Après nous avoir fait découvrir L’Incivilité des fantômes et Les Abysses, les éditions Aux Forges de Vulcain nous permettent une nouvelle fois de découvrir le talent de Rivers Solomon avec Sorrowland qui va nous plonger dans une Amérique toujours aussi clivée et clivante en compagnie de Vern…

Vern, une adolescente en fuite

Vern fuit. Vern fuit sa communauté, la Communauté de Caïn, une communauté d’afro-américain·e·s, isolée du monde pour se protéger du pouvoir des Blancs et de leurs influences. Une communauté qui a dérapé vers le sectarisme et ou la jeune femme, albinos de surcroit, est devenue la femme du leader religieux.

Vern ne voulait pas rester coincé dans cette communauté, alors elle a fui. Et nous la retrouvons dans la forêt, courant pour échapper à un démon qu’elle imagine à ses trousses. Mais elle est aussi enceinte et la naissance est pour maintenant : ce sera d’abord Hurlant puis, à sa propre surprise, Farouche. Loin de vouloir retourner à la “civilisation” et leur offrir une vie classique, Vern décidera de les élever dans la forêt, toujours en tentant d’échapper à ses tortionnaires.

Ce ne sera pourtant pas une partie de plaisir, d’autant plus qu’il semble que le corps de la jeune femme.

Aller plus loin dans la présentation de l’histoire ne serait que de vous gâcher le plaisir de la découverte d’un texte riche et puissant, et cela n’est bien sûr pas notre intention.

La religion et le complot d’état

Si nous devions résumer deux thématiques qui ressortent, et qui ne sont pas les seules par ailleurs, la religion et le poids de celle-ci serait indéniablement la première. L’histoire de la communauté de Caïn n’a rien de bien original : une communauté qui souhaite vivre en autarcie, par rejet de la société américaine, rien de bien nouveau. Le dérapage d’un groupe isolé vers le sectarisme et les conséquences sur la collectivité sont ici très bien expliqué. Vous découvrirez comment le glissement a eu lieu mais aussi le niveau de contrôle que les gourous arrivent à mettre sur leurs ouailles. La représentation la plus intéressante de cette résilience sera sans nul doute la mère de Vern dont l’histoire est édifiante.

Autre sujet qui du coup apparaît lui aussi clairement, c’est le complot d’état. Cette dimension complotiste a un petit côté parano qui doit avoir pour ambition de nous questionner sur les événements, bien que le message sous-jacent ne soit pas très clair pour autant. Cette dimension, vous la découvrirez un peu plus tard dans le roman, levier aussi de l’explication de l’état de santé de Vern.

Si ces deux thématiques sont un peu, de mon point de vue, le fil rouge de l’histoire que nous propose Rivers Solomon, elles seront complétées par d’autres réflexions sur la préférence sexuelle et son rejet dans une communauté où la religion est omniprésente, l’éducation et le rapport parent-enfants ou encore la convergence de certains combats comme nous le découvrirons plus tard avec la situation des amérindiens.

Bien sûr, Vern représente aussi la marginalité dans la marginalité : elle est l’enfant albinos parmi une communauté vue elle-même comme une minorité.

Un roman passionnant et intéressant, une course pour la vie, pour donner un avenir à ses enfants.

Aux Forges de Vulcain (13 mai 2022) – 513 pages – 20 € – 9782373056341
Traduction : Francis Guévremont (Angleterre)
Titre Original : Sorrowland (2021)
Couverture : Elena Vieillard

Vern est enceinte de sept mois et décide de s’échapper de la secte où elle a été élevée. Cachée dans une forêt, elle donne naissance à des jumeaux, et prévoit de les élever loin de l’influence du monde extérieur. Mais, même dans la forêt, Vern reste une proie. Forcée de se battre contre la communauté qui refuse son départ, elle montre une brutalité terrifiante, résultat de changements inexplicables et étranges que son corps traverse. Pour comprendre sa métamorphose et protéger sa petite famille, Vern doit affronter le passé…