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L’architecte de la vengeance de Tochi Onyebuchi

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Tochi Onyebuchi est un ancien juriste spécialisé en droits civiques, à qui l’on doit déjà plusieurs romans jeunesse. Avec L’Architecte de la vengeance, l’auteur nous plonge dans une novella pleine de fureur et de colère, aussi violente que le traitement infligée aux afro-américains.

Une novella pleine de colère

Dès les premières pages de cette novella (car oui, nous sommes bien plus proche de la novella que du roman, comme nous le confirme en introduction Gilles Dumay), nous sentons toute la colère contenue dans le récit : les premières phrases sont courtes, sèches et la violence déjà présente.

La première rencontre que nous avons avec Ella se situe dans un bus scolaire, déjà confrontée à la violence, tant physique que verbale. Et tout cela semble normal dans ce monde où être noir est un un risque pour sa vie.

Nous suivons deux enfants, un frère et une soeur. Ella est donc une jeune afro-américaine, qui habite en Californie. Depuis sa plus tendre enfance, elle est confrontée à cette violence, aux gangs, au racisme systématique et surtout à l’hypocrisie de la population blanche qui se masque le visage pour en pas avoir de quelle façon toute une partie de la société américaine est traitée. La particularité surtout d’Ella est cet étrange don qui lui permet de connaître le futur, en naviguant dans leur esprit, ce qui lui donne d’autant plus la capacité de percevoir les drames qui vont se passer. Ce don lui permet aussi de faire, si elle le souhaite, bouillir le cerveau, ou pire si l’envie lui en prenait.

Kev, son frère est né plus tard, et il est né alors même que la justice américaine libérait les policiers responsables du décès de Rodney King. Il découvrira Harlem, et ne connaîtra pas un meilleur environnement que celui de sa sœur. Rapidement, le jeune homme se retrouvera en prison pour un cambriolage. Et même la situation en prison montrera à quel point le traitement n’est pas le même.

Aucune surprise me direz-vous ? Le récit de Tochi Onyebuchi va pourtant montrer cet état de fait avec beaucoup de justesse, comme un cri lancé à la gueule du monde.

L’injustice raciale aux Etats-Unis

Le récit va enchaîner les situations – réelles ou non – qui montrent l’injustice sociale aux Etats-Unis. Nous y retrouvons bien sûr les grands “moments” de combat, comme les émeutes de 1992 ou encore les événements de 2014 où les morts de plusieurs afro-américains dont Laquan McDonald qui seront les précurseurs de manifestations anti-racistes dans le pays de l’Oncle Sam.

Nous voyons aussi et surtout dans le récit de Tochi Onyebuchi, cette violence quotidienne, la possibilité qu’un enfant meurt d’une balle dans la tête, par erreur, victime collatérale d’une guerre des gangs. C’est aussi l’humiliation que Kev va subir, jour après jour, durant son emprisonnement pour un cambriolage qui va le pousser à rester beaucoup plus longtemps emprisonné que ce qu’il devrait.

Nous voyons page après page les violences policières à l’égard des populations, avec une impunité qui rend la distance entre force dite de l’ordre et la population de plus en plus importante ; on voit de quelle façon, les jeunes peuvent se laisser entraîner dans une forme de haine, en réaction à la haine qu’ils reçoivent et nous nous interrogeons sur la capacité à pouvoir sortir d’un modèle aussi peu équitable. Dire que ce n’est qu’une vision tronquée ou partisane serait une facilité : l’auteur connait son sujet, lui qui est un ancien juriste spécialisé en droits civiques. D’ailleurs, cette novella est complétée par deux articles qui nous permettent de mieux comprendre la réalité.

Un espoir pour l’avenir ?

C’est la seule question finalement qu’on aimerait savoir : y-a-t-il un espoir que la situation s’arrange ?

L’Architecte de la Vengeance semble ne pas croire en une amélioration sans passer à une étape plus violente, où il s’agira de renverser les tables et de hurler que cela suffit. Bien entendu, cette solution qui transforme d’une certaine façon les victimes ou bourreaux dérangera. Pourtant, nous voyons aussi au travers du texte que c’est la seule solution qui semble restée après une vie de violences subies et d’humiliation.

Difficile de rendre hommage au récit au travers de quelques lignes… Le seul moyen de comprendre cette colère et de lire L’Architecte de la vengeance… et de voir comment encaisser cette réalité et de contribuer à la changer.

Albin Michel Imaginaire (Mars 2022) – 186 pages – 17,90€ – 9782226461452
Traduction : Anne-Sophie Hommasel (Etats-Unis)
Couverture : Aurélien Police

Ella a un don. Quand elle regarde un enfant, et avant que son nez ne se mette à saigner, elle sait s’il va devenir infirmier en gériatrie ou s’il va mourir avant l’âge de onze ans, étendu sur un trottoir, les yeux vers le ciel, fauché par l’incompréhensible guerre des gangs qui ensanglante son quartier depuis toujours. Pirus, Crips, Bloods… la violence a tant de noms à Compton.

Quand Kevin, son frère, voit le jour en 1992, pendant les émeutes provoquées par l’acquittement des policiers impliqués dans l’affaire Rodney King, Ella sait déjà que sa famille va déménager de la Californie pour Harlem et qu’elle tiendra bientôt dans sa main sa première boule de neige. Mais quitter l’endroit d’où l’on vient ne permet pas toujours d’échapper à la violence et à l’injustice.

Ella a un don ; pour elle, pour Kevin, pour l’Amérique, sans doute le temps est-il venu de l’utiliser.


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