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Immobilité de Brian Evenson

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Immobilité est le deuxième récit de Brian Evenson que je lis après L’Antre dont je vous ai parlé il y a quelques temps… Et j’ai trouvé certaines similitudes entre les deux récits, comme si les deux histoires se faisaient écho…

Un monde apocalyptique et une mission à accomplir

Tout commence par le réveil d’un homme d’une cryogénisation datant de plusieurs (dizaines d’) années. Le technicien en charge de l’opération mène les opérations pour remettre celui qui sera Josef Horkaï dans les meilleures dispositions pour la mission qu’il aura à accomplir. C’est au travers de ses premiers souvenirs que nous apprendrons que la Terre a subi un événement terrible, le Kollaps, qui a transformé la nature en un vaste territoire totalement désolé. Au-delà d’une nature ravagée, c’est surtout un lieu devenu dangereux, qu’on suspecte rapidement d’irradiation au vu des symptômes décrits.

Toujours est-il que notre nouveau réveillé voudrait en savoir plus sur ce qu’il est et qui il est / ce qu’il est. La relation avec la technicien se tend avant que d’autres survivants ne se présentent en lui, mené par Rasmus. Parmi les questions qui restent en suspens, en plus de la raison de sa cryogénisation, celle de la cause de son paraplégie.

Toujours dans le brouillard quand à sa propre identité, Josef se voit confier la mission d’aller chercher un tube dans une autre communauté de survivants, portés par deux “mules”, entendez par la deux hommes dont la seule raison d’être est d’accomplir leur destin, qui est d’emmener Josef au péril de leur vie jusqu’à sa destination.

  • Vous êtes capable de survivre, fit Qanik. C’est tout ce que je sais.
  • Et comment le sais-tu ?
  • Parce que vous n’êtes pas encore mort.

La question de l’identité

Dès le départ, nous comprenons que le sujet de l’identité sera central au récit. Josef ne sait pas grand chose sur qui il est et ce qu’il est. Ses réactions, notamment face au technicien, dénote une tendance à la violence. Sa rencontre avec les Rasmus et les deux O (Oleg et Olaf) confirmeront qu’il a quelque chose de particulier, qui en même temps est indispensable pour la mission et les inquiète…

Et dès son départ de ce qui ressemble à un bunker, il se verra confirmer sa particularité par le fait que contrairement à ses deux mules (Qanik et Qatik), il n’a nul besoin de combinaisons antiradiations. Josef en plus de se poser la question de ses propres personnalité et identité, se questionnera sur cette organisation, sur ces ruches puisque le terme est lâché à plusieurs moments, où la vie de l’individu semble s’effacer au profit de la collectivité.

Il prend donc la route comme on lui a demandé, tentant de joindre une deuxième ruche semblant tenir en son enceinte le secret pour permettre à l’humanité de survivre, espérant dans ce temps de voyage mieux comprendre ce monde et, pourquoi pas, retrouver une partie de sa mémoire.

Mais pourquoi l’humanité devrait-elle absolument se renouveler ? Peut-être est-il temps qu’elle s’interrompe ?

Des questionnements suivent aux questionnements

Ce premier roman de l’année aux éditions Rivages m’a passionné. Tout comme son personnage principal, nous allons découvrir au fur et à mesure le monde et la façon dont il s’est reconstruit suite à un événement majeur. La question de l’identité est comme je le disais centrale mais aussi celle de la confiance. Car, malgré tout, Josef doit se référer à ce que lui dit Rasmus, personnage dont nous ne savons pas grand chose si ce n’est qu’il “commande” la ruche où était cryogénisé notre “héro”.

L’identité individuelle se retrouve aussi au sein des échanges des 2 mules qui ne semblent pas exister en tant qu’individu et n’ont d’existence que pour le travail qu’ils ont à effectuer ; c’est aussi le sentiment que nous avons en découvrant la deuxième ruche où nous sentons une critique très forte de la dimension spirituelle (le passé d’Evenson doit y être pour quelque chose aussi).

Et tout au long de ce récit vraiment original, les questionnements font suite aux questionnements : Josef s’interroge sur ce qu’il est et sur le bien-fondé de la mission qu’il exécute sans en connaître les tenants et les aboutissants. Il essaie aussi d’éveiller les esprits de Qatik & Qanik, de comprendre pourquoi l’humanité devrait être sauvée et sous quelle forme.

Chaque échange entre les différents personnages (qui ne sont pas très nombreux) est l’occasion de s’interroger sur notre individualité, sur notre perception du monde et sur notre impact. Certaines des conclusions sont douloureuses, l’ensemble n’étant pour le moins pas très optimiste. Pour autant, j’ai dévoré ce roman, percutant et bien construit.

Ce genre de chose arrive, pensa-t-il, son esprit s’égarant dans d’étranges pensées, puis on se défend d’avoir jamais voulu ça, on prétend que c’était un accident, que ça n’arrivera plus. Jamais plus, disons-nous : Dieu ne le permettrait pas. Nous disons non à la torture, et nous trouvons une raison pour torturer au nom de la démocratie. Nous disons non à des milliers de morts par l’explosion d’une seule bombe lâchée sur une ville étrangère sans défense, puis nous recommençons, avec cent mille bombes cette fois-ci. NOUS disons non à des millions de morts dans des camps d’extermination, puis nous revenons à la charge, avec es millions de morts dans des goulags. L’Homme est un poison. Peut-être vaudrait-il mieux que nous n’existions pas du tout.

Je reste curieux de savoir dans quelle mesure l’univers d’Immobilité se raccroche à celui de l’Antre. Les binômes à la première lettre partagée (Qanik / Qatik, Olaf / Oleg) font étrangement écho, tout comme ce monde ravagé qui sont présents dans les deux récits.

Toujours est-il que l’idée de faire (re)découvrir l’auteur dans des collections françaises est excellente… Même si le roman date en VO de 2012, il n’est clairement pas démodé.

Rivages (04 janvier 2023) – Imaginaire – 260 pages – 22 € – 9782743658458
Traduction : Jonathan Baillehache (Etats-Unis)
Titre Original : Immobility (2012)
Couverture : D.R.

Lorsque vous ouvrez les yeux, vous ne savez plus qui vous êtes ni d’où vous venez. Vous savez que le monde a changé, qu’une catastrophe a détruit tout ce qui existait, et que vous êtes paralysé à partir de la taille. Un individu prétendant être votre ami vous dit que vos services sont requis. Vous voici donc transporté à travers un paysage de ruines, sur le dos de deux hommes en combinaison de protection, vers quelque chose que vous ne comprenez pas et qui pourrait bien finir par vous tuer. Bienvenue dans la vie de Josef Horkaï.


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