Alexander Weinstein était présent durant les Utopiales, festival de Science-Fiction se tenant à Nantes. Durant ce long week-end nous avons pu échanger autour de quelques questions concernant son recueil de nouvelles After Yang chez ActuSF.
Une occasion unique de parler de la traduction française, de son métier et de l’adaptation faite par Kogonada avec Colin Farrel.
Vous pouvez retrouver l’interview en anglais ICI.
Avant toute chose, quand avez-vous décider de devenir écrivain et comment y êtes vous parvenu ?
J’ai commencé à écrire lorsque j’avais sept ans. Mon professeur nous avait demander d’écrire des histoires de fantômes pour Halloween, et j’ai fini par en écrire une vingtaine ! Je lisais beaucoup Stephen King à cette époque, et j’ai réalisé que c’était quelque chose que nous pouvions faire dans notre vie : nous pouvons écrire des histoires et devenir auteur. Je n’imaginais pas à l’époque ce que cela impliquerait. A sept ans, j’imaginais juste écrire un livre, l’envoyer et il serait publié. En fait, il semble que cela soit un peu plus compliqué que ça ! J’ai continué à écrire tout au long du lycée, puis je suis allé à l’université pour étudier l’écriture créative et j’ai continué à écrire des histoires et à les envoyer dans l’espoir d’une publication. Plus tôt, ce fut beaucoup de tentatives et d’échecs. Vous mettez tout votre cœur dans l’écriture, les envoyer et… vous êtes rejetés ! Vous traversez une sorte de nuit noire de l’âme. Très concrètement, avant d’avoir du succès, j’ai eu 94 rejets de mes histoires.
Mais ces rejets font partie intégrante de mon succès comme auteur, parce que cela a déclenché quelque chose. Je pense que jusque là, j’essayais d’écrire des histoires pour “impressionner” les autres. Mon principal objectif était d’être publié plus que de me concentrer sur le genre d’histoires étranges que je voulais rencontrer. Et j’ai réalisé, OK, bien, avec 94 refus, autant raconter tout ce que je veux. Ce fut le moment où mon écriture s’est transformé, car j’ai abandonné l’idée d’écrire ce que je pensais “pouvoir être publié” et à la place, j’ai commencé à écrire ces étranges histoires au sujet d’enfants robots, et de personne ayant des souvenirs implantés et j’ai commencé soudainement à avoir du succès dans l’édition.
Donc, vraiment, je suppose que dans la réponse sur comment j’y suis parvenu, une part importante est de croire dans votre travail, dans votre propre voix, et de la laisser sortir dans vos écrits. Et l’autre secret est de ne pas abandonner et de continuer à écrire.
Avant de parler du robot Yang, j’aimerai aborder le personnage de Mika, car nous avons ici une famille américaine qui décide d’adopter Mika, une enfant chinoise, à un moment où les personnes chinoises et asiatiques ne sont pas tolérées aux Etats-Unis. Je me demandais s’il y avait un rapprochement avec notre monde où nous décidons d’avoir des enfants indépendamment du futur qu’on pourrait leur proposer. Souhaitiez-vous aborder le sujet de ces personnes qui ne prennent pas en compte les possibles conséquences dans le futur pour ces enfants ?
Sous la surface, mes histoires questionnent toujours sur : comment nous reconnecter ? Et je ne fais pas référence aux types de connections dont il est question aujourd’hui, à savoir de se connecter sur LinkedIn, Facebook ou Instagram ! Non, comment nous connections-nous dans la vraie vie ? Et pour le cas des enfants, je pense qu’il est vital de prendre soin de la prochaine génération et de leur laisser un monde meilleur que celui que nous avons trouvé.
