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Feminicid de Christopher Siebert

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Chroniques de Mertvecgorod – 2ème histoire

Je vous ai parlé il y a quelques jours de Images de la fin du monde de Christophe Siebert et de sa République Indépendante du Mertvecogorod. Le premier récit déjà sombre ne verra pas beaucoup d’éclaircie avec ce deuxième opus qui va se concentrer sur une facette des événements pourris qui constituent le quotidien de cet ex-pays soviétique.

Rappel sur le RIM

La fameuse République Indépendante du Mertvecogorod a une histoire qui commence à être remarquable dès l’Antiquité, puisque une peuplade va s’y installer pour petit à petit développer une volonté de domination, déjà ultra-violente et s’appuyant sur des sacrifices humains. D’ailleurs, cette histoire du passé est un des éléments que nous sentons être au coeur des différentes histoires racontées, modélisé dans Images de fin du monde par cette cathédrale à base d’os et dans Feminicid par les rites païens…

La région se développe année après année après siècle pour finir par intégrer le bloc soviétique, transformé par Staline dès 1930 en ville-décharge, ce qui expliquera probablement que l’entrée dans le monde post-soviétique et capitaliste conserve cette aspect de l’économie qui, a contrario, un bien entendu un impact très négatif sur la santé de ses concitoyens, mais c’est un autre sujet. (le détail sur la fiche Wikipedia, mise sur le site de l’auteur).

Bien entendu, la situation politique du pays, qui se revendique être une république, n’est qu’une façade : les forces en présence, issues du passé, restent les marionnettistes d’un gouvernement englué dans des scandales de tout genre.

Bref, nous avions pu découvrir dans le premier roman, qui était d’ailleurs sur la forme du roman, un état où tout est sombre, noir, gluant, pathétique et horrible : l’enquête sur les féminicides qui frappe de façon significative le rajon (quartier) 14 n’est pas plus lumineux.

Un récit sous forme d’enquête

Le récit que nous propose cette fois-ci Christophe est sous la forme de l’enquête d’un journaliste, retrouvé mort d’une balle dans la tête : Timur Maximovitch Domachev. L’enquêteur a réuni l’ensemble des éléments qui devraient permettre de comprendre qui est ou sont le(s) responsable(s) du massacre de jeunes femmes et dans quel objectif. Car au-delà du coupable, il est clair que le cœur de l’histoire reste sur la raison.

L’enquête commence naturellement par la rencontre de personnages qui semblent être des victimes indirectes de ces assassinats. Suite aux meurtres d’une ou plusieurs jeunes femmes, des inconnu·e·s développent une forme étrange de lien avec l’esprit des mortes. Si dans un premier temps, nous nous interrogeons sur la réalité d’une telle « maladie » – appelée blagocestie – les témoignages que relaient le journaliste semblent confirmer que le comportement des « malades » et surtout leur caractère, tend réellement à la compassion. Comme une conséquence, il est fréquent de retrouver des malades de blagocestie sur les lieux des nouveaux assassinats, avec une présence des forces de l’ordre cherchant à les faire partir… Un des leaders du mouvement est d’ailleurs un personnage que nous avons déjà croisé : Nikolaï le Svatoj.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul personnage que nous recroiserons puisque seront mêlé·e·s à l’enquête le clan des quatre, toujours dans les plans les plus nauséabonds, le responsable de la milice, le producteur de cinéma pornographique, …

Nous découvrons au fur et à mesure toutes les perversions dont sont capables les puissant·e·s, au détriment des populations les plus fragiles et sans aucun espoir de justice tant ils et elles sont protégé·e·s.

Pourtant, le journaliste va poursuivre son enquête, et nous faire découvrir avec plus de profondeur cette étrange société, qu’on voudrait n’être que fictive mais qui ne l’est pas tant que ça : l’auteur en cite d’ailleurs deux :

Deux histoires que je ne connaissais pas mais qui montre à quel point l’humanité n’est finalement pas si loin de l’horreur que décrit Christophe.

Un univers qui se construit et s’enrichit

J’avais déjà été épaté par Images de la fin du monde et me demandait comment et si l’auteur serait en mesure de faire au moins aussi bien : il a fait mieux. Il a réussi à compléter l’histoire qu’il avait faite dans son premier récit, un récit qui s’appuie sur finalement ce qui était un bruit de fond, lui donnant une réalité et une puissance qui s’intègre parfaitement dans le paysage du RIM que nous imaginions.

L’auteur a construit et continue de construire son pays, complexifiant les intrigues, nouant entre eux des éléments que nous pensions distants, nous faisant découvrir une fresque de plus en plus effrayante, de plus en plus noir… et de plus en plus humaine. Nous sentons aussi un fond d’anormalité, ou en tout cas l’espérons pour donner une excuse ou tout au moins des circonstances attenuantes à ces hommes et femmes déshumanisés… Il semble que la Roche Noire, que nous découvrons, et qui semblent être liée à l’histoire ancestrale de la ville, ne soit pas qu’une simple roche, mais j’imagine que nous le découvrirons dans les prochains récits.

Je ne sais pas comment fait Christophe pour maintenir cette cohésion, probablement que les trames historiques, les pages wikipedia fictives et suite d’événements lui permettent de ne pas perdre le nord, mais le résultat est tout bonnement impressionnant.

La capacité aussi à construire le récit dans différentes formes rend une dynamique et une nouveauté qui permettra à l’auteur de nous proposer encore de nombreux récits dans cet univers : de la galerie de portraits d’Images de la Fin du monde, nous passons au rendu d’une enquête, mêlant interview, documents d’archives mais aussi articles de presse.

Feminicid confirme le talent de l’auteur mais surtout l’apparition d’un cycle sombre autant qu’atypique qui vous fera réfléchir sur la nature humaine et sa noirceur naturelle.

Au Diable Vauvert (16 septembre 2021) – 384 pages – 20 € – 9791030704464
Couverture : Olivier Fontvieille

Voici la première édition non-clandestine du manuscrit de Timur Maximovitch Domachev, journaliste trouvé mort d’une balle dans la tête le 20 février 2028, à Mertvecgorod, alors qu’il enquêtait sur des féminicides en série.


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