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Entretien avec Etienne Cunge

Sorti il y a pratiquement un an maintenant, Symphonie atomique, paru aux éditions Critic, nous projette quelques années dans notre futur, à un moment où les conséquences climatiques rendent la vie compliquée.

Alors que nous vivons une succession de canicules, ce livre sonne comme un avertissement, rencontre avec son auteur, Etienne, qui nous en dit un peu plus…

Bonjour Etienne, pourrais-tu te présenter ainsi que ton parcours ?

j’ai 49 ans, je vis à Grenoble où j’ai grandi ce qui a contribué à me donner une forte sensibilité environnementale dès le plus jeune âge de par la présence des montagnes. Dès le milieu des années 80, alors que j’étais adolescent, j’ai saisi de manière intime le fait que notre activité menaçait l’environnement et que cette situation était d’une part suicidaire et d’autre part éthiquement inacceptable à mes yeux. j’ai donc pour coutume de dire que je suis éco anxieux depuis 1986.

J’ai orienté mes études vers la biologie, à la fois par intérêt personnel et pour travailler dans ce domaine. A la fin des années 90 j’ai commencé à travailler dans une petite ONG qui visait à sensibiliser le public au développement durable et qui portait des projets de purification d’eau en zone rurale en Afrique de l’Ouest.

Au début des années 2000 nous avons proposé une activité de conseil aux entreprises pour l’environnement mais cela relevait d’une activité commerciale. J’ai décidé de me lancer dans cette voie et j’ai intégré des sociétés privées. Depuis, j’exerce le délicat métier d’équilibriste consistant à inclure la dimension environnementale dans les sociétés ou les projets d’ingénierie d’aménagement du territoire – avec plus ou moins de succès. J’ai également réalisé beaucoup de formations sur ces sujets.

En parallèle j’ai toujours souhaité écrire, en particulier pour partager mes connaissances et réflexions environnementales de manière ludique avec le plus grand nombre. Je m’y suis consacré de manière engagée et constante depuis 2014.

Je te découvre au travers de ton roman Symphonie Atomique mais ce n’est pas ton premier roman puisque tu as déjà signé Antarcticas, déjà sur une thématique climatique et Légendes d’Agrégats, qui n’est pas sur une thématique climatique chez Critic… Tu as une volonté d’alterner entre les thématiques ?

Se consacrer à l’environnement est très pesant au plan émotionnel et très déprimant. Il n’y à guère de bonnes nouvelles dans ce domaine et l’on se confronte tous les jours au pouvoir de l’argent, à la logique du business as usual et à l’ignorance engendrant souvent une forme de mépris. La dissonance cognitive est une menace constante entre ce qu’il faudrait faire, ce que l’on peut faire et ce que l’on fait vraiment. Ecrire sur ces sujets est aussi éprouvant ; donc, en effet, dès mon premier roman, j’ai décidé d’alterner les genres entre une anticipation réaliste comme Antarcticas ou Symphonie atomique et des univers plus imaginaires comme Légendes d’Agrégats. Je pense que c’est indispensable à ma santé mentale et aussi un grand plaisir de prendre des libertés avec le réel.

Pour parler franchement, quand on lit ton roman et qu’on regarde ton parcours, on est inquiet car la thématique de ton roman est clairement dans ton domaine de compétence métier… Alors, avons- nous des raisons d’être inquiets ?

Pour moi, depuis longtemps, il y a toutes les raisons d’être très inquiet dans le sens où le monde va changer dans un sens défavorable à l’humanité. En revanche la vie continue quoi qu’il arrive et l’humanité a traversé la peste et la guerre sans cesser d’être elle-même. Je redoute donc le siècle de transition, à long terme je suis plutôt optimiste. Par malheur, beaucoup des éléments d’anticipation inclus dans Symphonie atomique – que j’ai écris en 2019 et qui semblaient impossible ou très lointains – se produisent déjà en 2022 (incendies, sécheresses inégalées, guerres, menace nucléaire) avec donc beaucoup d’avance même sur mes prévisions pourtant plus pessimistes que la moyenne. Je suis d’autant plus inquiet que la réalité des conséquences du dérèglement environnemental causé par l’activité humaine échappe à la plupart. Nous ne sommes donc, individuellement et collectivement, pas prêts à y faire face et en particulier à accepter les sacrifices que la situation exige de fait pour préserver un monde où l’humain puisse vivre dans des conditions acceptables. Beaucoup de lecteurs soulignent le côté ultra crédible de l’univers de Symphonie atomique, c’est tout simplement parce que c’est un exercice de prospective. J’y partage la vision du monde qui me semble la plus probable au regard de mon expertise technique et de mon expérience du fonctionnement politique, économique et social. Ce partage était un de mes buts car les discours scientifiques et des responsables environnementaux sont toujours très cadrés, mesurés pour être incontestables, policés et, au final, ne permettent pas au grand public d’appréhender la réalité quotidienne que ces changements impliquent probablement.

