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Valentina de Christophe Siebert

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Chroniques de Mervecgorod – Troisième histoire

Christophe Siebert nous permet de nous lancer pour la troisième fois dans le Mervecgorod… Après Images de la fin du monde et Feminicid, nous voici projeté·e·s dans les années 2000 et donc les premiers temps de la jeune RIM. Nous allons être accompagné·e·s dans ce troisième opus du cycle, toujours indépendant des autres romans, d’un groupe de jeunes : Meksi, Laska, Sbrod, General et Kreditka.

Au début de la République…

Pour rappeler un peu quelques éléments de contexte, pour ceux et celles qui n’auraient pas tout suivi, le bloc soviétique s’est effondré au début des années 90, entraînant l’autonomie d’un certain nombre de pays (et cela c’est de la vraie histoire). Ce qui l’est moins, bien sûr, est la création de la République Indépendante du Mervecgorod (ou RIM), inventée de toute pièce par Christophe pour notre plus grand bonheur.

Devenue autonome, la RIM a rapidement trouvé le domaine qui lui permettra de peser ou à tout le moins d’exister : le traitement des déchets biologiques et nucléaires (notamment) lui permettent de développer une économie forte qui s’appuie aussi sur un certain nombre de commerce « officieux ». Un des points qui vient de façon récurrente dans le récit de Christophe, est la trajectoire politique du pays et le décalage qui reste toujours très présent entre ce qui était promis aux populations, notamment les plus pauvres, et la réalité qui découle de cette libéralisation.

Quelque part dans la ville, les vainqueurs de la récente guerre d’indépendance qui a secoué le pays suite à la dissolution de l’U.R.S.S. pactisent, se trahissent, s’assassinent, se partagent l’énorme gâteau que représente à leurs yeux ce pays, ses ressources.

Dans ce récit, nous suivrons un groupe de jeunes, première génération post-soviétique, résident·e·s des quartiers les plus populaires de Mervecgorod. Leur vie est rythmée par leur passage en cours, forcé et non volontaire, ainsi que leur vie dans la rue, succession de fêtes, d’alcools et de drogues et finalement une difficile intégration dans un modèle d’état qui ne semblent pas adapté pour eux.

Leur vie est très « au jour le jour », vivant, dynamique, musical aussi comme nous pourrons le constater durant tout le récit.

Et puis il y a leur voisine, Valentina, vieux travesti discret et bienveillant retrouvé mort dans son appartement… Un personnage du quartier, une référence pour ces jeunes qui n’en ont finalement que peu et qui vont décider d’organiser des funérailles à la hauteur de leur attachement à Valentina. Une organisation qui ne sera pas simple, entre nécessité de trouver les fonds et compréhension de ce qui a conduit à la mort du travesti.

… l’enveloppe physique c’est à ça que s’est attaqué le meurtrier, c’est par ce biais qu’il a voulu l’atteindre, la détruire, mais cet imbécile n’a rien compris, rien compris du tout, pour détruire Valentina c’est pas son ventre ni sa gorge qu’il fallait ouvrir à coups de coteau, mais les robes, les strings, les faux nichons, les godes…

… la ville est déjà poisseuse et violente

Ce que nous retrouvons dans ce troisième volet de la grande fresque de Christophe est cette ambiance étrange… On sent la ville, on sent les odeurs qui trainent, on sent la pression qui pèse sur les différents protagonistes et surtout on se prend en pleine figure toute la pauvreté de l’environnement social de la ville. Les magouilles sont à tous les coins de rue, et c’est toute une jeunesse qui se retrouve prisonnière d’un système qui va lentement les broyer et les recracher…

Il est difficile de ne pas s’attacher à ce petit groupe. Victime d’un système sur lequel ils ne peuvent agir, ils donnent l’impression de se débattre pour donner un sens à leur vie et développe une vraie volonté de lier une communauté mise au ban de la société. Nous retrouvons aussi dans ces vies ce fatalisme face à un monde qui semble vouloir au mieux les ignorer, au pire les rejeter, se servant de leurs vies pour atteindre leurs propres buts.

Le monde que décrit Christophe est toujours aussi violent, mais nous sentons peut-être plus dans ce titre que dans les précédents cette solidarité des « petits », de ceux qu’ont ne voit pas. La force de l’amitié et l’acceptation de l’autre, dans ce qu’il peut être différent (je pense ici à Valentina) est ce qui donne un peu de positivité au récit.

Il est à noter aussi que la musique jalonne toute l’histoire, des musiques que je vais m’empresser d’aller découvrir tant elles font battre le cœur du récit et le cœur des différents personnages.

Toujours avec beaucoup de talent, Christophe signe ici un roman qui tiendra plus du roman noir, la touche « imaginaire » étant dans l’inexistence de la RIM, de haut vol et je dois avouer qu’après ce troisième roman, qu’il faut compléter avec les différentes histoires sur le site, le sujet semble inépuisable !

Pour ceux qui ne sont pas adeptes de la violence, très présente dans les premières histoires, commencez par Valentina qui a cette avantage d’être plus « soft ».

Je conclurai cette chronique avec une dernière citation du roman, qui montre à quel point Christophe parle de notre monde au travers de la RIM !

Peut-être des fois vous vous plaigniez de votre famille, ils vous font chier, vous vous dites, peut-être des fois vous pensez que moi au moins je suis libre de choisir mon chemin, vous me faites rire, vous êtes comme des gens qui depuis leur maison disent au vagabond, dans la rue, qu’il ne connaît pas son bonheur de dormir dehors, qu’il n’a pas à passer le balai chaque jour, ni à se soucier de trouver des sous pour payer son loyer, allez vous faire foutre…

Au Diable Vauvert (12 janvier 2023)

Cinq ados d’un quartier pauvre de la mégapole fictive de Mertvecgorod, au tournant de l’an 2000. Victimes socialement prédestinées à la misère, l’échec, la mort prématurée, ils noient leur lucidité dans toutes les drogues possibles et une bande-son punk romantique et rebelle. Quand leur voisine Valentina, vieux travesti à la vie mystérieuse, est découverte assassinée, la petite bande décide d’organiser ses funérailles. Mais sa mort révèle une ombre bien plus dangereuse que leur petite délinquance ordinaire.


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