Il est intéressant de noter dans l’histoire que personne ne semble plus avoir d’enfants. Ils ne sont pas vraiment en train de se demander : devrions-nous avoir nos propres enfants ? Dans ce futur, les personnes se clonent ou adoptent un enfant déplacé par les catastrophes naturelles. Je pense que cette famille pense faire quelque chose de bien moralement. Et dans un sens, ils ont raison. Mika a été déplacé suite à un tremblement de terre, il lui créé donc un foyer. Mais ils prennent aussi la décision de faire son éducation par Yang, un frère aîné “chinois” robot qu’ils ont acheté. Ainsi, leurs tentatives de faire le bien est intrinsèquement lié à une plus profonde disparition dans un monde futur accro aux technologies. A bien des égards, ils n’ont pas réfléchi assez loin. Ils n’ont pas pris en compte les préjugés que Mika devra subir, et ils n’ont pas pris en compte que de confier l’éducation parentale à un robot pourrait avoir des conséquences plus larges. Vous pouvez dire qu’il y a ici une critique subtile d’être trop “woke” sans être suffisamment informés de la véritable profondeur de la compassion humaine et de l’action politique.
Comme vous l’avez dit, il y a deux “fonctionnements”. Soit vous avez des enfants par clonages, soit vous avez l’adoption ou des robots… Ce qui génère deux clans : clones versus robots. C’est un fait politique et cette opposition est très présente dans le récit.
Oui, cela fait partie de l’humour de l’histoire, parce qu’il y a toutes ces oppositions entre les gens. Il existe aussi une opposition entre les utilisateurs de voitures solaires et de voitures électriques par exemple. Les utilisateurs de voitures solaires sont une sorte d’élite new-age qui critiquent les utilisateurs de voitures électriques. Le même argument existe entre les personnes qui se clonent leurs propres enfants et ceux qui adoptent ou achète des enfants-robots. Notre personnage principale, qui est du côté des robots, pense que les parents-cloneurs sont un peu trop “totalement américains”. Ils veulent juste se cloner et reproduire à l’infini leur famille exactement comme eux.
Je suis d’accord avec les anti-clones, soit dit en passant. Je pense que c’est une mauvaise idée de cloner les enfants ! Et pourtant, je cherche toujours des moyens pour saper ma propre moralité ou pour remettre en cause ma position dans mes histoires. Ainsi, dans After Yang, la position anti-clonage du narrateur est en permanence remise en cause. Par exemple, il a un voisin sympathique qui clone ses propres enfants.
C’est exact, le père de Yang considère son voisin comme un gars horrible.. Mais en fait, il est vraiment sympathique.
Je me moque de moi même ! Parce que j’avais ce jugement sur ce voisin, que le narrateur décrit comme “un gars qui se peint le visage pour le Super Bowl”. Comme si c’était moi à 100%. J’ai toujours pensé, oh, c’set trop, ces fans de sports sont vraiment stupides. Et alors, ô surprise, les personnes sont bien plus complexes que nos petits jugements sur eux. Comme nous le voyons dans cette histoire, le gars qui se peint le visage pour des événements sportifs est dans le même temps un humain profondément attentionné. Donc, complexifié ma critique n’est pas simplement un moyen de remettre en cause mes propres jugements étroits d’esprit, mais aussi un moyen d’approfondir mes personnages. Car, en effet, les voisin est un merveilleux être humain et une partie de l’histoire questionne plus profondément sur la facilité avec laquelle nous limitons nos perceptions les uns sur les autres.
Pendant ce temps, Yang tombe en panne. Votre nouvelle est aussi sur la famille et sa composition. A quel moment le robot devient-il un membre de cette famille ?
Je pense qu’inconsciemment, il a toujours fait partie de la famille. Ils ne l’ont juste pas réaliser avant qu’il ne tombe en panne. Et une partie de cela vient de son humanité et du fait que la famille a passé tellement de temps avec Yang, a eu des conversations et a développé une relation avec lui. Bien sûr, Yang montre aussi des preuves de vie. Par exemple, il dit à sa sœur réellement en vie “Je t’aime” et nous découvrons que Yang à une vie secrète dans laquelle il réalise des projets artistiques – tout en sachant qu’il n’était pas programmé pour faire de l’art. Il y a aussi ce moment de l’histoire ou le père ratisse les feuilles avec Yang, et le père réalise qu’il considère le robot comme son fils. Peut-être qu’ils auraient pu boire une bière ensemble, s’asseoir et regarder le coucher du soleil. Et puis il se rend compte, oh, Yang sera juste étaient dès que Mika sera suffisamment âgée pour ne plus avoir besoin de lui. Il n’est qu’un vieil iPhone qu’il remplacera.