Je crois qu’il est indispensable aujourd’hui d’être un peu éco anxieux. Je pense en effet que l’émotion est plus susceptible d’engendrer l’action que l’intellect. Celui-ci sert à rendre l’action cohérente avec nos objectifs mais la connaissance n’engendre pas forcément l’action. La meilleure preuve en est que tout le monde sait ce qu’implique le changement climatique mais n’agit pas pour autant. À l’inverse, tous les écoanxieux cherchent à minimiser leurs impacts. Nous allons devoir faire face à une situation dramatique partout dans le monde et, dans un tel contexte, conserver nos valeurs démocratiques et humanistes sera de plus en plus difficile; et d’autant plus que nous ne l’aurons pas anticipé. Or quand on voit les réactions à toute forme de réduction de nos libertés (de consommer) il y a de quoi être soucieux. La liberté, pour moi, ce n’est pas de pouvoir faire du ski en été ou d’aller bronzer sur une plage à l’autre bout du monde. La liberté, c’est la liberté de conscience, de parole, de religion et une justice qui s’applique de manière égale pour toutes et tous. Je pense que la situation implique de reprendre conscience de la brutalité du réel et de la vie que quelques décennies d’opulence et de facilité ont éloigné de nous, du moins en occident. Rien n’est acquis et moins encore lorsque les ressources viennent à manquer. Avoir conscience de l’ampleur du changement et de ses conséquences pour s’y préparer m’apparaît indispensable pour réduire ses conséquences et non les aggraver.

Si on résume la situation écologique, on pourrait résumer à dramatique. Tu parles des différentes crises climatiques : réchauffement climatique, montée des eaux mais il y en a une dont je n’avais pas entendu parler : la rupture du cycle de la matière organique : tu peux nous en dire plus ?

Je crois que cette idée est en effet nouvelle. Du moins ne l’ai-je jamais entendu avant de l’imaginer. Je cherchais à faire comprendre la notion de service écosystémique au lecteur. Cette notion est complexe, elle vise à mesurer et chiffrer le coût de la destruction des écosystèmes pour les intégrer aux analyses d’impact des projets. Par exemple, les zones humides épurent les eaux, donc on peut calculer combien coûterait de remplacer une zone humide par un station d’épuration. Mais ce qui est vraiment important c’est que beaucoup de personnes ignorent la plupart des mécanismes naturels qui nous permettent de vivre sur cette planète et qui sont ces services écosystémiques. De plus, la disparition actuelle des insectes et autres créatures comme les vers de terres, et en particulier des plus méprisés d’entre eux me tenait à cœur. C’est ainsi que j’ai imaginé la cinquième plaie, la rupture du cycle de la matière organique. c’est-à-dire du processus transformant les feuilles mortes, les excréments et les cadavres en sols fertiles. Idée qui, par le choc de l’image qu’elle provoque, permet à n’importe qui de saisir la notion de service écosystémique et l’importance de chaque composante des écosystèmes et de leur intégrité. Il est malheureusement très possible que ce phénomène se produise à un moment donné si nous poursuivons sur notre lancée. Or il n’est pas simple du tout et encore moins rapide de réorienter notre organisation socio-économique sans créer de catastrophe humaine immédiate.

La situation politique est aussi resserré finalement autour de 4 grandes puissances : Etats-Unis, Chine, Fédération de Russie et Europe avec une gestion de la crise très différentes pour chacune… Finalement, seule l’Europe semble prendre la mesure et les mesures pour redresser la barre : tu y crois vraiment ou s’agit-il d’un vœu pieu que l’Europe soit l’exemple ?

A vrai dire, c’est entre les deux. Je voulais proposer dans le roman des solutions sociétales envisageables pour contribuer à une organisation socioéconomique écoresponsable. L’Europe me semble le meilleur candidat mais peut-être est-ce du chauvinisme ? Dans le roman en tous cas je n’avais pas le choix car c’est là que je pouvais développer ce sujet. En tous cas, l’hypothèse d’une Europe politiquement et militairement unifiée dont j ai fait le pari semble se dessiner au regard de l’émergence de menaces redevenues visibles – mais jamais disparues. J’espère que ce contexte n’éjectera pas l’environnement des priorités politiques européennes et des peuples. Il faut enfin souligner que cette Europe en Transition imaginée dans le roman reste très ambiguë. Est-ce une dictature verte ou une démocratie responsable s’interroge un des personnages (et l’auteur). Dans la mesure où les citoyens ont choisi cette voie, cela semble pencher en faveur de la démocratie ; mais néanmoins très éloignée de ce que nous entendons souvent derrière ce mot (et notamment la liberté de consommer tout et n’importe quoi si l’envie m’en prend et que j’en ai les moyens sans considération pour ses conséquences environnementales et donc in fine sociales).

