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Les Choses Immobiles de Michael Roch

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Les Choses Immobiles de Michael Roch, publié sous le label mû des éditions Mnemos a été pour moi une lecture étrange, qui m’a plongé dans une histoire que je ne connaissais pas, m’envoyant dans des Antilles futuristes qui permet de faire le point sur cette île dont nous avons probablement une vision tronquée depuis la métropole, notamment en tant que “blanc” (si je peux me le permettre). Une histoire de retour aux sources, avec ce que cela peu impliquer.

Le retour de Charles en Martinique…

…ne doit rien au hasard. Après le décès de son père, il souhaite revenir en Martinique, et nous sentons dès les premières pages qu’une étrange histoire se tient entre les deux hommes. Pour autant, le frère de Charles l’accueille et va lui permettre d’avoir un appartement. Surtout, il va lui permettre de découvrir une île, rattachée à la France, tout en étant abandonnée par la métropole.

Ce que nous allons découvrir au travers de Charles, c’est la Martinique “locale”, pas celles des images d’Epinal, lieu de vacances rêvées pour riches blancs qui profitent de l’été pour se dépayser… Nous découvrons la colère de tout un peuple qui se retrouve exclu de son propre pays, dans des problématiques qui ne peuvent que nous faire penser à l’actualité ou aux actualités récentes : la désertion des services publiques, un taux de chômage important, un coût de la vie que les martiniquais (mais aussi les autres antillais) subissent, une accaparation des postes importants par des métropolitains (je vous invite à regarder qui est le préfet actuel de Martinique ou encore de la Guadeloupe).

On n’oublie pas les colons qui viennent nous grand-remplacer. Ceux qui prennent tous les postes les mieux payés du péyi. Qui nous laissent que les miettes de la débrouille. On n’oublie pas les Haïtiens qui occupent les marchés, de Volga à Foyal qui vendent à la sauvette dlo koko pas bonne, volée aux fermes. On n’oublie pas les bandits cubains et leurs bars à salsa, qui refusent les zoukeurs et les amateurs de kompa. On n’oublie pas les écoles privées qui sont pleines de gamins blancs et les publiques qui ferment l’une sur l’autre. On n’oublie pas les pharmacies chinoises, qui vendent la mort comme ses remèdes et l’invasion de temples hindous et le tapage régulier, du bruit et des odeurs. On n’oublie pas.

Ces Antilles, Charles les redécouvre, dans quelques années par rapport à notre temps, et va se retrouver au travers de son frère à participer à un mouvement de libération des Antilles, une volonté de retourner vers une autonomie pour qu’enfin, le peuple puisse retrouver une qualité de vie qui lui est depuis trop longtemps refusée.

Pour Charles, le retour est violent : lui qui est revenu avec cette volonté de rédemption (en tout cas c’est mon ressenti), va découvrir l’île de ses origines en pleine transformation. Va-t-il pouvoir faire partie de cette transformation et en devenir un acteur ? Son frère en tout cas fait tout pour cela.

Un récit dur, qui pourra choquer

Le récit que nous propose Michael Roch prend une forme qui pourra déranger certains lecteurs et certaines lectrices, prenant l’apparence d’un long poème. Le récit oscille entre violence, sexe et drogue, nous rendant par moment aussi perdu que peut l’être le personnage central.

Les questionnements sont nombreux autour de l’île et des habitants / habitantes. J’ai ressenti dans les mots de l’auteur toute la colère des antillais qui subissent encore et toujours les conséquences de la colonisation (en tout cas, c’est ainsi que je le décrypte), ne pouvant être aux commandes de leur destin. Une administration (française) qui dépouille les isliens de leurs prérogatives.

J’ai aussi ressenti toute la difficulté pour un antillais, métisse, ayant vécu en Métropole de (re)découvrir son histoire. C’est peut-être la raison pour laquelle la drogue semblera un moyen de s’extraire de cette culpabilité et réussir à franchir le cap du retour. Mais en a-t-il vraiment envie et souhaite-t-il faire partie de l’histoire ? Seul l’avenir (et la fin du roman pourra le dire).

Il ne faut pas non plus oublier les personnages féminins du récit, dont Tanya qui montre aussi dans ses actions et son engagement, donnant des leçons de féminisme. Il y a aussi des scènes de sexes, explicites, aussi violentes que peut l’être la vie sur l’île, un moyen de sceller des relations mais aussi un jeu de pouvoir.

Et bien sûr, comme c’était déjà le cas dans Tè Mawon, chez La Volte, quelques passages en créole, des passages que je n’ai pour ma part pas compris, sans que cela ne m’est gêné dans la lecture.

Un court roman donc, qui, sous couvert de nous parler d’une anticipation sur une révolte antillaise, nous parle surtout de la réalité actuelle de la Martinique (mais j’imagine aussi de la Guadeloupe). Ce n’est pas une surprise, Les choses immobiles est une œuvre engagée et puissante, une expérience de lecture aussi et une vraie réflexion sur l’avenir des Antilles.

Editions Mnemos (23 août 2023) – Mü – 99 pages – 16 € – 9782382670774
Couverture : Kévin Deneufchatel

Au décès de son père, un jeune homme revient à la Martinique. Accueilli par son frère, il va découvrir l’envers d’une île que la France abandonne, une île en proie à des bouleversements écologiques et sociaux, une île où tout a définitivement changé… comme lui.
Poursuivi par ses démons hexagonaux et les visions d’une étrange anguille spectrale, Charles va s’engager peu à peu, entre relations fraternelles tendues et amours multiples, aux côtés des indépendantistes.
Avec Les Choses immobiles, Michael Roch nous offre un roman d’anticipation politique afro-caribéen puissant et une immersion intime au sein d’un mouvement indépendantiste, sur une île en proie aux périls.


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