Les éditions Le Bélial continue à nous proposer des novellas dans la collection Une Heure Lumière… Une des trois parutions de ce mois-ci est Rossignol d’Audrey Pleynet (accompagnant Houston, Houston, me recevez-vous ? de James Tipree Jr et une nouvelle de Christian Léourier Le trophée dans le Hors-Série 2023). Il est à noter qu’Audrey est la première autrice française du catalogue et qu’elle y rentre avec beaucoup de talent

Il était une fois, dans le futur…

Le temps dans lequel nous plonge est lointain. L’espèce humaine a rencontré de nombreuses autres espèces et n’a plus aucune difficulté à vivre dans l’espace comme nous le montre la station sur laquelle nous allons voyager le temps de ces 130 pages.

Sur la station, les différentes espèces qui composent l’univers sont présentes, vivent ensemble dans une relative harmonie. Chacune a bien sûr ses particularités, ses besoins, ses modes de communication… Pour autant, tout semble se dérouler pour le mieux, la tolérance étant le coeur de la société qui s’est construite, aidé en cela par la technologie, et notamment les Paramètres, qui vont ajuster en temps réel l’environnement pour s’assurer à tout moment de la santé des personnes en présence.

Bien entendu, la mise en contact de populations aussi diverses et variées a entraîné des rapprochements, ayant conduit à de l’hybridation, qu’elle ait été naturelle ou artificielle. D’ailleurs, les individus sont des pourcentages de cette hybridation, une façon de mesurer la distance par rapport à leur race d’origine.

La station était parcourue de ces courants d’influence, d’acceptations comme de rejets. Mouvante et figée dans ses représentations.

C’est à un moment charnier de la vie de la station que nous arrivons, alors qu’une jeune femme se retrouve au centre de tensions entre deux clans qui s’opposent : d’un côté les Spéciens pour qui la pureté de la race et d’un autre les Fusionnistes qui sont pour une hybridation plus importante de la population… Et la jeune femme en question est en fuite. Fille hybride elle-même, issue de cette culture de l’hybridation, elle se montrera curieuse et partagera des expériences avec les autres habitants et habitantes de la Station, là où sa mère, proche du mouvement Spécien, préfèrerait qu’elle reste avec les “Humania”, descendants de notre propre espèce.

Alors, nous allons découvrir ce lieu, cette utopie spatiale et surtout ces tensions qui apparaissent.

… un espoir de tolérance partagée

Quand on commence le texte d’Audrey, nous sommes conquis par cette société qui s’est construite, indépendante des différentes planètes d’origine, dans une volonté de tolérance partagée… Tout concourt a priori à un vivre ensemble que rien ne pourrait remettre en cause. Les différences sont acceptées et, d’un point de vue technique, les outils sont là pour que chacun s’y sente à sa place grâce à un algorithme, les Paramètres, qui adaptent l’environnement et les équipements des personnes en présence en fonction de leur espèce respective et leur hybridation. En quelques lignes, l’autrice a réussi à nous planter ce décor et à rendre cette cohabitation naturelle.

Alors, nous sommes plein d’espoir, l’hybridation, venue dans un premier temps des temps d’opposition entre les peuples, a été un facteur accélérateur de tolérance, d’acceptation de l’autre dans ce qu’il a de particulier, avec une vraie prise en compte de règles de vivre ensemble. C’est notamment le cas des espèces télépathes qui se doivent de demander l’autorisation avant d’utiliser cet étrange pouvoir. La jeunesse et les relations de notre héroïne montre aussi un naturel à aller vers l’autre, pour en sortir grandi… Et pourtant…

Quelle est la définition d’une prison ? Des murs qui vous entourent ? Des pensées qui vous oppressent ? La conscience aigüe de dépendre d’une technologie que vous ne maîtrisez pas ? L’impossibilité de voir votre enfant ? Des règles et des normes qu’on vous impose du fait de votre espèce ?

Pourtant, des grains de sable rentre dans la machine, et malgré une capacité à vivre ensemble en surface, on se rend compte que deux courants forts se dessinent, montrant que le racisme, ou tout autre forme de rejet de l’autre, est toujours présent : ce sera cette opposition entre les tenants de l’espèce pure (à défaut de dire race) versus ceux de l’hybridation qui conduira au drame, un drame prévisible, un drame que nous sentons aussi dans notre société actuelle, sans savoir à quel moment cette rupture se produira. La définition d’une personne par son pourcentage d’espèce est déjà un moyen de classification, un moyen de rejet qui pourra conduire aux pires travers.

Un récit dense et une écriture ciselée

Ce court récit d’Audrey Pleynet est dense. En quelques lignes, bien écrites, l’autrice réussit à décrire de nombreuses espèces extra-terrestres, un environnement complexe et une situation sociale et politique complexe. Cette utopie spatiale, bien que soumise à des jeux de pression, se déroule dans une alternance entre le présent de la narratrice et des flashbacks qui nous permettent d’appréhender page après page la situation.

Nous plongeons rapidement dans cette histoire, guidée par une narratrice à l’histoire elle-même complexe, dont on peine à trouver la proximité.

Plaidoyer du vivre ensemble, Rossignol ne cache pourtant pas les difficultés que cela engendre… Mais termine sur une note malgré tout positive : progressivement, nous pouvons espérer aller vers un “mieux”, même si cela nécessite, à certains moments, de faire quelques pas en arrière…

Vous l’aurez compris, Rossignol est une vraie réussite et un vrai coup de cœur : Audrey rentre dans la collection avec brio !

Le Bélial (18 mai 2023) – Une Heure Lumière – 131 pages – 10,90 € – 9782381630885
Couverture : Aurélien Police

Lointain futur. Espace profond.
Plus qu’une prouesse technologique, la station est une expérience. Politique, sociale, économique, philosophique. Ainsi, au sein de ce gigantesque assemblage minier peuplé d’espèces venues de tous horizons, les stationniens se définissent moins en fonction de leurs origines que de leurs pourcentages génétiques. Melting-pot utopique, la station offre de fait un refuge de tolérance unique au cœur de la Galaxie — une vie en symbiose gérée par les Paramètres qui adaptent l’environnement aux différentes morphologies, aux contraintes physiques, à toutes les essences du vivant. Ou du moins offrait… De profonds désaccords entre les Spéciens, favorables à la séparation interespèce, et les Fusionnistes, qui œuvrent pour davantage de métissage, cristallisent les tensions.
Au milieu de ces courants qu’elle ne maîtrise pas, une femme, stationnienne insignifiante, va devoir choisir son camp, et par là même, peut-être, peser sur le devenir de la station et sa myriade d’habitants.