Si on rentre maintenant dans le détail, le nucléaire a pratiquement disparu, cantonné dans l’espace et une attaque coordonnée met à mal l’équilibre mondial. On suspecte très rapidement une puissance tierce et pas nécessairement étatique d’en être la cause… Doit-on en déduire que tu penses que les groupes privés sont ceux qui dirigent d’une certaine façon le monde ?

Depuis le début du millénaire, certains hommes d’affaires ont acquis une puissance financière digne de grands États. Ce qui en fait des acteurs capables d’interagir au même niveau que les nations mais avec beaucoup moins de contraintes et beaucoup plus de réactivité. Ils contribuent donc à diriger le monde de manière indiscutable même si les États restent des acteurs légitimes et éventuellement capable de reprendre la main sur les acteurs privés si puissants soient-ils ; à condition d’en avoir la volonté et d’en payer le prix, en général économique. Ces deux dernières conditions me semblent rarement réunies pour l’instant.

Les femmes et hommes – en tant qu’individus – sont pour moi la vraie réussite de ton récit : ils sont ceux qui vont faire la différence dans le récit, de vrai.e.s héro.ïne.s. Notre action individuelle est-elle notre planche de salut ?

Ce point particulier que tu soulèves c’est mon utopie à moi et ma forme d’optimisme. Je crois que la capacité individuelle à rester droit dans ses bottes; à conserver ses valeurs humanistes quelles que soient les catastrophes nous accablant et la volonté de les mettre en oeuvre, ne serait-ce que pour conserver notre intégrité et notre dignité peut changer la donne collective ; à condition que suffisamment de personnes à tous les niveaux de la société s’y attèlent, quand bien même cela leur coûterait leur carrière, leur confort ou même leur vie. Et dans ce domaine je suis optimiste : je suis convaincu que bon nombre d’êtres humains répondent à ses critères. Par exemple, les expériences menées pour déterminer si les opérateurs déclencheraient le feu nucléaire sur un ordre ont montré que l’immense majorité s’y refusait.

On sent dans ton récit que tu n’es pas très optimiste sur notre devenir : comment vois-tu les prochaines années ?

Je vois des années difficiles, climatiquement, économiquement, socialement. Le monde que nous connaissons n’existe déjà plus et celui en devenir se dessine brutal. La décennie à venir va transformer la crainte du changement climatique et les stratégies pour l’éviter en la nécessaire adaptation à la transformation rapide des conditions de vie sur terre. Nous allons perdre beaucoup de ce que nous jugions acquis mais j’espère que nous redécouvrirons aussi de bonnes choses oubliées et en développeront de nouvelles, en particulier dans les liens sociaux et le collectif mais aussi dans des plaisirs plus simples et peut être plus authentiques. La question déterminante est de savoir si nous subirons le changement en luttant de toutes nos forces pour conserver nos modes de vie ou si nous lutterons en conscience et collectivement pour affronter avec solidarité ces défis. Cette seconde hypothèse suppose un certain rééquilibrage dans nos psychologies et modes de vie entre satisfaction individuelle et intérêt collectif. C’est d’ailleurs un des éléments que je développe dans le fonctionnement de l’Europe en Transition dans Symphonie atomique.

Au niveau de la forme, cette alternance de point de vue dynamise et donne en même temps ce sentiment d’urgence. La forme de l’alternance des personnages et d’un mode plus thriller était-elle une évidence pour toi ?

Oui c’était une évidence. Je voulais écrire un thriller qui prenne le lecteur, l’aspire dans l’intrigue tout en le faisant réfléchir à l’aspect du monde de demain et à ses conséquences psychologiques et sociales au travers des personnages.

As-tu déjà une idée pour ton prochain roman ? Sur la même thématique ?

Oui, mon prochain roman est finalisé dans sa version initiale. Je suis parti sur un genre très différent puisque c’est de la fantasy et que, de plus, on y suit un personnage principal (forme rédactionnelle recourant au “je”). Ce choix répond à plusieurs enjeux. Je voulais écrire et décrire un monde où la nature va bien après Symphonie atomique ; je souhaite aussi me renouveler pour mes lecteurs même si cela comprend une large prise de risque d’image et commercial ; enfin, j’ai toujours voulu écrire une histoire de dragon. J’espère avoir trouvé un angle original pour se faire. Et puis certains lecteurs d’Antarcticas et de Symphonie m’invitaient à éviter de pronostiquer le futur vu sa tendance à se réaliser. J’ai donc écrit une histoire plus légère.

Je te laisse le mot de la fin

Merci pour cette interview et ta chronique du roman. Bonne lecture et n’oubliez pas, concernant l’éco anxiété, que la différence entre le remède et le poison, c’est la dose.


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