Les éditions du Bélial nous propose de redécouvrir le recueil de nouvelles Axiomatique de Greg Egan. Considéré comme un auteur majeur de Science-Fiction, l’écrivain australien nous transporte dans des mondes variés, avec une dominante scientifique importante.
Peut-être est-il déjà d’expliquer ce que signifie Axiomatique, l’histoire d’être moins ignares en se couchant ce soir 🙂 : Axiomatique désigne quelque chose qui se fonde sur des principes établis ou des posturats, rendant cette chose évidente voire absolue (non discutable).
On notera que les nouvelles suivent un regroupement cohérent dans ce beau recueil à la couverture soignée que l’on doit à Nicolas Fructus.
Je rendrais aussi hommage à l’ensemble des traducteurs Quarante-Deux, Francis Lustman, Sylvie Denis, Francis Valery car la tâche n’a pas du être simple, compte tenu de la complexité de certaines des nouvelles.
Et si on parlait du temps ?
Le temps est une dimension qui est souvent abordée dans les récits de Science-Fiction… Greg Egan nous propose dans ce recueil deux nouvelles, aux approches radicalement différentes, pour adresser ce sujet. Dans la première nouvelle du recueil, L’Assassin infini, nous abordons le temps sous l’angle de l’ensemble des possibles, ou en tout cas, c’est ce qui m’est resté à l’esprit… Pas très sûr de ma compréhension ? Pas étonnant tant le récit est complexe et pourrait vous faire définitivement abandonner un recueil qui pourtant mérite vraiment le détour. Toute cette nouvelle tourne autour d’une chasse au mutant qui, grâce à une drogue, permet de voyager dans les différents univers. Le fond est intéressant et pour un peu que vous fassiez l’effort, vous trouverez ce questionnement mathématique, s’appuyant sur le fait d’avoir ou pas tué votre cible est jubilatoire.
On enseigne l’histoire du prochain millénaire à l’école : la fin des famines et des maladies, des nationalismes et des génocides, de la pauvreté de la bigoterie et de la superstition.
Lumière des événements
La nouvelle Lumière des événements a un axe différent : le futur est désormais prédictible grâce à la découverte de la temporalité inversée. Je vais passer mon tour pour vous expliquer ce principe inventé par l’auteur mais, pour faire simple, cette découverte permet à tout à chacun de connaître et donc d’anticiper ce que sera notre vie. La difficulté, et vous le comprendrez très vite, est de savoir où se situe le libre-arbitre de l’humanité, voire de nous questionner sur la fatalité de nos existences… Pas forcément la nouvelle la plus joyeuse du recueil…
La famille, le couple et la science
Plusieurs nouvelles vont tourner autour de la science et de la famille, la première concernant la filiation avec Eugène… Un couple issu des classes les plus pauvres peut, grâce à un gain à une loterie, avoir l’enfant que la nature ne leur permet pas d’avoir. Alors qu’ils se rapprochent du plus grand spécialiste du domaine, les possibilités qui s’ouvrent à eux sont énormes. Les questionnements qui sont mis en avant ici sont intéressants et la fin est tout simplement géniale, même si je dois avouer qu’un passage en particulier m’interpelle sur la position de l’auteur quand à l’homosexualité (ci-dessous). Un point qui m’a largement dérangé…
Les preuves sont sans équivoque : tout est déterminé au stade embryonnaire par l’interaction de plusieurs gènes. Maintenant, je n’ai absolument rien contre les homosexuels, mais cette condition n’a cependant rien d’une bénédiction. Oh, les gens peuvent toujours brandir des listes de génies homosexuels célèbres, mais c’est un échantillonage biaisé : on n’entend bien sûr parler que des réussites.
Eugène
Après un intermède sur la modification de corps pour répondre à des enjeux artistiques avec La Caresse, nous voici replongé·e·s dans un questionnement autour de bioéthique avec Sœurs de sang, nouvelle dans laquelle deux sœurs sont atteintes d’un mal héréditaire et suivront un traitement qui n’aura pas le même effet à la plus grande surprise de l’une d’elle. Cette nouvelle sera aussi l’occasion de s’interroger sur la nécessaire place de la position politique dans la recherche médicale et des dérives possibles lorsqu’un des deux manquent à ses enjeux.