En tant qu’auteur de Science-Fiction, j’essaie constamment de me tromper, et je pense que Yang m’a trompé pour me rendre amoureux de lui comme un “vrai garçon”. Donc, mon expérience comme auteur est très proche de celle de la famille : j’en suis venu à considéré que Yang était vivant. C’est vraiment une métaphore autour de la façon dont nous commençons à construire nos relations avec nos technologies. Il n’est pas rare d’entendre les personnes dire “J’aime mon iPhone !”. C’est la dernière chose qu’elles voient avant de se coucher et la première qu’elles regardent dans la matinée. Il y a une sorte de langage amoureux autour de la technologie. Lorsque nous passerons aux robots, aux androïdes ou à ce qui leur ressemblera, je pense que nos allons perdre notre sens de la distance entre ce qui rend quelque chose d’humain ou de machine.
Nous avons le sentiment que le père lutte contre humanité. D’un côté, il traite Yang comme son fils, d’un autre côté, il dit que cela va lui coûter 8 000 $ pour le remplacer. Il ne semble pas avoir les outils pour définir s’il s’agit d’un fils ou non.
C’est la pression capitaliste qui lui cause cette lutte intérieure. Mais le dilemne est aussi très pratique : pouvons-nous nous permettre un autre fils ? Ce qui, maintenant que je le dis à autre voix, est le type de conversation que beaucoup de personnes ont lorsqu’elles pensent avoir des enfants. Pouvons-nous nous permettre un autre enfant ? Particulièrement aux Etats-Unis, où vous n’avez aucun support financier ou de la part de l’état. Du coup, vous avez vraiment besoin de prendre une décision qui est purement économique plus que basée sur l’amour. Pouvons nous nous permettre une dépense de 200 000 $ pour envoyer notre enfant au lycée, par exemple. C’est une très grande pression pour les familles. Et ainsi, à un niveau plus profond, l’histoire est une métaphore sur nos vies actuelles, car je pense que nous prenons constamment des décisions économiques autour de l’amour, ce qui est une situation très étrange dans laquelle le capitalisme nous a mis.
Un évenément important pour vous : votre nouvelle a été adapté par Koganada, dans un film avec Colin Farrell. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
C’est un rêve devenue réalité. J’ai toujours adoré le cinéma et, plus jeune, je voulais devenir producteur. Finalement, j’ai choisi la voie de l’écrivain : mais maintenant, avec les productions cinématographiques et télévisuelles de mes fictions, je peux voir que la boucle est bouclée. Après un long voyage comme auteur, je me trouve également à créer des films et des séries est c’est merveilleux.
Quant au film, After Yang, ce qui a été drôle a été la rencontre avec Yang, l’acteur, sur le plateau. A ce moment-là, c’est comme si le robot était revenu à la vie ! Et voilà que toute les membres de la famille de mon histoire me saluaient. Donc, ce fut une expérience folle. C’était merveilleux de travailler avec Kogonada et il a eu tellement d’idée incroyable pour étendre l’histoire. Je suis très ouvert en tant qu’auteur quand il s’agit d’adapter le travail, et j’accepte l’idée qu’un réalisateur ajoute de nouveaux matériels et dirige l’histoire dans des chemins inattendus. Le film intègre 70% de matériel non présent dans mon histoire.
C’était ma question suivante : votre histoire fait une vingtaine de page et vous avez un film complet.
Oui, c’est le génie des réalisateurs et des scénaristes comme Kogonoda. Ils arrivent à prendre le cœur de l’histoire et l’âme des personnages de fiction pour les développer. Je commence à en apprendre plus sur le sujet en travaillant pour la télévision. Notamment, la façon dont vous pouvez construire depuis le noyau d’une nouvelle et étendre le monde depuis un détail.
