ? Représente-t-il un danger, alors qu’une tempête éclate à l’extérieur et qu’aucun secours n’est envisageable avant plusieurs jours ? La vision récente du film The Thing, de John Carpenter, n’est pas pour rassurer Charles…


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