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L’île Silicium de Chen Qiufan

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Les éditions Rivages ont lancé durant les Utopiales leur nouvelle collection “Imaginaires”, dont le premier titre est L’île de Silicium de l’auteur chinois Chen Qiufan. Il est à noter que l’auteur était au festival pour cette occasion, mais aussi pour la parution du recueil I.A. 2042 aux éditions des Arènes dont la chronique est pour un peu plus tard. Une interview de l’auteur sera aussi bientôt disponible sur Fantastinet, restez connecté·e·s.

L’écologie au centre de l’intrigue…

Ville de Guiyu

Pour ceux qui se poserait la question de savoir si oui ou non le livre est crédible, il est important de préciser que Chen Qiufan, de son propre aveu, à habiter près de la décharge de Guiyu, qui a pendant de nombreuses années un des hubs dans le traitement des déchets électroniques. Etant donné le coût du traitement des déchets et la valeur de ces mêmes déchets, un commerce important s’est développé autour de cette industrie du “recyclage”, avec un impact sur les populations locales importantes.

Dans le récit de Chen Qiufan, nous retrouverons donc cette dimension très marquée, sur l’île de Silicium. La ville qui se trouve au large de la Chine, est un hub de recyclage des appareils électroniques. Le coût de la main d’œuvre étant moins cher que la mise en place de machines pour le faire, les “déchetiers” sont omniprésents, et victimes d’un travail qui les condamnent à de nombreuses maladies et à vivre sous le joug des trois clans qui régissent l’île.

Les vies humaines étaient tellement moins chères que les machines

Comme dans notre présent, le green washing (pour ceux qui ne connaîtraient pas ce terme, il s’agit pour une entreprise de se donner une image trompeuse d’éco-responsabilité) devient essentielle. C’est la raison pour laquelle Scott Brandle, émissaire d’un groupe américain, va se rendre auprès des clans, accompagné de Dang Kai-zong, originaire de l’île pour tenter de passer un accord pour installer une usine de traitement automatisé sur l’île. Mais pour réussir cet accord, il doit réussir à convaincre les différents chefs de clan qui gouvernent l’île..

… avec des thématiques variées…

Une fois le décor planté, il est intéressant de voir comment ce roman de 2013 sonne étrangement juste près de 10 ans après, pour sa parution française. Si le gouvernement chinois a pris certaines décisions pour éviter que la situation écologique du pays ne s’aggrave, le traitement des déchets électroniques n’a pour autant pas disparu : d’autres pays tels que la Thaïlande ou l’Afrique du Sud deviennent de nouveaux hubs…

Chen nous questionne donc sur notre présent, et sur notre impact sur l’environnement : ces hubs existent aussi par notre surconsommation d’appareils électroniques et notre fuite en avant.. Pour autant, il serait faux de limiter le récit de l’auteur à cette unique dimension écologique.

Nous découvrons sur l’Île de Silicium, une Chine à deux visages. Le premier est celui d’un pays qui est un fer de lance sur un certain nombre de technologies, moderne et dynamique. Le second est celui d’un pays ancré dans ses traditions. Cette dualité est un des éléments qui m’a le plus marqué dans le récit, car il s’agit aussi de ce qui déclenchera une grande partie de l’action et notamment l’agression de Xiaomi, ce personnage féminin majeur de l’histoire. Car nous voyons que ce système de clan en mode langue de poids, peut-être clairement appelé une mafia.

C’est aussi une réflexion politique sur la green-washing et l’on sent dans le propos de Chen le côté mesquin des positions occidentales contemporaines. Alors que la Chine a été abreuvée pendant de nombreuses années par les déchets de beaucoup de pays occidentaux, ces derniers arrivent maintenant pour expliquer comment ils devraient les traiter…

Autre axe proposé aussi par l’auteur : la persistance de ce monde à deux vitesses, riches et pauvres, qui se voit même au travers des prothèses… Même si les prothèses sont accessibles à tout le monde, comme une évidence, les capacités de celles pour les riches et les pauvres sont loin d’être les mêmes !

…pour un roman percutant aux personnages marquants.

Mais le récit de Chen n’est pas un pamphlet contre une société qui oublie que notre planète est notre seule planète. Chen construit un récit glaçant, précis, documenté sur un sujet qui reste tragiquement d’actualité. Il le fait en s’appuyant sur un style fluide, percutant, magistralement traduit par Gwennaël Gaffric en français. Peut-être pourra-t-on à certains moment reprocher de trop décrire, mais ce n’est pas pénalisant

Parlons de Xiami, cette jeune femme violentée dans le texte et qui va découvrir une prothèse qui pourra changer l’avenir des populations oppressées en pesant sur les événements à venir. La transformation de ce personnage tout au long de l’histoire va être le fil rouge et l’élément qui va perturber les manigances de deux côtés. Elle sera la voix du peuple d’une certaine façon et bien malgré elle, face à ces deux blocs que sont les clans et la société américaine. Un personnage féminin fort et issu de ce peuple dont les enfants jouent dans les déchets.

L’île de Silicium est un texte riche et pertinent qui ouvre magnifiquement une collection à qui nous souhaitons une longue vie !

Rivages (26 octobre 2022) – Imaginaire – 444 pages – 23 € – 9782743657840
Traduction : Gwennaël Gaffric (Chine)
Titre Original : Waste Tide (2013)
Couverture : Huleeb

Xiaomi travaille sur l’île de Silicium, située au large de la Chine, où les appareils électroniques du monde entier sont envoyés au recyclage. Comme elle, des milliers de migrants sont attirés sur cette île polluée par la promesse d’une vie meilleure. Mais ceux que l’on surnomme les « déchetiers » demeurent à la merci de puissants chefs de clan. Alors qu’un conflit se trame entre les trois clans rivaux, des investisseurs américains et des écoterroristes, Xiaomi découvre les débris d’une mystérieuse prothèse qui risque de changer le cours de leurs destins.


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