Nous poursuivons notre parcours de cette rentrée littéraire, côté imaginaire, avec le nouveau roman de Li-Cam, aux éditions La Volte, Visite. Nous avions déjà pu parler de sa novella Résolution parue là aussi à la Volte, et avions même pu échanger sur un jeu de questions / réponses (Interview toujours disponible).
Ce nouveau roman demandera de l’ouverture d’esprit et un petit effort, mais je peux vous garantir que vous ne le regrettez pas…
Trois personnages et une planète…
Il serait un peu simple de résumer ainsi l’histoire que nous propose Li-Cam, bien entendu. Pourtant, nous allons suivre durant les quelques 350 pages, différents personnages qui ont à faire à un événement spatial étonnant. L’autrice nous projette de quelques années dans le futur, dans un monde post-catastrophe naturelle, qui a du se réinventer pour permettre à l’espèce humaine de survivre. Parmi les changements majeurs que la société a subi, le rapport au vivant, tout comme l’organisation politique, s’est recentré autour des écosystèmes et de leur survie, ce qui se traduit aussi et notamment sur une évolution de la langue, reflet d’un changement profond des mentalités.
Il est des événements qui bouleversent le cours du temps, qui mettent en péril le futur, l’idée même d’avenir et qui perturbent le passé, ou du moins le souvenir que nous en avons. Des moments où l’inaction paraît impossible alors que plis rien ne peut advenir en nous comme dans le monde.
La société s’appuie donc sur des écoumes et sur la contribution des différent·e·s citoyens et citoyennes pour garantir la pérennité de la planète. Mais ce nouvel équilibre pourrait être bousculé par l’apparition d’une nouvelle planète, Sitive, au cœur du système solaire. L’origine de cette planète, ou son existence non détectée, et ce que signifie cette apparition inquiète de par le monde. Une mission est envoyée sur place pour tenter de percer le mystère. L’équipe sur place, que nous suivrons au travers du regard d’Anna, va aller de découverte en découverte, la planète semblant affecter dans le même temps l’équipage mais à distance plus lointaine l’ensemble des habitants de la Terre, de façon plus ou moins marquée. L’équipe sur place va tenter de comprendre le fonctionnement de la planète et le comportement de ces étranges arbres qui la jalonnent, tout en respectant le nouvel état d’esprit terrienne à savoir de ne pas influer sur l’écosystème. Pourtant, leur mission va être rendu complexe par cette influence de Sitive qui agit fortement sur les comportements de la mission Ulysse. La folie guette les représentants vivants de l’expédition et l’Intelligence Artificielle qui les accompagne semble elle aussi touché par le phénomène.
Les jeunes générations sont nées dans un monde en sursis, elles n’ont pas connu l’insouciance qui était la nôtre, la sensation que ce que nous appelions alors la nature était immuable, que le monde nous appartenait, qu’il avait été créé pour nous, pour notre usage. Elles n’ont pas connu l’opulence. Bien au contraire.
De son côté, Basile, gouverneur, doit gérer un certain nombre d’événements et faciliter la dynamique de la société. Malheureusement, et malgré toute la volonté dont il fait preuve, il se retrouve coincé par la crise qui s’annonce. Trouver des solutions va se révéler d’autant plus compliqué que sa famille va être elle aussi affectée par la planète.
D’autres, quant à eux, passaient leurs nerfs sur les étrangers, les réfugiés économiques ou climatiques. Le monde allait très mal, et au u lieu de chercher à se soigner, il s’enfonçait dans les mêmes travers qui avaient déjà failli l’porter par le passé, le culte de l’homme fort et de la grandeur passée, les guerres impérialistes
… dont Néea, neuro-atypique
Parmi les personnages qui sont centraux à l’histoire, nous avons Néea, une jeune femme qui s’appuie sur une neuro-prothèse qui lui permet de compenser un handicap physique, tout en étant aussi neuro-atypique.
Ce personnage du roman est particulièrement intéressant de mon point de vue. Tout d’abord, car Li-Cam nous partage le fonctionnement de son esprit, un esprit qui visualise le monde au travers de « Petites Choses », de couleurs, qui rendent difficile l’interaction, du fait d’une perception très différentes de l’environnement. Ce qui est intéressant aussi est le choix qui est fait de cette neuro-prothèse qui lui permet donc de « recentrer » son mode de fonctionnement sur un mode plus « typique » ou en tout cas lui permettant de mieux interagir avec ses contemporain·e·s et son entourage.
