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Interview avec Michael Roch

Michael Roch a signé deux actualités cette année : Tè Mawon chez La Volte et Les choses Immobiles chez . Dans les deux romans, il est question des Caraïbes, l’occasion de parler de la représentation des Caraïbes dans les titres de SF.

Cet échange a eu lieu aux Utopiales

Pour ceux et celles qui ne sont pas très vidéo, voici la retranscription.

Bonjour et merci beaucoup pour ce temps. Moi, je voulais parler de tes deux actualités, Tè Mawon qui est un peu plus ancien et Les choses immobiles, les deux se passent dans les Caraïbes. Qu’est- ce que ça signifie ? Pourquoi vouloir parler des Caraïbes aujourd’hui ?

Plusieurs choses. La première, c’est une question de rééquilibrage des représentations. La science- fiction est largement dominée, déjà, par le monde anglo-saxon et puis au sein de nos librairies françaises, par la science-fiction hexagonale. Rééquilibrer, ça veut dire réapporter dans cette peinture du réel un pan de la SF qui n’a pas encore été réellement, j’allais dire, exploité, mais ce n’est pas le terme, en tout cas, représenté. Et puis, la deuxième chose, c’est évidemment de projeter ces sociétés des Outre-mer, de la Caraïbe, dans un futur, littérairement, chose qui n’a jamais été faite jusqu’à l’heure.

J’ai trouvé que les deux livres se répondaient d’une façon très différente. Dans Tè Mawon, j’ai trouvé très futuriste, avec l’Anwo Lanvil en ville et l’Anba Lanvil, qui sont les deux aspects de l’île. Les Caraïbes sont devenus une mégalopole où il faut aller, c’est le lieu où les gens sont sauvés. On a une émigration, finalement, qui vient d’éléments. Les Caraïbes sont devenus en quelque sorte riches en tant que Caraïbes, là où dans les choses immobiles, on a plutôt une désertion de tout ce qui est services publics, etc, il y a un peu ce chaud et froid. Et on se rend compte dans Tè Mawon que malgré tout, les habitants des Caraïbes sont ceux qui sont finalement relativement laissés sur le bord de la route. Les habitants… L’en ville d’en bas la pauvreté et encore sur les populations qui étaient à l’origine des Caraïbes ? Ou j’ai une mauvaise lecture.

On a cette impression- là, effectivement, parce que le personnage principal qui vit dans l’Anba Lanvil, c’est Pat, c’est un militant terroriste qui se cache, qui est poursuivi par la police et qui, du coup, forcé de se cacher, ne vit que dans les milieux qui sont les plus abandonnés, finalement, les plus laissés pour compte de cette mégalopole de l’Anvil. Mais en réalité, tous ceux qui habitent l’Anvil sont caribéens, qu’ils soient d’en haut ou d’en bas ou même d’à côté, puisqu’on a aussi ces personnages qui habitent Ravinplat, qui est un petit village en dehors de la grille de l’Anvil. Tout ça fait le monde de l’Anvil. En réalité, cette vision d’en bas pauvre et d’en haut riche, elle est biaisée par le regard direct de nos personnages. C’est une narration à la première personne. Donc, ce ne sont pas des personnages qui sont objectifs. Ils nous mentent.

Il est beaucoup question de la langue aussi avec les traducteurs et les traductrices. Il y a aussi une présence très forte du créole, mais pas uniquement d’un créole contemporain. Tu as aussi projeté le créole dans le futur.

Un petit peu, oui.

Un petit peu, avec un nouveau langage. C’est aussi quelque chose que j’ai ressenti un petit peu moins dans les choses immobiles où on a quelques propos créoles. Finalement, quand on est métropolitain comme moi, le créole, on ne le percoit pas.

Hexagonal.

Oui, excuse- moi du terme « hexagonal ». Le créole, on ne le connaît pas et on a un peu ce sentiment d’être mis sur le bord, à la marge. J’imagine que c’était d’une certaine façon volontaire.

Oui. L’acte volontaire lié à ce traitement de la langue créole qui n’est pas traduite, effectivement, c’est de provoquer ce choc relationnel, de provoquer un choc relationnel qui soit le plus horizontal possible ou en tout cas qui soit dans ce basculement d’une verticalité où le français, c’est la métropole, la langue centralisante, et le créole, la langue de la marge. La langue de la marge que l’on va annoter avec un astérisque, que l’on va mettre en italique, parce qu’elle est différente. Là, il n’y a pas cette marginalisation de la langue de l’autre. Et donc le rapport, même si on a l’impression que si on est franco-français, même si on a l’impression d’être cette fois- ci « nous » ou  mise à la marge, c’est un rapport qui est brutalement rééquilibré et qui est déroutant. Et je crois que c’est aussi ce que j’aime, moi, dans la littérature et notamment dans les textes d’imaginaire, d’être dérouté par les textes.