Détournement de la science une nouvelle fois avec La Morale et le Virologue, une nouvelle là encore qui questionnera sur la science et ses limites, notamment lorsque la religion, et le fanatisme qui peut en découler, s’y mêlent… Le travail de notre scientifique est là pour répondre à la volonté (de son point de vue) de purifier le monde en rendant homosexualité et adultère mortels…
Dernière nouvelle que je mettrai sur cette thématique, un amour approprié nous plonge dans une grossesse imposée à la femme du couple en vue de sauver son mari. Cela mettra aussi en lumière la question d’une société libérale jusque dans la santé. Un des nouvelles que j’ai trouvée la plus intéressante !
La science pour aider à se connaître
Et cela à deux niveaux. dans Axiomatique, des implants vont permettre aux humain·e·s de changer leurs caractères et de pouvoir interagir contre leur nature avec les autres. Si Mark veut utiliser cette technologie, c’est pour aller à l’encontre de sa nature et se venger de la mort de sa femme. Si la nouvelle ne montre pas vraiment un changement réellement vers les autres, il axe sur les impacts sur l’esprit même de notre narrateur.
Une idée que nous retrouvons aussi d’une certaines façons dans En apprenant à être moi où une technologie a la capacité d’apprendre à être la personne dans laquelle elle est (sous forme de cristal) pour pouvoir prendre le relai plus tard ou encore dans Plus près de toi, nouvelle dans laquelle un couple s’adonne à de nombreuses expériences pour s’approcher encore plus de la connaissance de l’autre.
Au-delà de ces nouvelles qui permettent d’identifier des thématiques communes, les autres nouvelles complètes avec beaucoup de brio un recueil de grandes qualités qui vous permettra de découvrir cet auteur majeur : Le Coffre-fort vous fera découvrir un esprit qui saute de corps en corps, quand Le Point de vue de plafond abordera la désincarnation ; la philosophie s’invitera aussi dans La Marche ou Orbites instables dans la sphère des illusions ; un désir d’enfant sur base de promotion sera le cœur de Le P’tit mignon.
Bref, un recueil riche et entraînant : ne vous laissez pas décourager par les deux nouvelles un peu plus “hard” en termes de lecture à savoir L’assassin infini et Vers les ténèbres…
Le Bélial (10 mars 2022) – 464 pages – 23,90€ – 9782843449987
Traduction : Quarante-Deux, Francis Lustman, Sylvie Denis, Francis Valery (Australien)
Couverture : Nicolas Fructus
Des drogues qui brouillent la réalité et provoquent la conjonction des possibles.
Des perroquets génétiquement modifiés qui jouent En attendant Godot.
Des milliardaires élaborant des chimères, mi-hommes mi-animaux, par pure passion esthétique.
Des femmes qui accueillent dans leur ventre le cerveau de leur conjoint le temps de reconstruire son corps.
Des enlèvements pratiqués sur des répliques mémorielles de personnalités humaines.
Des fous de Dieu inventant un virus sélectif reléguant le SIDA au rang de simple grippe.
Des implants cérébraux altérant suffisamment la personnalité pour permettre à quiconque de se transformer en tueur…
2 réponses à “Axiomatique de Greg Egan”
Merci pour cet avis enthousiaste sur ce recueil ! En effet, il commence par une nouvelle assez ardue, mais après, ça passe 😉
Une remarque concernant « Eugène » et le passage qui vous semble problématique : il s’agit là de l’opinion d’un personnage, qui ne reflète très probablement pas du tout celle de l’auteur. Sur le sujet, je vous suggère la lecture de « Cocon » (au sommaire du recueil “Radieux”), où Egan aborde le sujet de l’homosexualité de manière plus frontale et sensible.
Bonjour Erwannn,
Effectivement, le recueil est plutôt accessible même si ce n’est pas forcément celui que je recommanderai à un nouvel entrant dans la SF :).
En ce qui concerne la citation d’Eugène, je ne me permettrai pas de juger l’auteur à l’aune d’un propos de son personnage. Elle m’a surprise car n’apportant rien à mon sens à la nouvelle.
Merci pour votre passage !