Il y a quelques mois paraissait aux éditions aux Forges de Vulcain, l’excellent Sang de la Cité, premier tome de la trilogie Capitale du Sud, pendant de la trilogie Capitale du Nord, écrit par Claire Duvivier dont le premier volume Citadins de demain paraîtra le 1er octobre., constituant La Tour de Garde.
Lauréat du prix Imaginaire de la 25ème heure du Livre du Mans, Guillaume a accepté de répondre à mes questions sur ce début et sur une double trilogie qui s’annonce plus que prometteuse…
Bonjour Guillaume, avant de parler du Sang de la Cité, premier volume de la trilogie Capitale du Sud, pourrais-tu nous dire qui tu es et comment tu es arrivé à l’écriture ?
Bonjour Allan, je n’y suis en réalité jamais vraiment “arrivé”. La vérité est que quelque part, j’ai toujours un peu tourné autour de l’activité d’écrire. D’abord, j’ai été un lecteur compulsif de romans d’aventures et de polars, puis d’imaginaire, de littérature dite “blanche”… Je ne me suis jamais cantonné à un seul genre, et je pense que c’est important pour avoir l’esprit ouvert. J’écrivais des nouvelles quand j’étais adolescent, juste pour m’entraîner. Et aussi un ou deux (mauvais) romans. Puis peu à peu, je suis allé vers l’écriture de scénarii de jeux de rôles, juste pour les tables avec les amis. C’était une activité intense, car il fallait arriver avec quelque chose de nouveau tous les 15 jours, notre rythme de jeu. Finalement, quand le groupe de rôlistes s’est défait de lui-même, je suis retourné à mes premières amours : les romans.
Est paru donc il y a quelques mois, Sang de la Cité, qui a lancé une double trilogie écrite à 4 mains. Comment présenterais-tu ce projet pour celles et ceux qui n’auraient pas vu les quelques messages de David ?
Tout est parti d’un voyage commun avec Claire Duvivier. Nous nous sommes rendus à Sienne il y a quelques années et au retour, dans le train, nous avons jeté les bases de ce que pourrait être un roman de fantasy dans une ville calquée sur Sienne. C’était juste un jeu d’esprit, nous n’avions pas encore l’intention d’écrire vraiment. Puis nous nous sommes rendus pour quelques jours à Amsterdam, et encore une fois, nous avons commencé à imaginer une histoire. C’est que les villes ont toutes les deux une organisation fascinante, elles sont des cadres rêvés pour des romans d’aventures où la ville tiendrait une place prépondérante. Au final, un été, nous avons décidé de nous lancer. Chacun de nous aurait en charge sa propre ville, son propre narrateur, sa propre voix. Ceci afin de conserver une certaine unité de ton et de la cohérence dans les récits. Claire Duvivier s’est lancée dans la rédaction de Capitale du nord, dont le premier tome Citadins de demain paraît ce 1er octobre, et je me suis chargé de la Capitale du sud, avec le Sang de la Cité.
Ce qui m’intrigue aussi est de savoir si vous avez déjà fini l’ensemble, ou si vous avez défini la trame globale et très concrètement, ce seront 3 volumes par toi et 3 par Claire ou les 2 premiers de chaque cycle en individuel et les 2 finaux en commun ?
Ce sera bien trois volumes par Claire, et trois par moi. Des personnages s’échangent d’une ville à l’autre, des enjeux dramatiques se croisent entre les trilogies, et vers la fin, il y a même des dialogues en commun. Mais chaque trilogie peut se lire de manière indépendante, et forme une histoire avec début, milieu et fin. Bien sûr, le lecteur en apprend plus sur les enjeux narratifs s’il lit la totalité de la Tour de Garde.
De plus, nous avons fait en sorte que cela ait un intérêt de lire le cycle quel que soit l’ordre de lecture. Il est possible de lire les trilogies l’une après l’autre, bien sûr, mais également de lire dans l’ordre de parution Capitale du Sud tome 1, puis Capitale du nord tome 1, puis le sud tome 2, le nord tome 2, etc.