C’est vrai qu’une fois que je dis ça, on pourrait croire que je n’ai pas apprécié, mais effectivement, j’ai apprécié ce côté déstabilisation, de me dire « Ce coup-ci, peut- être, c’est moi qui n’ai pas les codes pour le lire. » Et c’est vrai que ça apporte un regard. Et comme tu disais, on oublie tout ce qui est Caraïbes, on n’y pense pas et on n’a pas le même traitement, je pense, pour le Breton versus le créole.

Oui, il y a de ça. À partir du choc relationnel se crée ce shift mental, ce déplacement d’acceptation de l’autre et donc on va vibrer, on va vivre le texte avec les nuances qui nous échappent, pour petit à petit se les réapproprier. Ou alors on va se recentrer sur soi, se replier sur soi et être dans la non-relation finalement avec l’autre. C’est tout le propos du bouquin. Ça marche avec le créole comme ça pourrait marcher avec le breton, le vendéen, l’alsacien. Le provincial qui est aussi dans le texte avec Joe qui vient de Nouvelle- Marseille. Vraiment, c’était l’idée de ce bouquin, de d’avoir cette relation des langues.

Et j’ai trouvé qu’à contrario dans les choses immobiles, les îles, les Caraïbes sont plutôt, je ne vais pas dire en difficulté, mais on se retrouve… J’ai trouvé qu’on était plus proche de l’actualité, de la désertion, comme je disais, des services publics avec sa difficulté. Je ne voudrais pas faire de mauvais propos, mais avec le frère qui revient de l’Hexagone, pour le coup, et qui semble en décalage par rapport à son histoire.

En décalage, parce qu’effectivement, lui qui n’a jamais connu ce personnage principal, Charles, qui n’a jamais connu la Martinique ou en tout cas trois fois dans sa vie, trois fois en 30 ans, il le dit, je crois, il revient, il fait l’expérience aussi de ce choc frontal de la culture de l’autre et de l’état du monde dans lequel il trouve l’île. J’ai juste exacerbé un petit peu, extrapolé un peu plus les problématiques auxquelles la Martinique et la Guadeloupe font face actuellement. La crise de l’eau, la crise des hôpitaux. Ce sont des problématiques qu’on retrouve aussi de plus en plus sur le territoire français. Et puis, de ce mal- être sociétal naît une graine maléfique, j’ai envie de dire, celle du fascisme, celle du repli sur soi, celle de l’extrémisme et de la polarisation du tout venant de la société. Et ce thème- là qu’on retrouve sur nos îles, on en a aussi un parallèle dans les sociétés hexagonales aujourd’hui. Il a juste fallu pousser un petit peu plus ce curseur de l’extraordinaire, ce curseur de l’imaginaire, pour venir faire exploser tout ça et avoir un enjeu, un conflit dans lequel le personnage principal, qui est déjà en lutte avec le lui- même, va devoir gérer, naviguer, un conflit dans lequel naviguer.

Oui, parce que c’est vrai que cette exacerbation de la violence, on la sent monter dans les propos, dans la façon dont ça se passe. C’est quelque chose qu’on vit en Hexagone, on le vit aussi en Italie, on le vit dans beaucoup de pays, cette montée des extrémistes. Je n’aurais pas imaginé a priori, et c’est aussi ce que tu voulais montrer, j’imagine aussi cette capacité au niveau de Martinique, Guadeloupe, cette rébellion qui commence à monter aussi. Puisqu’on l’a sentie pendant toute la période COVID, il y a eu des manifestations assez violentes, etc. Aujourd’hui, quelle est la vision des Guadeloupéens, des Martiniquais sur l’hexagone et la façon dont ils sont traités ou pas traités ? Est-ce qu’il y a un chômage important, des pouvoirs d’achat, etc. ?

C’est une vision qui est très ambivalente et qui va dépendre… Il n’y a pas de généralité à faire. Ça dépend de chaque individu, finalement. J’ai plutôt l’impression qu’il y a un consensus autour d’un chemin vers ce qu’on pourrait appeler une autonomie, qu’on pourrait appeler une indépendance. Un consensus qui se fait sur comment, justement, on peut petit à petit se réapproprier notre propre souveraineté. Après, il y a différents chemins pour y aller. Il y en a qui me paraissent bons, d’autres mauvais. J’essaye de les démêler dans les choses immobiles du mieux que je peux.

