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L’Archiviste d’Alexandra Koszelyk

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De passage à Etonnants Voyageurs à Saint-Malo, David Meulemans, éditeur des Forges de Vulcain, me propose de prendre un temps d’échange avec Alexandra Koszelyk, et me glisse entre les mains L’Archiviste, paru en octobre 2022… Je me suis donc lancé dans la lecture pour pouvoir poser quelques questions (l’interview sera bientôt disponible) et ai découvert un conte intemporel, mettant en avant la culture ukrainienne tout en ouvrant la discussion sur de nombreuses thématiques.

Parlons un peu du contexte…

Il est important de bien voir dans quel contexte a été écrit ce roman, et avant de parler du contexte historique, il semble intéressant de préciser que l’autrice est d’origine ukrainienne : ses quatre grand-parents se sont installés en France dans les années 30. Comme le reste de la planète, elle a assisté à l’invasion en février 2022 de l’Ukraine par les forces militaires russes. Alors que la communauté internationale et les différents journalistes / commentateurs ne donnaient pas cher de l’Ukraine, il apparait que plus d’un an après, la Russie est loin d’avoir remporté le combat.

C’est dans ce contexte qu’Alexandra a pris la plume, et va nous emmener à Odessa en compagnie de K. K est archiviste, et si elle n’a pas quitté les zones de combat, c’est pour deux raisons essentielles : la première, sa mère, gravement malade, n’est pas en mesure de se déplacer. D’ailleurs, il ne semble pas qu’elle soit informée de la situation actuelle de son pays. La deuxième raison est la soeur jumelle de K., journaliste dont elle n’a plus de nouvelles. Raison pour laquelle la jeune femme reste aux archives, voulant protéger le patrimoine culturel de son pays.

je veux montrer aux habitants de votre pays qu’ils étaient dans l’erreur, que leurs croyances sont fausses, puisqu’elles ne sont pas réelles ! Et avec le temps, ils me croiront. L’esprit humain a ceci d’étrange : il n’aime pas le factice, mais à vorce d’y vivre, on finit par lui trouver du vrai. Vos semblables ne se souviendront plus de ce qu’ils avaient vu auparavant. A force, ils se rallieront à ce nouvel état, puisqu’il sera le seul, et cesseront de me parler de cette liberté si chère à leurs yeux. Il n’y aura plus qu’une vérité, celles que vous allez créer…

Un jour, un homme lui rend visite, un homme dont on ne sait que peu de choses, si ce n’est qu’il fait partie des forces d’invasion et qu’il porte un chapeau. Un homme surtout qui a les moyens de faire pression sur K., menaçant sa famille, si elle ne répond pas à ses exigences. Et ses exigences sont relativement simples : loin de vouloir détruire les œuvres de la culture ukrainienne, il va lui demander de les modifier, légèrement, de façon à changer la vision du peuple ukrainien sur son rapport à l’envahisseur, sur ses origines et pour pousser à une meilleure intégration au bloc qui se constitue.

Bien entendu, la jeune femme y est opposé et ne voit pas par quel moyen s’en sortir et pourra-t-elle sauver la culture ukrainienne ?

La culture en danger !

On comprendra très rapidement que la volonté de l’envahisseur est de s’appuyer sur les œuvres culturelles pour annihiler une bonne fois pour toute le peuple ukrainien. L’objectif est de s’assurer que toute forme d’émancipation à l’avenir n’existe plus, le travail de K. permettant à plus long terme de monter à quel point la culture ukrainienne n’existe pas ou – tout au moins – n’existe que par rapprochement avec son pays voisin et frère. Il s’agit d’un travail de sape profond, dérangeant, et définitif…

Le premier élément à modifier sera l’hymne, cet hymne que nous avons pu entendre dans les métros de Kiev notamment, un hymne que l’homme au chapeau veut voir modifier pour indiquer à quel point le peuple voisin est fraternel et à apporter à l’Ukraine…. Une fois cette action faite, ce sera le tour d’œuvres écrites, poèmes ou roman, notamment de Nicolas Gogol, ou encore des toiles ou des vitraux pour faire disparaître la présence de cosaques, mais aussi les faits historiques, trafiquant la réalité de ce qui s’est passé à Tchernobyl par exemple.

On l’aura compris, rien n’échappe à cet homme dans sa volonté d’anéantir définitivement l’Ukraine, de façon bien plus radicale que ce que ne pourrait faire les bombes et les massacres. Pourtant, K. résistera à sa façon, aidé par les fantômes, artistes du passé : elle travaillera à maintenir l’espoir, l’espoir de pouvoir retrouver la réalité de ses oeuvres….

L’occasion aussi de montrer le drame d’un pays qui se bat avec ses moyens, avec beaucoup de résilience face à des oppresseurs qui reviennent réellement à l’attaque, comme si le pays n’était qu’une annexe de son voisin… qui semble envahir avec un sentiment d’impunité qui devrait faire réagir les alliés.

L’Ukraine mais pas que…

Alors, bien sûr il est question de la guerre actuelle mais Alexandra n’a pas voulu cantonner son conte à une période, raison pour laquelle nous n’avons aucune information nous indiquant que l’oppresseur est russe, même si à notre époque, la nationalité est évidente. L’autrice réussit à nous parler de la culture ukrainienne, à nous la faire découvrir sur les différents pans artistiques et historiques, sans nous en faire un livre d’histoire : j’ai découvert au travers de L’Archiviste de nombreuses choses sur un pays qui n’est finalement pas si loin de chez nous.

Au-delà de cette dimension contemporaine, la question de la manipulation de la culture et du fait historique ne peut pas nous échapper. Ce que nous voyons dans la démarche de l’homme au chapeau, est une volonté de modifier des œuvres existantes pour permettre de soumettre – d’une façon différente – les peuples. La question ne peut pas échapper à un moment où il devient fréquent de “réécrire” les œuvres artistiques (par exemple, le renommage du titre d’Agatha Christie de Les 10 petits nègres vers Ils étaient 10 ou encore le remplacement de vocabulaire dans les œuvres de Roald Dahl) ou encore de vouloir “effacer” une partie de l’histoire. Nous comprenons le danger de telles décisions en lisant le récit de K.

Vous l’aurez compris, ce roman sous forme de conte est un titre que vous ne pouvez pas rater, il est le reflet d’une actualité brûlante sans être un roman de colère, il est un roman d’espoir aussi et de résistance et il est magnifiquement écrit ce qui bien entendu ne gâche rien.

Aux Forges de Vulcain (Octobre 2022) – 268 pages – 18 € – 9782373056556
Couverture : Elena Vieillard

K est archiviste dans une ville détruite par la guerre, en Ukraine. Le jour, elle veille sur sa mère mourante. La nuit, elle veille sur des œuvres d’art. Lors de l’évacuation, elles ont été entassées dans la bibliothèque dont elle a la charge. Un soir, elle reçoit la visite d’un des envahisseurs, qui lui demande d’aider les vainqueurs à détruire ce qu’il reste de son pays : ses tableaux, ses poèmes et ses chansons. Il lui demande de falsifier les œuvres sur lesquelles elle doit veiller. En échange, sa famille aura la vie sauve. Commence alors un jeu de dupes entre le bourreau et sa victime, dont l’enjeu est l’espoir, espoir d’un peuple à survivre toujours, malgré la barbarie.


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