Et pour répondre à la question de l’avancement : les tomes 2 sont déjà écrits, il y a encore un peu de travail éditorial et quelques retouches à faire, çà et là. Nous avons terminé les premiers jets des tomes 3 cet été : les récits donc donc terminés, mais il y a encore beaucoup de travail de réécriture et d’affinage dessus.
C’est donc toi qui a ouvert le bal, d’une série qui comprendra 6 volumes. J’imagine qu’écrire à 2 nécessite une synchronisation importante : comment vous y êtes vous pris ?
En réalité, il n’y avait pas tant de synchronisation que ça. Nous avons réalisé en amont de l’écriture un gros travail de conception des villes et de lignes directrices des récits. Puis chacun s’est attelé à la tâche, nous nous faisions lire nos textes tous les deux ou trois chapitres, environ, pour que chacun ajuste son récit. Mais nous nous sommes donné une très grande liberté dans le travail de rédaction, il était important pour nous que chaque trilogie soit portée par son auteur.
Au fur et à mesure de l’écriture, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait beaucoup de thèmes en commun entre nos écrits respectifs, et nous avons fait en sorte, en retouchant les textes, de les faire ressortir au mieux pour ajouter à la cohérence du projet dans son entier.
En revanche, pour les tomes 3, ç’a été un petit peu plus compliqué, car les intrigues finissent par se croiser. Nous avons même des dialogues en commun. Il a fallu beaucoup plus se concerter pour ces scènes précises, et chacun d’entre nous en a écrit quelques unes, que l’autre a revues pour les faire mieux coller à son texte.
Nous découvrons Gemina au travers d’un de ses habitants Nox. La ville semble avoir sa propre vie, son propre rythme : quelle a été ton inspiration ?
Comme je le disais dans une question précédente, je suis parti de la ville de Sienne qui, comme Gemina, est divisée en quartiers, les contrade, représentés par des animaux. De même, le pallio de Sienne a donné naissance au tournoi de la Canopée à Gemina, sur la place centrale.
Mais comme Sienne n’est pas une Cité gigantesque et surpeuplée, je me suis aussi inspiré d’autres cités. Marseille, d’abord, que je connais bien, pour l’ambiance survoltée du port encadré par ses deux fortins, pour les ruelles entrelacées du quartier du Panier. La Rome antique a aussi été une source d’inspiration inépuisable, surtout dans la mythologie de la Cité, et quelques points d’organisation spatiale. Enfin, pendant la rédaction j’avais en tête des images de la forteresse de Kowloon, un quartier de Hong-Kong aujourd’hui détruit, qui m’a fourni les ruelles labyrinthique et sur plusieurs niveaux, chaotiques car percées de manière anarchique sans aucune concertation dans un espace contraint. J’ai bien sûr transposé ce dernier cadre dans un environnement plus méditerrannéen.
Le personnage de Nox semble vibrer au rythme de cette ville, en connaître les moindres artères, louvoyant dans les rues comme il louvoie dans les sphères politiques… Le vois-tu comme une incarnation de ta cité ?
C’est l’idée, effectivement. Il fallait que chacun de nos personnages, Amalia pour Claire Duvivier et Nox pour moi, soit à la fois narrateur et guide urbain. Les deux fonctions se confondent mieux lorsque la ville devient en quelque sorte le récit, et que celle-ci s’incarne dans un narrateur emblématique.
Pour parler spécifiquement de Nox, il est lui-même dès sa naissance, et à son corps défendant, l’objet de contes et de chansons dans une Cité qui se targue d’être le berceau des poètes, conteurs et philosophes. Son amour de la bonne chère et des bons vins l’amène à devenir commis d’épicerie, et à parcourir les artères de sa ville en y faisant des livraisons. Il connaît tous les commerçants, tous les mendiants, toutes les figures de son quartier, tout comme sa proximité avec son duc lui permet d’approcher les sphères du pouvoir de la ville. Je ne pouvais pas imaginer meilleure incarnation.