Actuellement, nous travaillons sur une série télé basée sur ma nouvelle Comfort Porn. L’idée de ce monde est que Tinder et Grinder ont été si loin que lese personnes peuvent avoir du sexe juste en choisissant leur partenaire et leurs positions avant leur rencontre. C’est vraiment transactionnel, vous choisissez vos positions en amont et vous n’avez même pas besoin de parler à la personne avec qui vous avez une relation sexuelle. Puisqu’il est facile d’avoir le type de sexualité que vous voulez, la nouvelle pornographie que les personnes regardent est purement émotionnelle. Il s’agit uniquement de personnes qui sont à l’aise les uns avec les autres ; des vidéos d’amitiés de personnes se faisant des signes de la main et disant “Salut ! je suis si content de te voir”.
En tant que créateurs, nous analysons cette histoire et commençons à nous poser des questions comme : Ok, comment cette industrie du Comfort Porn se développe ? Dans une nouvelle, je n’ai pas besoin de couvrir cette dimension, mais à la télévision, cela devient vraiment intéressant. Comment les personnages évoluent dans cette industrie ? Qu’est-ce que cela signifie pour la vraie industrie pornographique ? C’est comme construire une fan-fiction depuis mes propres nouvelles.
Certaines de vos nouvelles traitent du sujet de la mémoire en terme d’Intelligence Artificielle. Le sujet des nouvelles technologies et de leurs usages est-il un sujet important pour vous ?
Oui, énormément. Les nouvelles de ce recueil traitent toutes du futur proche en terme de technologies. Dans cette nouvelle, les cartographes, une capacité existe d’implanter des souvenirs de façon à pouvoir avoir des vacances qu’on ne peut pas se payer ou d’avoir des parents meilleurs que les nôtres, ou des enfants pour ceux qui n’en ont pas.
Dans la nouvelle, Enfants du nouveau monde, les personnes font l’amour en ligne au travers de corps virtuel puis se retrouvent avec des enfants virtuels qui n’existent qu’en ligne qu’ils doivent protéger des virus et des hackers car ils veulent voir leurs enfants virtuels grandir.
Mes histoires explorent toujours cette question de savoir avec quelle facilité nous adaptons et fusionnons avec la technologie dans notre vie actuelles. De bien des façon, elles sont des alertes concernant notre futur technologique. Très subtilement, je dis, ne partons pas vers là-bas. Que diriez-vous plutôt que de devenir accro aux technologies, de nous concentrer à prendre soin des notres, de nos familles, de nos partenaires et des uns des autres dans le monde réel.
De mon point de vue, on peut voir plusieurs étapes dans le métier d’écrivain : être publié, être adapté, être traduit… Quel effet cela vous fait-il d’être traduit et comment travaillez-vous avec votre traducteur ?
Je suis honoré que les histoires que je raconte abordent des thèmes universels dans lesquels tout le monde peut s’identifier. C’est très important pour moi en tant qu’écrivain car une grande partie de mon travail traite de l’humanité, de nos émotions partagées lorsque nous tombons amoureux, de nos peurs et espoirs pour nos enfants, ou, si nous décidons de ne pas avoir d’enfants, les peurs et espoirs pour nous-mêmes. Ce sont des expériences universelles. En fait, dans mon deuxième recueil, qui s’appelle Universal Love, j’explore les technologies et ce que devient l’amour dans ce nouveau monde. Du coup, être traduit est un autre rêve qui devient réalité.
Dernière question : que pensez-vous des Utopiales ?
C’est un festival fantastique ! En fait, il m’a inspiré. La nuit dernière, je me suis réveillé en plein rêve et j’ai commencé à écrire un scénario futuriste. J’attribue cela à cet espace, entouré de personnes tellement créatives et imaginatives. Vous savez, tout le monde ici pense aux futurs, aux utopies, aux dystopies et aux machines conscientes. C’est une chose brillante pour les auteurs, lecteurs et penseurs de science-fiction et de fantasy. Nous avons besoin de ce genre de conventions pour rassembler tous ces gens merveilleusement étranges. C’est un espace où la créativité est en même temps célébrée et s’épanouit !