Charles, qui est le personnage, il est sur le fil tout le temps. Il se réapproprie sa famille, il se réapproprie sa culture d’une certaine façon. Comment ce personnage fait pour ne pas tomber du mauvais côté ? Comment on peut éviter de tomber du mauvais côté de cette violence, de cette réappropriation ?

C’est justement en gardant cet état d’alerte, de justesse, de justice, de droiture morale, de droiture dans les valeurs aussi, dans le respect pour l’autre, le respect pour la vie, le respect pour la différence. C’est tout un parcours qu’il va aller explorer, notamment en renouant avec sa propre enseignante, c’est-à-dire la culture, finalement, qui jaillit de l’histoire des Antilles. C’est là où encore une ambivalence se profil e, c’est que finalement, c’est en faisant ce chemin intérieur qu’on pourrait assimiler à du repli sur soi, qu’il va trouver quelle est la juste expansion pour être au monde.

Quand on avait échangé autour de la chronique qu’on avait fait pour Fantastinet, il y avait cette question de propos qui était très ultra droite au niveau du récit. Ça veut dire que cet extrémisme, cette forme d’extrémisme, il peut être présent partout. C’est une inquiétude aujourd’hui de ton côté ?

C’est moins qu’une inquiétude, c’est un constat. C’est un constat que les choses sont là et qu’il va falloir des forces actives pour lutter contre ces polarisations, des forces et des moyens. C’est tout le challenge de notre humanité.

Et aujourd’hui, je vois aussi que tu as le roman de Kim Stanley Robinson entre cette lutte contre toute forme d’extrémisme d’où qu’elle vienne, cette lutte pour le climat, toutes ces luttes qu’on doit faire, est- ce qu’on peut imaginer en SF un futur positif ?

On peut l’imaginer. Est- ce qu’on va y arriver ?

C’est la vraie question. Tu parlais aussi plutôt de la représentativité, de la diversité. Aujourd’hui, c’est des questions qui agitent beaucoup le milieu quand même, de la diversité, que ça soit en termes de d’afro futurisme, aussi la présence des femmes, etc. Quels sont les éléments qu’on peut faire ? Quels sont les leviers qu’on peut avoir pour permettre cette diversité aujourd’hui ?

Les leviers pour permettre la diversité, c’est… Comment dire ?

Ou quels sont les freins aujourd’hui qui empêchent cette diversité ?

Je ne sais pas s’il y a vraiment des freins. Oui, il y a des freins qui sont des héritages de notre système capitaliste tel qu’il a été pensé depuis le XVIᵉ siècle, qui sont des biais sexistes, qui sont des biais racistes. Le système patriarcal en lui-même ne peut que développer des freins pour tout ce qui est autre à la norme qu’il a convoquée dans son imaginaire, c’est-à-dire celle de l’homme tout simplement. Mais ce qu’on observe aujourd’hui, par la polarisation de plus en plus extrême de plusieurs franges de nos populations, de nos sociétés, c’est en réalité un éclatement des collectifs, un éclatement du collectif. Toutes les cultures à l’amalgamant, uniformisantes tendent à se replier sur elles-mêmes de manière de plus en plus violente et exacerber t, mais c’est bien parce qu’ à côté de ça, ces absolus qui se tiennent en bastion collectif sont en réalité challengés par des individualités qui sont autant de manière d’être au monde, autant de différences à soulever, à relever. Le levier pour cette diversité, c’est justement la place laissée à toutes ces individualités, tout simplement.

Et de ton côté, la suite ? Parce que là, aujourd’hui, tu as écrit Tè Mawon  tu as écrit Les choses immobiles, mais ce n’est pas les seules œuvres que tu as faites. Quelle est la prochaine étape pour toi ? Qu’est- ce que tu as envie d’écrire ?

C’est de continuer dans cette perspective afro- futuriste caribéenne, de vraiment développer qu’est-ce que c’est que l’afro futurisme caribéen. Encore une fois, c’est un afro futurisme qui diffère de l’afro futurisme tel qu’il existe depuis 30 ans, puisqu’il prend en compte toutes les cultures qui se sont rencontrées dans la Caraïbe et donc imaginer un monde de demain à partir du modèle caribéen, c’est imaginer un monde où justement, toutes les cultures sont en présence de manière harmonieuse et sont dans une forme de respect mutuel. C’est ce qu’on appelle la diversité. Et c’est justement cet éclatement des collectifs.

Et du coup, qu’est- ce qu’on peut te souhaiter à titre personnel ?

Du courage pour écrire.

Merci beaucoup.


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