L’histoire de Nox (et de sa soeur) est évoquée sans rentrer trop dans le détail de l’avant : as-tu prévu d’éclaircir ce point ?
Bien sûr ! Mais je ne vais pas divulgâcher ici, ce serait dommage.
J’ai trouvé aussi que le “peuple” se retrouvait à subir les décisions des puissants, que ce soit dans leur quotidien (avec la création du canal) et des guerres qui peuvent en découler… Toute ressemblance avec des événements réels est voulue ?
Toute ressemblance avec le monde réel est soigneusement pesée, parfois concertée avec Claire Duvivier, pour être intégrée, ou pas, dans le récit. Le but n’est évidemment pas de faire de la Tour de Garde un pamphlet, ce qu’elle ne sera jamais, mais plutôt d’interroger le réel par le filtre de la fiction.
Claire et moi partageons les mêmes idées sur ce sujet. La littérature, au sens le plus large du terme, a ce rôle : questionner le lecteur, susciter chez lui une réaction devant des situations données (choc, adhésion…). En littérature de l’imaginaire, le terrain de jeu de ces interrogations est, par définition, sans autre limite que les imaginations de l’auteur et du lecteur.
Le premier tome de Capitale du Nord de Claire parait dans quelques jours : ton impatience est-elle la même de l’écho que si c’était le tien ?
L’impatience est la même, mais l’angoisse est moindre. Avec Claire nous nous sommes lancés dans une expérience plutôt audacieuse pour des jeunes romanciers. J’espère que les lecteurs se saisiront des petits cailloux liant les deux récits, que nous avons laissés en chemin.
Parlons de chose un peu plus sérieuse : tu as reçu le prix imaginaire de la 25ème heure, ça t’a fait quel effet ?
Un choc, d’abord. J’ai eu du mal à y croire. Pourtant, le roman a obtenu beaucoup de coups de cœur de libraires, des avis de lecteurs et de blogueurs plutôt positifs. Chacune de ces critiques m’a peu à peu convaincu que le texte était bon (en relisant des passages, je ne vois que les défauts, mais il parait que c’est normal).
Le prix imaginaire de la 25ème heure, c’est en quelque sorte la consécration de ce constat. Au vu des excellents romans qu’il y avait face au Sang de la Cité, je ne pensais vraiment pas qu’il obtiendrait le prix.
En dehors de ce récit, as-tu d’autres histoires sur le feu ?
Oh oui ! Mais la plupart d’entre elles ne sont pas assez étoffées pour devenir des romans, pour l’instant. De toute façon, il y a encore beaucoup de travail sur la Tour de Garde, qui va nous occuper jusqu’à octobre 2023. J’essaie de remettre cette question à plus tard, même si mon éditeur commence déjà à m’en parler.
Tu fais partie des chanceux qui ont pu se rendre à nouveau à des salons… Ca fait quoi ?
C’est un vrai plaisir. J’avais été frustré au moment de la parution du Sang de la Cité de ne pas pouvoir aller parler de mon travail à des lecteurs. J’aime énormément les salons du livre, j’en ai fait beaucoup aussi bien en tant que lecteur qu’en tant que libraire. Retrouver cette ambiance aux Intergalactiques, à Lyon, m’a fait le plus grand bien. On aurait presque pu croire que le monde était redevenu normal.
Comme le veut la tradition, je te laisse le mot de la fin
La fin, la fin… c’est vite dit. La parution du Sang de la Cité, ce n’est en réalité qu’un début. Le début d’une histoire, d’une fresque que Claire Duvivier et moi complétons au fur et à mesure, d’une aventure en commun entre Amalia et Nox, entre Claire Duvivier et moi, entre les lecteurs et les romans.
Le rendez-vous est posé chaque mois d’avril et chaque mois d’octobre. Le plus gros (et, je l’espère, le meilleur) est encore à venir. Merci à nos lecteurs et à Fantastinet, sans qui l’aventure ne serait pas ce qu’elle est.