Cela pose bien entendu la question de l’acceptation de la différence et de son intégration à notre société : nous voyons dans cette réponse scientifique – de mon point de vue – une « standardisation » de la méthode de pensée plus qu’une volonté d’intégrer d’autres façons de pensée… Mais peut-être que je m’égare dans ma lecture du sujet.
Il faut cacher la folie parce qu’elle gêne, parce qu’elle fait peur. Il faut trouver la force de se comporter normalement, même quand on est sur le point de s’effondrer.
Malgré cette différence, Néea est bien entourée, d’abord de son ami Ugo qui va l’accompagner et l’aider en toute occasion. C’est aussi lui qui va l’aider au quotidien et qui va s’inquiéter lorsque Sitive influera à tel point sur Néea que la neuro-prothèse semblera totalement inutile. Elle pourra compter sur Paloma, une artiste qui cherche à renouveler son travail.
Bref, Néea et son entourage représente pour moi les personnages les plus passionnants du roman.
… et une écriture revue en profondeur
S’il est un élément qui pourra déstabiliser, ce sera à chercher du côté des formes grammaticales et la revue de notre langue. Il est évident que ces modifications ne seront pas du goût de tout le monde et il ne sert à rien de vous lancer dans l’aventure si vous avez un a priori négatif sur une langue revue…
Attention, yel a l’Histoire et l’histoire comme pendant longtemps yel y a eu l’Homme et la femme. On dit humaine maintenant, je sais, mais n’empêche que c’est encore trop présent dans nos esprits, dans nos inconscients, cet grand H et cet petit f.
Le quatrième de couverture vous donne un aperçu de la grammaire utilisée par Li-Cam, totalement en ligne avec la réorganisation de la société. L’ajout du neutre (modélisé par exemple par l’article lae ou al) permet de se poser la question de notre rapport à la nature et plus généralement sur notre société.
Après quelques pages, et la compréhension de la mécanique, vous ne le verrez (quasiment) plus et pourrez profiter du fond sans aucun problème. Une question (légitime) serait de se demander si cette grammaire apporte à l’histoire, ce à quoi je réponds définitivement oui. Le monde tel que nous l’avons connu a disparu ou en tout cas, de nombreuses pratiques ont du être changées pour espérer pouvoir maintenir une présence humaine. Ces changements sont structurants pour cette future société : l’évolution de la langue, de façon aussi marquée, est alignée avec l’évolution de la société.
Le roman de Li-Cam prouve définitivement que notre langue est vivante (n’en déplaise à certain·e·s) et que nous sommes capables de nous adapter.
Ne laissons pas croire que le seul sujet du roman est celui de linguistique, Li-Cam nous plonge dans une science-fiction qui tend à nous montrer un monde de demain qui aura éviter le pire, nous permettant d’imaginer de nouvelles façons de vivre, tout en nous questionnant sur où nous en sommes aujourd’hui.
Pour conclure cette chronique, nous retrouvons une nouvelle fois au catalogue de La Volte, un roman engagé, et poussant à la réflexion. Nous voyons aussi la capacité de la maison d’édition à prendre des risques éditoriaux car nul doute que la forme va faire parler.
La Volte (30 août 2023) – 358 pages – 20 € – 9782370492234
L’humainité a su éviter lae pire de lae catastrophe climatique. En changeant totalement san rapport à la vivante et san organisation politique, yel s’est rencentré autour des écosystèmes et de leur réparation.
L’apparition soudain d’une nouvelle planète, al cœur du système solaire, bouscule cet équilibre précaire.
Elle s’appelle Néea et san neuro-prothèse lui permet de marcher, de penser ; il s’appelle Basile, a été élu gouverneur et doit gérer nombre de crises ; elle s’appelle Anna et foule lae sol de Sitive, la planète mystérieuse… Les trajectoires s’entremêlent et se détraquent.
Angoisses déraisonnables, influences réells de la nouvelle planète ou aberration multidimensionnell ? L’incertitude grandit et sème lae trouble dans lae population.